Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 049 951
Derniers commentaires
Archives
15 janvier 2011

L'épicerie d'Art (Sebarjo)

A l'époque, j'habitais un studio pourri dans un vieil immeuble déglingué mais avec vue sur Beaubourg. Enfin plutôt avec une vue que me cachait Beaubourg ! J'arrivais à Paris et me sentais bien seul, un peu perdu, toujours largué entre deux rames de métro. C'est pour ça que je me souviens bien de Momo... Momo il tenait l'épicerie d'Art, une petite épicerie de nuit, dans une petite rue aveugle un peu derrière La tuyauterie du mastodonte Pompidou...

Je me souviens qu'à chaque fois que j'y allais pour acheter un p'tit truc de dernière minute, je me mettais à chantonner ces paroles inspirées de la chanson de Brassens, Le Bistrot :



Dans un coin pourri
Du pauvre Paris
Loin du bled
L'est un' épic'rie
Tenue par l'ami
Mohammed...



J'essayais de la faire un peu raï mais bien souvent c'est ma voix qui déraille, alors j'arrêtais dès le premier couplet pour éviter qu'on me raille... D'autant plus que je n'avais pas le temps d'en chanter plus, car à ce moment de la chanson, j'arrivais déjà sous l'éternel parasol Coca-cola de Momo.

Il me connaissait bien Momo, j'étais un régulier. Tellement tête en l'air. A chaque fois que je faisais mes courses - pas bien loin, au Franprix là-bas derrière la place - j'oubliais d'acheter quelque chose. Je faisais pourtant mes listes bien soigneusement, en notant tout dans l'ordre des rayons du magasin, mais bien souvent je les oubliais sur la toile cirée rouge pétante qui recouvrait ma tablette battante  de cuisine. Une véritable kitchenette de poche. J'en étais fier, elle était presque aussi grande que ma chambre. Mais là n'est pas la question, revenons-en à Momo.

Momo c'était un chouette type avec les réguliers comme moi. A cause de moi ou plutôt grâce à moi, parce qu'il voulait me faire plaisir, il s'est mis à proposer des plaquettes de beurre demi-sel et des galettes de sarrazin (là on se retrouvait, à croire que le blé noir est arabo-celtique...). Réminiscences de ma Bretagne natale. Et ici on n'est même pas à Montparnasse, pour vous dire un peu le coin pourri...Pas un biniou en vue ! Il en vendait pas mal en plus, je n'étais pas le seul à lui acheter ces articles du grand Ouest, y 'avait de la demande sans qu'il le sache. Du coup, il avait investi dans le cidre et en offrait toute une gamme, parce que les gens avec les galettes ils veulent du cidre, c'est normal. On en trouvait plein de sorte et de préférence du finistérien (t'en trouves même pas à Franprix du comme ça), pas du Normandie, ça c'est bon pour boire avec des tartes aux pommes.

Alors-là bien vu Momo ! Parce que désormais, je venais même chez toi quand j'avais bien fait toutes mes courses avec un plan de route si bien suivi que je n'avais rien oublié ! J'étais passé de régulier à ultra-régulier (parce que les galettes moi, c'était tous les vendredis soir en alternance avec l'oeuf à la coque... et comme son cidre était le meilleur du coin...). Malgré ça, on causait pas beaucoup Momo et moi, on était plutôt du genre taciturne mais on s'appréciait, ça se sentait. Mieux vaut parfois le silence aux mots inutiles, c'est bien souvent comme ça qu'on communique le mieux. Pourtant avant, le bagout c'était son truc à lui. Avant... mais depuis que sa femme l'avait quitté... Radical, net. Momo est devenu presque muet, fondu dans la parole utile, la phrase toujours exacte. Pas de mots vains.

Il y avait encore des gens qui venaient dans son épicerie. Tous ne venaient quand même pas que pour sa femme ! Son Sidi Brahim attirait quelques gosiers et son coca quelques ménagères...un super détachant faut dire. Et puis les noctambules et les nyctalopes existeront toujours. Bon faut bien avouer qu'elle était belle sa femme... un peu comme dans la chanson de Brassens mais en moins bloc de glace, alors forcément... Plutôt que le voile, elle avait mis les voiles ! Et Momo restait seul depuis, dans ce coin pourri, dans son épicerie de nuit, espérant qu'elle revienne une nuit, échouer sur le sable caché sous les pavés de sa rue.

Et à l'heure qu'il est, il l'attend toujours son voilier magique... Mais il sait qu'il viendra avec son étoile d'Alger, sa femme tant chérie. Il ne l'attend pas seul car veille avec lui, couché à ses pieds sous la caisse enregistreuse, son chien. Une petite caresse de temps en temps, plonger sa main dans le poil soyeux de son lévrier afghan, voilà ce qui l'aide à traverser les nuits qui passent les unes après les autres. C'est pour ça qu'il est ouvert toute la nuit, , Momo... parce qu'il attend. Et savoir attendre, c'est tout un art.

Publicité
Commentaires
C
C'est beau et touchant.
Répondre
T
J'adore la portée philosophique du texte :" savoir attendre c'est tout un art"
Répondre
V
tchin tchin le verre de l'amitié pour momo qui va pas nous quitter de sitôt
Répondre
M
Un texte très attachant ! C'est le coeur qui parle pour nous décrire cette attente très touchante !!!
Répondre
L
je l'avoue, je suis tout émue, et pourtant je ne connais pas Momo...mais je commence à connaître l'art de Sébarjo
Répondre
V
Il existe des arts invisibles. Et si en plus ils se cachent au fin fond d'une épicerie de quartier, on a forcément besoin d'un Sebarjo pour nous en révéler l'existence.<br /> Chuuut! On dira rien... sauf bravo
Répondre
J
Superbe ! Tout y est : Brassens, le chien, le ton Sebarjo, la Bretagne, l'humanité. On aimerait t'avoir pour voisin du dessus !
Répondre
W
Bravo, Sebarjo ! Sans la référence à Beaubourg, je me serais cru à Belleville avec la famille Malaussène et Pennac.
Répondre
J
Écrire un tel texte, c'est tout un art aussi, sebarjo. Bravíssimo, c'est vraiment, vraiment riche en détails, images, astuces, c'est vraiment très réussi !
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité