Le mur. (Mamido)
C’était un vieux mur décrépi, lézardé, croulant sous le lierre. Par endroits, il était percé de trous béants et tout un pan s’était écroulé, en son milieu.
Pour les adultes, il représentait le mur de la honte, dissimulant aux regards la décrépitude et l’abandon d’un quartier dont la rénovation traînait en longueur.
Ils passaient rapidement devant, sans regarder. Ils nous interdisaient d’y aller, l’endroit était, parait-il, mal, fréquenté.
Mais, c’est bien connu, les enfants adorent franchir le mur de l’interdit !
Aussi, le mur servait-il de rideau au terrain vague où nous passions le plus clair de notre temps libre. Le franchir, c’était comme traverser une frontière magique derrière laquelle commençait un monde irréel où tout pouvait arriver. De l’autre côté, l’Aventure nous attendait.
C’est pour cette raison, qu’au moins une fois par jour, à la sortie de l’école, nous « faisions le mur » et nous nous évadions dans l’univers merveilleux des jeux que nous inventions.
Je devenais pilote d’avion de chasse et, entre deux loopings, franchissais avec brio et dans un bruit de tonnerre, le mur du son. Pour mon copain Léo, à califourchon en son sommet, le mur devenait celui du combattant. Dernier rempart contre l’invasion d’une horde barbare peuplées de cavaliers féroces et armés jusqu’aux dents, il le défendait, à l’aide de son fidèle dragon, l’épée à la main et à la tête d’une armée de chevaliers à l’armure étincelante.
Pour les plus grands, le mur servait de cible d’entraînement. Jets de pierres, tirs de carabines venaient encore en aggraver la décrépitude.
On dit que les murs ont des oreilles, peut-être des yeux aussi, pourquoi pas ?... En tout cas, s’ils pouvaient parler, sûr qu’ils en auraient des choses à raconter !
A longueur de temps, le nôtre recevaient les confidences, les promesses et les lamentations… Sur ses flancs s’imprimaient les injures, les serments et les rendez-vous…
L’endroit où il était en partie écroulé servait de banc aux amoureux qui s’y faisaient des déclarations. Premiers baisers, premières étreintes malhabiles s’échangeaient dans la fraîcheur d’un lit de lierre.
Pour les amours passagères et clandestines, pas tant de confort, les baisers fébriles, les étreintes brutales et rapides avaient lieu n’importe où, en position debout, contre la pierre sèche et rugueuse.
Puis un jour, plus de mur ! Les engins se sont emparés du terrain vague, une tour de trente-cinq étage y a poussé, comme un champignon.
Ce jour-là, nous avons dit adieu à une grosse partie de notre enfance.