Origami (Caro_Carito)
Origami
Un rectangle blanc. Des lettres noires. Et ce petit dessin dans un des angles, une silhouette masculine comme griffonnée à la hâte. L’enveloppe était arrivée au courrier du matin, libellé à son nom de jeune fille. L’invitation à ce vernissage était accompagnée d’un billet aller-retour et d’une réservation dans un hôtel pour une nuit. Elle avait caressé le bristol, l’artiste lui était inconnu. Un peu plus tard, avant les informations du soir, elle en avait touché un mot à George même si elle savait qu’il acquiescerait à sa demande. S’il avait été intrigué, il n’en avait rien montré. Peut-être ce baiser appuyé sur sa tempe, alors qu’elle observait le rouge marqué des camélias.
Elle se réveille en sursaut. Désorientée par son rêve, ou plutôt, un souvenir. Une table recouverte de volatiles de papier blanc. Un homme et un enfant, et cet air de jazz qui enveloppe la pièce. Elle se lève en silence et rejoint son bureau. Dans le tiroir où elle a conservé ces morceaux de passé pour mieux les oublier, elle cherche et trouve une boîte. Elle l’ouvre. Un cygne, des fleurs, une libellule jaunie. Des photos qu’elle ne sortira pas. Il manque le petit cœur rouge.
Elle s’assoit, agrippant toujours l’enveloppe. Repense à l’homme, sa main d’où avait jailli ce minuscule confetti de couleur. Il l'avait glissé dans la sienne pour ne plus la lâcher. Et puis, il avait disparu, les murs s’étaient teintés de noir. Les mois se succédèrent. Elle ne guérissait pas. L’enfant se tenait immobile à ses côtés. Un jour, son visage s’anima. De ses doigts fragiles naquirent un chat, une étoile. Des formes surgirent dans l’ennui d’une salle de classe, dans la solitude de leurs nuits. Sa mère le surprit dans la cuisine, les ciseaux à la main. Le souvenir du père et l’enfant se confondirent, le regard, le mouvement pour chasser cette même mèche. Elle interdit les pliages, traqua le moindre bout de papier. Le soir, sa voix résonnait encore des cris et des gifles que parfois elle se laissait aller à donner. Elle maudissait le jour où cet homme avait fait de son cœur un origami qui s’était déchiré.
Jusqu’à ses quinze ans. Elle ne pouvait plus supporter ce sourire. Elle le chassa chez une tante, une marraine, une voisine. Quand elle vida sa chambre, elle ouvrit le placard, une pluie de carrés de papier plié s’abattit sur elle. Elle en garda une poignée qu’elle glissa dans son sac, quand l’huissier vint saisir le peu qui lui restait. Dans sa fuite, elle égara le cœur que l’homme lui avait offert, dans une autre vie.
Elle alluma l’ordinateur. Elle sortit l’enveloppe où était écrit le nom de l’artiste. Peut-être, la toile lui révélerait quelques secrets. Quelque chose tomba, un origami, rouge. Un poisson. Avec trois lettres, Téo.
Téo, comme ce poisson qu’elle lui avait offert juste après la mort de son père. Ils avaient ri pour la première fois depuis longtemps, cet après-midi-là. Parce que Théodore, le garçon et Téo le poisson. Téo et Théo.
Théo.