C’EST SI CHOUETTE... (Lorraine)
Je n’ai jamais aimé les destinations lointaines, les croisières, les hôtels luxueux. Les vacances, pour moi, exigeaient avant tout une escale après 350 ou 400 Km. de route, pas plus. J’éprouvais l’ineffable joie de la détente, de la halte dans un village français charmant, choisi un peu à l’aveuglette et dont ma fille, mon mari et moi découvrions les charmes champêtres d’un même coeur. L’un et l’autre, pour des raisons différentes, avions besoin de nous reposer avant tout; laisser s’écouler de mes épaules ce manteau professionnel de rendez-vous et de travail représentait un bonheur doublé par la découverte de l’auberge dont nous changeions à chaque fois.
Cette année-là, nous sommes arrivés un vendredi soir. La patronne nous avertit d’un ton enjoué:
- Demain, nous avons un mariage. Vous n’entendrez pas vraiment la musique, la salle de fête est de l’autre côté, vos chambres donnent sur les champs, à l’arrière.
La salle de fête était séparée du restaurant par une large cour et pendant le repas du samedi soir, nous vîmes peu à peu des dîneurs quitter la table et rejoindre des badauds déjà postés à l’entrée d’où l’on pouvait voir “la noce”. Sans doute “la noce” avait-elle déjeuné dans une autre aile car nous n’en avions pas eu d’écho mais les musiciens accordant leurs instruments annonçaient à leur façon les festivités du soir. Nous finissions le repas. L’accorte patronne s’approcha de nous et se penchant vers ma file:
- Vous avez peut-être envie de voir le bal? Et vous aussi, Madame? Allez-y si le coeur vous en dit...
Je jetai un coup d’oeil à mon mari. Il levait un sourcil un rien moqueur et néanmoins compréhensif:
- Allez-y puisque vous en mourrez d’envie. Moi, je vais faire une petite belote...
Il avait déjà fait connaissance avec des amateurs du lieu et nous n’eûmes aucun scrupule à l’abandonner. Marianne se glissa la première, je la suivis; Et, par je ne sais quel curieux concours de circonstances, nous fûmes l’une et l’autre au premier rang des badauds...
La vaste salle regogeait de monde. Elle était aussi tapissée de bancs le long des murs sur lesquels des dames et des demoiselles assises bavardaient entre elles, faisant...tapisserie. L’orchestre était entraînant, les danseurs s’en donnaient à coeur joie, la musique s’arrêta, les premières notes d’un tango susurrèrent leur nostalgie. De l’autre côté de la salle, face à moi, un Monsieur bien pris dans son costume de cérémonie s’avança d’un pas ferme et s’inclina :
- Madame....
C’était un homme charmant, il dansait très bien. Nous bavardâmes de tout et de rien, comme deux inconnus, tout en tournant. De nombreux regards nous suivaient; des regards de femmes... Puis, mon cavalier, légèrement interrogatif, me demanda aimablement:
- Vous appartenez à l’autre famille, sans doute?..
A quoi je répondis avec candeur:
- Non, moi je suis en vacances...Et vous?...
Il réprima un sourire:
- Je suis le père de la mariée!
Son regard fit rapidement le tour de la salle. Marianne dansait avec un des garçons d’honneur...
Vous auriez pensé comme moi, j’en suis sûre: il valait mieux nous éclipser. Le père de la mariée eut un regard désolé, nous n’avions pas besoin d’explications, il me salua avec courtoisie, murmura “Dommage!” et alla vers les siens.
Après je me suis dit: “C’est vraiment chouette ce qui vient de nous arriver!” . Parce que les petites surprises, les imprévus, les rencontres inattendues, les hasards, les instants légers où l’on prend la gaîté où elle passe, sont le piment d’un quotidien quand on peut les accepter avec la simplicité de l’innocence...