Kind of champs (PHIL)
J’aurais pu écrire ça et j’ai écrit autre chose. Les défis du samedi, c’est ainsi. Soit l’inspiration se met en branle dès la consigne lue. Soit il faut la cajoler, lui dire des mots doux, la prendre dans le sens du poil, et alors une nuit nait l’idée du texte. Soit encore il n’y a rien à faire. Le terrain est aride et la plume stérile. Et même le clavier. Il arrive d’ailleurs qu’on le sache dès le départ. Dès la consigne lue. Comme cette histoire de mêler ballade et balade. Ça ne me fait pas rire du tout. Je ne vois pas, non. Je n’ai aucune envie de mêler promenade et chansonnette. D’abord j’aime bien marcher en silence, afin de pouvoir m’imprégner des bruits de la nature. Ou de la bagnole à la rigueur, en admettant que la balade soit motorisée. Bref cette consigne ne m’inspire pas, tu vois, alors que pour la précédente je n’avais eu aucun mal à raconter une ânerie quelconque, à savoir que mon parcours habituel de jogging était honteusement dévolu ce dimanche-là à une sortie en vélo tous terrains, ce qui fait que… je ne vais quand même pas raconter la même histoire sans intérêt.
À chaque fois qu’on part se balader en auto, c’est là même chose, on se bat pour savoir quelle radio écouter. Moi je préfère la radio qui cause, celle qui enculture les gens (et oui je m’arroge le droit d’inventer des mots), à moins qu’elle ne rabâche indéfiniment la dernière aventure de DSK ou du petit Nicolas. D’autres préfèrent meubler l’habitacle avec des scies d’autrefois, des ballades émoussées passant en une boucle entrecoupée de magnifiques perles publicitaires. Inutile de dire qu’en ces instants je maudis l’invention de l’autoradio. Mais c’est de ta faute, aussi, clame mon épouse. Tu n’avais qu’à pas oublier les cd. Ah c’est sûr, kind of blue aurait eu une autre allure que les Champs Elysées de Joe Dassin.
J’avais le disque, dans le temps. Avoué-je. Elle n’en croit pas ses oreilles, mon épouse. Kind of blue ? Mais nan, dis-je, celui là on l’a maintenant. Dans le temps je n’écoutais pas de jazz, j’écoutais des ballades et des chansonnettes, comme celles du bon vieux Joe.
N’empêche qu’il vaut mieux avoir oublié les cd que les cartes routières, il faut bien l’avouer. Encore que… Vous savez pourquoi je doute ? Parce que récemment nous sommes allés, mon épouse et moi, en vacances en Crète. Parce que là-bas nous avons loué une bagnole, oh une toute petite, hein, afin d’arpenter en toute quiétude les routes délabrées de l’île. Il faut parfois savoir prendre des risques. Nous avons quand même pris quelques précautions. Peu avant le départ, lors d’un passage à Paris, nous avons acquis une carte routière de la Crète. Avec les noms des lieux écrits en alphabet normal et en alphabet grec, ai-je demandé. Oui oui, j’ai ce qu’il vous faut, s’est écrié le libraire. Et de me vendre aussi sec un machin hors de prix, soigneusement plié dans une protection de plastique. Légère consternation quand même lorsque j’ai religieusement déballé ma carte flambant neuve à la maison. Les noms et légendes en alphabet dit normal étaient aussi en allemand. Pour les noms des bleds, on s’en fout, d’ailleurs on apprendra vite qu’il y a pour chaque lieu une dizaine d’orthographes différentes. Mais pour la légende. Et cette consternation passagère n’est rien avec celle qui m’accablera lors de la dure confrontation avec la réalité. Les routes crétoises sont comme le cours de la Loire, fluctuantes. Il existe même, sur la carte, une superbe nationale à quatre voies qui te permettent d’aller d’ici à ailleurs en moins de temps qu’il en faut pour le dire. L’ennui c’est que sur le terrain la route en question, ou du moins la portion qui m’intéresse, n’existe pas. Seule une vague excavation en rase campagne permet d’imaginer que là sera son point de départ. De quoi y perdre son latin sur un air de sirtaki ou de n’importe quelle ballade qui vous sied. Mais rassurez-vous, nous nous sommes néanmoins baladés avec le plus grand plaisir.