LA CURIOSITE (Lorraine)
Il est parti trois jours sur le chantier naval examiner de près la carène du navire dont il est le concepteur.
Le coeur battant, elle est entrée dans le bureau sacro-saint. Et, avec la dextérité de l’agent secret qui sait où il va et comment s’y prendre, elle a ouvert un à un les tiroirs. Celui de gauche, elle y a trouvé les babioles courantes: une grosse loupe, (il est un peu myope), des bonbons pour la toux, une calculatrice, deux calculatrices, la boîte aux attache-tout, une agrafeuse, une boîte où s’empilent des bristols de bons restaurants (i est un peu gourmand), un tube de colle et des timbres.
La bibliothèque murale est double: d’un côté les livres, de l’autre les documents. Rien au rayon des livres. Si, le petit cheval de Murano qu’il lui a rapporté lors d’un voyage. Bien en vue derrière la vitre, il donne sa fraîcheur à l’ensemble de la pièce . Elle sourit et va plus loin. Ce dossier?...Il n’a pas de nom, les autres annoncent la couleur: “Banque”, “Assurances”, “Factures”...Elle les a feuilletés: rien d’anormal. Mais ce dossier sans nom?...Le coeur battant, elle l’entrouve et, saisie, reconnaît son écriture à elle, ses lettres à elle, depuis la toute première jusqu’à la dernière, quand l’ordinateur a remplacé le porte-plume. Elle s’assied: il a tout gardé. Donc il l’aime encore...Ou il a oublié de les brûler? Non, quand même!
C’est d’une main moins assurée qu’elle ouvre un à un les tiroirs professionnels. Elle se dit que l’amour est un oiseau indien, très coloré à sa naissance et qui, avec le temps, voit ses couleurs, toujours présentes, mais moins éclatantes, c’est tout. Elle n’a plus très envie d’examiner sa garde-robe, de fouiller ses poches. Est-elle une espionne, une curieuse affamée avide des petits secrets anodins ?...
Elle se lève, elle ferme doucement la porte du bureau. Curieuse, elle ? Oh ! non. Jalouse, tout simplement…