Oubli (Berthoise)
Il y a des choses qui deviennent très compliquées. Des textes que je ne comprends pas, même à la seconde lecture. Des allusions vides de sens pour moi. J'entends les conversations sans plus vraiment les écouter. Je me tais. J'oublie, je me perds dans mes souvenirs. Oh, bien sûr, je connais mon nom, mon adresse, le prénom de mon mari, la date de naissance de mes enfants mais, il y des gens que je ne reconnais pas. On me parle d'anecdotes. On me dit que je les ai vécues. Que j'ai réagi ainsi. C'est crédible. Du reste, je le crois mais je ne me souviens pas. Alors, je hausse les sourcils, mais je ne réponds pas. Est-ce le début de l'appauvrissement de mes neurones ? Vais-je comme l'oncle de Boris Vian pleurer sur la sauce blanche de mon cerveau ?
Je n'ai plus rien à dire, mes mots sont pauvres. Mais écrire. Et bien non. Ne plus écrire. Je croyais que mon ami l'ordinateur m'aiderait. Il parle lui. Il raconte encore et toujours les mêmes histoires. Je feuillette les albums de photos si bien rangés. Il faut bien que quelque chose soit rangé dans cette maison. Je vois des gens sourire, des paysages. Il se dégage de tout cela de la tendresse, de la douceur. Mais c'est un peu impersonnel. Je les trouve beaux, ces gens souriants ; j'aimerais me promener dans ces lieux. On me dit que je les ai côtoyés, que je les ai fréquentés. Tout s'obscurcit. Je regarde comme un documentaire, et découvre à chaque fois de nouveaux visages. Hier encore, pendant ma promenade, on m'a saluée respectueusement. C'est étrange. J'ai hoché la tête. C'est vexant pour les autres de voir qu'on ne les reconnait pas. Ils croient qu'ils ne sont pas importants. Alors, je fais semblant. Mon fils a voulu me faire des fiches dans l'ordi avec les photos, les adresses, les dates et les évènements importants pour chaque personne que je suis appelée à rencontrer. Il m'a dit : "Ne t'en fais pas, si tu ne te souviens pas, l'ordi le fera pour toi. " Il est gentil mon fils, il ressemble de plus en plus à son père. Des fois, je me trompe et l'appelle du prénom de mon mari. Il ne s'énerve jamais. " Mais non, maman, c'est moi Sylvain." Alors oui, il me semble bien que son père avait les yeux plus verts.