Bikini, sable chaud et petites pépées (SklabeZ)
En débarquant en fin de journée dans cet archipel formé de poussières d’îles au beau milieu de l’océan, Simon est surpris par la tiédeur et l’humidité ambiantes et par l’atmosphère chargée d’effluves de coprah et de tiaré.
Un peu fatigué par le long voyage il rejoint les baraquements en se félicitant d’avoir accepté sa mutation dans cet endroit paradisiaque en plein Pacifique. Il se réjouit déjà à l’idée de profiter de ce paradis rempli de couleurs et de parfums inoubliables. À lui la musique des ukulélés, la tiédeur des lagons et les soirées tropicales où la peau des danseuses langoureuses exhale la chaleur du soleil.
À l’idée de fréquenter ces bombes anatomiques, il se jure même de vite oublier sa Margie, ou plutôt sa Marguerite chérie car Margie, francophile et un peu casse-pieds, déteste son nom de baptême. Elle exige qu’on l’appelle Marguerite.
Comme toutes les Margie, Marguerite est une femme-enfant amusante et sensible qu'on a envie de protéger. D'humeur inégale, elle passe facilement de l'enthousiasme à l'abattement. Quelque peu capricieuse, elle n’est pas toujours facile à vivre. Elle fonctionne aux compliments mais, assez susceptible, elle s'enferme parfois dans la bouderie. Tout un programme ! Malgré ses autres qualités, générosité et grand cœur, Simon pense l’oublier d’autant plus vite que pour une fois elle ne l’a pas accompagné. Marguerite est restée au pays.
Comme ses copains, Simon est marin de l’US Navy, la marine américaine, et il vient rejoindre son bateau récemment arrivé ici, dans les Îles Marshall en provenance de son port d’attache californien. La vie lui semblera bien plus douce que dans les arsenaux effervescents et tumultueux de la 3ème Flotte à San Diego. La discipline y sera certainement aussi moins rigoureuse. La belle vie quoi !
Ils sont venus ici pour participer à un projet un peu spécial et ultrasecret. Ils pensaient qu’ils en avaient pour quelques semaines et des poussières, pour une banale opération de déminage sur quelques atolls alentours. Certains sont encore truffés de mines et de munitions non explosées datant de la guerre du Pacifique avec les Japonais.
En fait leur mission est toute autre. La deuxième guerre mondiale vient tout juste de se terminer et ils participent, sans le savoir encore, au projet Manhattan visant à valider, sur l’atoll de Bikini, la puissance destructive des bombes A sur des navires disposés dans les environs.
La marine les a choisis pour préparer le regroupement et l’installation de ces vieux bateaux, déclassés ou prises de guerre. Ils serviront de cibles aux bombes.
Le rêve de Simon s’écroule. Adieu le sable chaud et les petites pépées ! Il se retrouve avec ses compagnons d’infortune sur une Bikini sans plus aucun attrait et vidée de tous ses habitants.
Le premier tir a lieu. La bombe lâchée d’un avion rate sa cible de plusieurs kilomètres. Certains bateaux-cibles sont touchés, d’autres pas. Ils doivent, sans protection aucune, intervenir pour en réparer certains avant le tir suivant.
Simon est déjà contaminé, zébuloné comme ils disent dans leur jargon, mais il ne le sait pas. Le tir suivant ne se passe pas comme prévu. Des vents capricieux déposent des poussières mortelles sur leur camp de base ...
C’en est trop !
Simon vient de mordre la poussière.
Adieu le sable chaud et les petites pépées !
Après de longs et vains traitements, il est rendu à son épouse, à sa Marguerite chérie, celle qui a un si grand cœur. Elle va s’en occuper avec amour pendant de longs mois, mais Simon souffre de plus en plus et sa situation se dégrade.
Il n’entendra plus Margie, il ne la verra plus non, plus.
Elle ne lui cassera plus les pieds, Margie, sa Margie qui pleure auprès de lui.
Adieu le sable chaud et les petites pépées !
Simon est redevenu poussière.