Manque de nez (tiniak)
Et puis, l'aube venant,
je ne sentis plus rien qui flottât dans le vent
ni tilleul, ni jasmin, ni marines senteurs
Le passage à demain s'était fait sans odeurs
pas même les voitures
n'encombraient l'air ambiant de leurs hydrocarbures
Je me fouillai le nez pour en être certain
Il était dégagé - pas moins que de coutume
et comme ne souffrais d'angine ni de rhume
je dus m'y résigner : rien n'avait de parfum !
Allant chez le voisin pour le solliciter
d'un avis tiers, serein, d'un mot d'explication
je trouvais porte ouverte et sur son paillasson
une lettre pliée
J'en lus le contenu, reculant, effaré
à chaque affirmation :
Demain, c'est le futur ! Pleurez, bande de nazes !
Vous vous découvrirez dépourvus de tout blase...
Ne pouvant me sentir, disiez-vous, et bien chiche !
Vous priverez de nez ! Mon billet ? Je t'en fiche !
Ah ouiche, et c'est pas tout : "blase" est dans tous les sens
qui se puissent partout entendre et reconnaître
Quand, demain, pointerez le votre à la fenêtre
paraîtrez inconnus, sans nom et sans essence
aux yeux de Nul Pardon
J'ajoute à ce désastre un dernier pied de nez
plus aucun carburant ne pourra davantage
alimenter le train où vous précipitez
- sans vous en alarmer ! vers son dernier naufrage
la civilisation
A la question "Qui suis-je ?" aurez-vous répondu
quand vous aurez fini de pleurer vos vestiges ?
Ai regagné mon siège au-delà de ces nues
où vous n'aurez cherché qu'à dompter le vertige...
Tout est dit, adieu donc !
Consolez-vous quand même...
Vous reste ce confort : à manquer d'odorat
aucun éternuement ne sent plus le colza