OMBRE( Lorraine)
Ombre, où es-tu? Je te croyais à mes côtés, nous avons ensemble tourné le coin de la rue et me voici soudain seule. Ce que tu es agaçante! Quelquefois, tu me devances. Il t’arrive de me suivre. Mais aussi de disparaître. Tes jeux de cache-cache seraient enfantins si je n’étais assez stupide pour croire que tu le fait exprès, pour me taquiner, me narguer peut-être?
Certes, tu me ressembles. Nous avons la même silhouette, nous marchons du même pas, nous nous arrêtons en même temps. Mais je te perds souvent. J’ignore où tu vas. Tromper une autre femme? Calquer chaque mouvement de cet homme nonchalant qui pêche à la ligne? Disparaître soudain dans le noir d’un garage béant? T’allonger de tout ton long contre la paroi d’un édifice criard ou vibrer doucement près du canal, dans les herbes mutines sous les arbres?
Tu prends des formes multipliées; tu es ce réverbère, ce chien qui passe, ce funambule sur sa corde, l’encoignure d’une porte prometteuse de secrets. Tu dessines en ce moment même l’arrondi de ma lampe de chevet, tu es partout et tu n’es rien...Rien qu’une ombre...