Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 052 303
Derniers commentaires
Archives
4 juin 2011

Un tram en moins (Caro_Carito)

 

Matthieu n’a pas bougé du quai. Une heure, dix minutes, ça n’a aucune importance, personne ne le voit. La ville est trop grande et la gare charrie des corps et des vies qui s’éloignent à grandes enjambées mécaniques.

Immobile, il rembobine : le réveil à 6 h, ses mains à elle qui le poussait hors du lit, la douche et les céréales versées au petit dernier. La cravate salie par l’enfant et le soupir de soulagement à l’instant de partir. Pas une minute de retard, non un quart de minute, un rien, une poussière.

Le quai est vide, le train pour Strasbourg est parti à l’horaire dit, sans lui. Une panne, une bousculade. Un wagon de tram qui s’immobilise, sans raison, une course à perdre haleine. Il est resté là, bras ballants. Il a repris son souffle. Le téléphone portable s’est allumé, la voix chaude de Marion, son assistante. Oui, elle trouvera le dossier, les docs, les enverra. Il s’est excusé platement. Nul n’est vraiment irremplaçable.

La journée défaite, il rejoint un café où des voyageurs taciturnes se perdent dans une lecture à scandales. Un regard à son BlackBerry, il n’a plus rien à faire. Le temps se dénoue. Il commande un deuxième verre de blanc. Un prospectus traîne, une conférence, un vague thème spirituel. Accrocheur.

Si seulement, revenir en arrière. Pas juste remonter les minutes jusqu’au matin, avec un réveil qui sonne sept minutes plus tôt. Non plus loin… Jusqu’où ? Peut-être avant cette phrase : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour. » Oui, quand le temps n’existait pas. Plus de contingence. Un corps ? Même pas. Endosser une existence sans origine, ni destination, sans demain, sans pourquoi. Et ce Dieu, pas commode, pas bavard, le laisserait peut-être tranquille, au bout du vide, avalé par une vie sans consistance.

Il serait cela : un silence, un souffle qui s’étiole sur cette terre sans nom, une poussière. Loin des trams, de ses bras à elle, de l’enfant aux yeux clairs qui lui reste inconnu. Loin de tout, loin de lui-même, ce Matthieu qui roule comme une bille affolée dans des jours et des semaines translucides.

Sur le quai vide, Matthieu est à deux doigts de se recroqueviller. Une poussette l’effleure, une voix aboie à un interlocuteur lointain un : « Tu ne réponds jamais, salaud ! » Sa main se crispe sur son billet. Même s’il tourne le dos au train d’après, qu’il aille au bureau ou qu’il se réfugie dans une salle obscure, le temps a ressaisi le cours de sa vie dans sa poigne d’airain.

Matthieu jette le billet inutile. Ses épaules se sont affaissées. Dans dix minutes, il appellera Laure pour un déjeuner impromptu. Il achètera le cadeau du petit, promis depuis deux semaines. Il aura tout remisé, le train qui l’oublie et ce creux de quiétude un instant si proche. Il est 10 heures.

Publicité
Commentaires
C
Oui le blanc du matin c'est raide, mais dans le coin...<br /> <br /> Une nouvelle naissance?
Répondre
J
Bien vu ce vertige d'un funambule porté par le hasard au bord de son monde, qui hésite à plonger dans le néant de l'inconnu et qui choisit de revenir à sa vie.
Répondre
T
ça m'eut arrivé de loupé un train avant un cours un travail. À part le blanc, votre histoire m'y fait pensé comme un café dans le buffet de la gare, histoire de se consoler:-)
Répondre
C
C'est l'habitude de courir et parfois rater les trains dont un mémorable pour le groupe de potes qui étaient avec moi !
Répondre
L
Beaucoup de profondeur dans ce train raté et les minutes qui suivent... Bravo!
Répondre
C
:) merci katyl
Répondre
K
les certitudes sont ephémères comme une fleur de pissenlit , s'il y a du vent..mais il y en a une<br /> c'est celle-ci:<br /> lorsque l'on a connu la peine, le désespoir, lorsque le temps est passé...le moindre petit mot, la moindre lumième allumée, le sourire, tout parait si beau!!<br /> c'est tout ce que je voulais dire<br /> mais je suis comme toi et tout le monde partout emplie de doutes, je fonce avec ces doutes<br /> katyL
Répondre
C
Venise, je vouslais surtout rendre cette sensation de vertige quand on s'approche du temps<br /> <br /> Katyl, merci. En fait, j'ai appris à aimer douter, je trouve ça presque plus confortable que les certitudes.<br /> <br /> Map, ta confiance me fait toujours plaisir.
Répondre
M
Pas mieux à dire que Célestine en effet !<br /> Les doutes souvent vous assaillent à de telles périodes de creux dans le temps ... quand les habitudes sont bousculées ... Bien vu, et bien dit -et l'on ne pouvait en douter de ta part<br /> Caro-!!!
Répondre
K
Caro Carito !! la vie a des instants terribles ! ok<br /> mais tu verras la suite te prouvera le contraire, et d'avoir connu cette peine, cette hésitation à vivre , en continuant cette vie tu trouveras la couleur des matins d'ors, les extases contemplatives devant de petits riens.<br /> Et les rires, les joies intenses, parce que tu as vécu cela , tu puiseras un BONHEUR incommensurable!! attends !! laisse venir la vie <br /> en toi<br /> je te l'assure<br /> katyL
Répondre
V
il en faut du courage!!
Répondre
C
Célestine, Katyl, oui, ces instants où l'on vacille sans témoin nous rendent terriblement humains et proches et puis la vie dans ce qu'elle a de terrible aussi reprend ses droits. Ou nous la laissons faire...<br /> <br /> EVP, merci !!!
Répondre
C
Adrienne, j'avais pensé au café mais le vin blanc du matin, biens sec, presque trop froid, rien de tel que pour embrouiller les neurones.<br /> <br /> Tiniak, je ne crois pas qu'il soit très bavard et que l'avenir ne lui semble bien plat.<br /> <br /> Walrus, très clair ! L'absence de temps ça doit être bien reposant.
Répondre
E
Joli, j'aime beaucoup !
Répondre
K
que ce doute, cette sensation de vide, ces moments sans but, cette errance , beaucoup d'êtres humains le savent..et reprennent comme tu le dis le chemin de l'existence presque malgré eux.<br /> mais un nour la vie les prends par la main et là ils savent où ils vont et pourquoi.<br /> katyL
Répondre
K
oui je ne serai pas originale je pense comme célestine<br /> katyL
Répondre
C
Une belle tranche de vie, un héros hitchcockien en proie à ses doutes existentiels sur le quai d'une gare...et au final un homme terriblement humain, j'adore.
Répondre
W
Je vois que tu es d'accord avec moi Caro, le mieux serait encore de ne jamais commencer !
Répondre
T
Dix heures... de bonne aventure ?
Répondre
A
ah ben oui, boire des petits blancs avant dix heures du matin, ça vous mène à des pensées philosophiques sur l'origine du monde ;-)<br /> belle évocation d'un homme dont la routine s'est "cassée"!
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité