Un parigot chez les ch'tis (Vegas sur sarthe)
Quand y m'ont annoncé que j'allais être muté à Metz j'ai d'abord cru à une promotion.
Faut dire que j'prenais racine à l'usine Beaubourg depuis soixante dix sept, un bail comme disait Valéry. Je l'aimais bien Valéry, c'est lui qui m'avait pistonné après l'inauguration de Notre Dame de la Tuyauterie. A l'époque j'avais vingt ans et y cherchaient des oeuvres majeures. Là où on m'avait posé j'avais une vue imprenable sur la fontaine Stravinsky, celle qu'on appelait la fontaine aux tomates(*) pour rigoler avec les potes...
On voyait des gens zarbi dans l'quartier, des bonimenteurs, des cracheurs de feu mais surtout des p'tites nanas qui m'tournaient autour avec leurs grands yeux étonnés. Y en a même qui m'pelottaient en douce pour voir si c'était du toc. J'y peux rien, c'est mon géniteur qu'a eu l'idée de ce profil taillé à la serpe façon Humphrey Bogart!
Et puis sans crier gare - c'est pas Orsay ici - le Conservateur en chef m'a déclaré "Délocalisé, transféré, décentralisé"!
J'ai rien compris, une sombre histoire de changement de statut, enfin bref j'aurais jamais cru qu'un conservateur ça servait aussi à transférer.
J'dirais plutôt "Ejecté"! J'ai même pas eu l'temps d'saluer mes fans, mes chahuteurs boutonneux, mes gentilles mamies du dimanche, mes intellos binoclards ni mes p'tites nanas aux grand yeux étonnés.
A c't'heure, j'dois vachement leur manquer. Parait qu'y z'ont mis un panneau avec l'adresse de l'annexe mais j'ai jamais revu mes parigots...
Donc c'est comme ça que j'suis arrivé dans l'chapeau chinois de Messe comme on dit par ici. Ca a beau être le Nord-Est, c'est quand même avant tout le Nord et les ch'tites sont moins chaudes que dans l'Marais.
Si j'avais pu choisir ma galerie j'aurais pas choisi celle du Nord à cause des courants d'air mais dans mon malheur j'peux voir la cathédrale et le spectacle du dimanche pour la grand'messe de dix heures alors que les potes y z'ont droit qu'à la gare TGV!
Ici on est bien traités avec du double vitrage et la toilette tous les mois; on a même des cours de ch'timi obligatoires.
Pourtant j'fais toujours le même rêve: un mécène m'emmène au vert dans sa belle propriété où j'pose mes arpions dans la rosée du matin et j'bronze mon crâne au soleil le restant d'la journée...
Bon j'arrête de braire passeque le ch'ti conservateur qu'on appelle Lolo va encore ardire qu'ça gâte mon teint d'albâtre.
(*) La fontaine aux automates (Oeuvre de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle)