Une journée parfaite (Célestine)
Ce matin, je me suis réveillé en me disant : « Bon sang, c'est l'anniversaire de Denise ! » Denise, c'est ma femme. Je me suis dit que j'allais rendre cette journée parfaite.
En me levant, dans l'obscurité, je me suis pris les pieds dans le tapis et j'ai terminé ma course contre la porte. J'ai allumé le couloir. Mon arcade sourcilière pissait le sang : un petit jet bien rouge sur la moquette bleue. Je me suis dit : « C'est beau, on dirait du Miro ! »
Je suis descendu à la cuisine lui préparer un bon petit déjeuner. Je me suis brûlé la main avec le grille-pain en essayant de rattraper un toast récalcitrant. Mais j'étais content de lui faire la première surprise de la journée.
Mon plateau à la main, j'ai eu l'air idiot de trouver dans le lit le traversin installé sous la couverture, version mauvaise blague de potache qui fait le mur. « Chéri, je suis partie faire du shopping, poisson d'avril ! » Ça m'a fait rire, vu qu'on était en juin. J'ai trouvé ma femme merveilleuse.
J'ai commandé un repas somptueux chez un traiteur, mais les invités ont commencé à arriver, et je ne voyais toujours rien venir. Alors je me suis rappelé que la livraison étant hors de prix, j'avais choisi la version éco « à aller chercher sur place ». Malheureusement, j'ai oublié de noter les coordonnées du traiteur, que j'avais pioché au hasard dans l'annuaire. J'ai regardé l'annuaire. Il y avais deux cents traiteurs. J'ai commandé des pizzas.
Marie et Lucas, les ados, se sont disputés pour choisir les pizzas, pour changer un peu, et quand Denise est arrivée, ils étaient en train de se battre à coups de cacahuètes dans l’œil. Belle-maman a gueulé que ces gosses étaient vraiment très mal élevés ! Le chien a renversé la table basse en verre en voulant faire des fêtes à Denise, et Beau-Papa est parti s'installer sur le balcon parce qu'il fumait et que Belle-Maman déteste ça. J'ai allumé des bougies pour faire une ambiance zen, mais la nappe en papier s'est enflammée. Denise a voulu balancer le contenu du pot à eau sur la table. Ma belle-mère a tout pris dans la tronche et ça a ruiné son rimmel. Denise était désolée. Belle-maman est partie en gueulant dans la salle de bains, et au passage, elle a écrasé la queue du chat qui a poussé un miaulement de douleur terrible, et du coup, le chien a eu peur et il a essayé d'attraper sa queue comme il fait toujours quand il est stressé. Sa queue a renversé le bocal du poisson rouge qui a rejoint les débris de la table basse. Le chat a bondi sans se couper les pattes sur les morceaux de verre et il a bouffé le poisson.
Lucas a dit « j'ai la dalle, quand est-ce qu'on mange ? »
Marie a dit « t'es qu'une tripe »
Lucas a dit « Pétasse »
Marie a dit « Ta gueule ».
« Taisez-vous ! » j'ai crié.
Denise s'est mise à pleurer, quand on a sonné à la porte. C'était le livreur de pizzas. Pendant que je cherchais en vain de la monnaie dans toute la maison, les ados avaient repris leur rixe, et la basket de Lucas a raté sa cible pour aller se ficher dans la bobine du livreur qui, de surprise, a lâché les pizzas. « Gardez tout ! Il a dit en prenant la fuite comme s'il avait vu des ovnis. Mon beau-frère et ma belle sœur, Gérard et Jeannette, sont arrivés sur ces entrefaites. « On est en retard !... les embouteillages ! » a dit Jeannette en s'étalant de tout son long dans la sauce tomate des pizzas que le chien et le chat avaient commencé à déguster.
Pendant que Jeannette réparait les dégâts collatéraux dans la salle de bains, j'ai dit à Marie de préparer un plat de pâtes. Lucas a rigolé, je lui ai flanqué la serpillère dans les mains. Marie a rigolé. Denise pleurait toujours.
Mes beaux-parents sont partis prétextant qu'ils avaient soi-disant oublié leurs gouttes.
Marie a dit « Papa, il n'y a plus de pâtes, et plus rien dans le frigo ». Du coup, Gérard et Jeannette ont proposé d'emmener les ados au fast-food.
"C'est pas de refus" j'ai dit.
Denise a essuyé ses yeux. J'ai essuyé partout, le chat et le chien repus (les veinards) se sont endormis dans leur panier. Avec Denise, on s'est assis sur le canapé. On s'est ouvert une boîte de tripes.
Elle a souri. « Tu as de la sauce tomate sur l'arcade » elle a dit.
« C'est pas de la sauce tomate » j'ai dit.
Je lui ai offert sa bague. Elle lui allait comme un gant.
« Bon anniversaire, mon amour » j'ai dit.
Elle a souri.
La journée n'avait pas été parfaite.
Je me suis dit que ma femme, elle, était parfaite.