Promenade dans le parc (PHIL)
Nous aimons bien nous promener dans le parc, Elle et moi. Notamment en septembre, quand il fait beau, comme en ce moment. La lumière y est si tendre. Les parfums y sont si suaves. Parce que vous ne savez peut-être pas, mais dans l’ombre des grands chênes, les champignons poussent à foison. On y trouve des coulemelles, des rosés. Et des cèpes, bien sûr. On rencontre aussi, hélas, la lépiote brune et le cortinaire, ainsi que toutes sortes d’amanites plus ou moins expéditives. Alors vous comprendrez que nous préférons nous y balader sans le gamin. Il est d’une telle curiosité maladive, celui-là. Ah ! Il ne dit pas grand-chose, du moins pas grand-chose d’intelligible, mais il a la main leste. Quasiment kleptomane. Et il teste. Il goûte.
Il goûte à tout, en fait.
C’est pas compliqué, il suffit d’examiner ses vêtements, et on sait tout de suite ce qu’il a mangé à la cantine. Même si on lui fournit des serviettes larges comme des housses de couette.
Nous entrons dans le bâtiment. Elle me serre la main. C’est l’émotion. C’est chaque fois la même chose. Quelle va être la constellation du jour, murmuré-je, atterré à l’avance ? J’avoue que j’ai du mal à m’y faire. Toutes y sont passées. Les constellations, je veux dire. Les connues comme les confidentielles. Il a même plaisir à en inventer des bizarres et non répertoriées. Comme ce « petit cheval » de taches claires sur fond de t-shirt noir. Ah ben oui, ils avaient mangé de la blanquette. Et puis cet « oiseau indien », tout chamarré de zébrures rougeâtres. Ils avaient eu de la ratatouille, paraît-il. Quant à la « carène de navire », d’un magnifique noir d’encre sur fond jaune… ah ben non, normalement ce n’est pas un truc qu’il avait bouffé. Encore que. En tous cas, c’est le jour où ça fleurait bon le goudron chaud, dans la cour.
Tiens ben c’est vrai, pensé-je, on n’a pas pensé à regarder s’il en avait sur les dents, ce jour-là. Du goudron. En tous cas, ce n’est apparemment pas mortel. Pas comme les cortinaires. Tiens, j’en ai repéré tout à l’heure. Pas bien loin d’un gisement de magnifiques bolets bais. Nous irons ramasser les bolets après la visite, j’ai mon couteau suisse et un sac en plastique dans la poche de ma veste. Je suis prévoyant, je sais que le parc de l’hosto regorge de ressources. Depuis le temps que nous y venons. Quand je pense que le gamin a maintenant trente-trois ans.