Défi #123
Pour le 123ème défi nous vous proposons de
Marier la carpe avec le lapin
-sur une idée de Papistache-
Envoyez nous vos faire-part de mariage
Pour le défi #122
Embouteillus congestus (Vegas sur sarthe)
"Bon Dieu! Qu'est-ce que vous glandez?"
Saint Pierre jeta un regard en coin à saint Paul puis fit mine de se concentrer sur ses écrans.
Quand le patron commençait par Bon Dieu, c'est qu'il allait y
avoir du grabuge au ciel.
"C'est quoi tous ces cirrus castellanus au dessus de New York un dimanche après-midi?"
"Euh... Seigneur, on a dû laisser passer deux cumulus congestus à destination de Vancouver, alors forcément ça bouchonne"
"Combien
de fois devrais-je le répéter? Je ne veux voir que des stratus fractus
et des altostratus radiatus sur New York quand c'est mon jour... enfin
le jour du Seigneur!"
Saint Paul riait sous chasuble, les altostratus radiatus, ça le faisait toujours marrer.
En
quelques coups de joystick, saint Pierre venait de ramener du grand
bleu sur tout le territoire américain quand un troupeau de cirrus
vertebratus s'annonça par l'Est.
Heureusement le Seigneur avait
tourné les talons en grommelant "Qu'est ce qui m'a inventé des
aiguilleurs pareils!" comme s'il ignorait la réponse.
Le joystick s'affola un instant mais le troupeau, évitant de justesse un altocumulus translucidus surgi du néant
prit son tour dans la file d'attente derrière une marmaille excitée de cirrus floccus en route pour Las Vegas...
La
circulation dominicale était devenue intolérable et saint Pierre aurait
volontiers pris sa retraite s'il avait eu tous ses siècles de
cotisation.
"Attention devant!!" hurla saint Paul.
Deux stratocumulus mammatus venaient d'entrer en collision sur les îles britanniques.
Saint
Pierre remit à plus tard son calcul séculaire pour établir le constat;
cette faute d'inattention allait encore lui coûter un point sur son
permis d'aiguilleur.
"Fais gaffe quand même" ronchonna saint Paul "on
a encore un cirrostratus nebulosus et quelques altostratus duplicatus
programmés dans cinq minutes!"
"Tu déconnes Paulo! Moi j'ai des nimbostratus pannus".
"N'importe
quoi, Pierrot... y a jamais de pannus pour la Toussaint, le patron les
remplace par des cumulonimbus capillatus au prétexte que ça arrose
mieux".
Saint Pierre
promena un regard éteint sur ses écrans de contrôle; dire qu'autrefois
on collait un bon gros cirrocumulus lacunosus sur tout le globe jusqu'à
la saint Hubert et basta!!
Depuis que la Trinité avait édité son nouveau catalogue de nuages automne-hiver, le ciel devenait vraiment ingérable.
Béat,
saint Paul avait remis son walkman et se balançait sur un air qu'il
kiffait grave... un truc d'un certain Django Reinhardt.
Frayures (tiniak)
Poussières, chapelure
de nos terres trop dures
vos amas que le vent soulève
ne peuvent pas se prêter au rêve
comme ce chapelet
de nuages mouvants
que je persiste à renouer
avec mes yeux, mes mains enfants
pour le plaisir étrange
de se prendre à frayer avec les anges
Montagne, césure
perditions d'aventures
ton collet s'offre des boas
que l'horizon ne t'envie pas
qui ceignent
la pelade à ton cou de vieille teigne
Aboie, chienne d'aurore
Ce n'est pas devant toi que s'égaillent ces ors
c'est plutôt qu'il leur reste à faire
en moins d'une journée
le tour de notre sphère
avant d'aller pleurer
à l'insu des étoiles
sur les landes, les mers et les bateaux à voile
QUE VOUS INSPIRENT LES NUAGES ? (Lorraine)
Où vas-tu, nuage
Calèche de pluie
Ou muraille errante
Tu navigues
Loin
Qui es-tu, nuage
Edredon joufflu
Ou montagne lente
Tu progresses
Loin
Que fais-tu, nuage
Ailes étendues
Comme un oiseau ivre
Tu t’emballes
Loin
Où es-tu, nuage
Portail enneigé
Lourde ombrelle chue
Tu ruisselles
Pluie…`
Out of office (Walrus)
Dès que j'ai lu "nuages", Django m'est immédiatement venu à l'esprit, comme à celui de Vegas (ben oui, comme c'est moi qui ai mis en ligne sa participation, j'ai bien dû en voir la chute).
Alors, je me suis rabattu sur "Colchiques dans les prés", mais la fin de l'été m'a déjà semblé lointaine aujourd'hui.
Puis, j'ai pensé à réaliser un machin en deux colonnes :
- à gauche tous les poncifs parlant de légèreté, d'ouate, d'ailes vaporeuses, de douce lumière...
- à droite ceux lourds, noirs et menaçants, annonciateurs de calamités variées
mais je me suis dit que j'allais me faire chier à mettre ça en page rien qu'avec l'éditeur de Canalblog
Après, j'ai visualisé la petite voie lactée qui se développe dans la tasse de thé lorsqu'on y verse un nuage de lait, mais Maurois avait déjà fait le coup avec Aurelle et le Colonel Bramble (ou était-ce le Docteur O'Grady ?)
J'ai même évoqué cette nuée ardente de l'Exode (24), mais j'aime pas Charlton Heston.
Si bien qu'au bout du compte, je n'étais plus sur mon nuage, je suis tombé des nues et j'ai décidé de ne rien faire.
Je suis confiant dans votre talent : vous ferez très bien sans moi !
on ze road (Poupoune)
On n’en était qu’à la deuxième heure de route et le gosse demandait déjà pour la huitième fois à jouer aux nuages. Même sa mère commençait à sentir qu’il allait pas falloir que la plaisanterie dure trop longtemps. Surtout qu’en pleine savane à cette époque de l’année, c’était pas tant les formes rigolotes, mais surtout les nuages, qu’étaient durs à trouver.
Je l’avais dit, moi… Les gosses, c’est chiant, et ceux des autres c’est toujours pire. Alors cinq d’un coup… Bon : on a quand même eu de la chance, on n’a eu qu’un seul vomi et y en a quatre qui dorment. Y a que celui-là, là, avec ses nuages… mais il est au moins chiant comme six ou sept. Quand c’est pas les nuages, il veut jouer à trouver quelque chose qui commence par une lettre, alors que ça va faire une heure qu’à part quelques arbustes maigrichons, y a rien à voir. Et ce con de môme n’a toujours pas dit « le premier qui trouve un truc qui commence par a »… Autant dire qu’il entame sérieusement la patience et le sang froid de tout le monde. Sans compter qu’il reste au bas mot quatre à cinq heures de routes défoncées et de pistes poussiéreuses, ce qui est amplement suffisant pour nous mettre sur les nerfs sans que ce foutu marmot n’en rajoute.
Les autres parents sont stoïques, j’admire. Je suis sûr qu’ils ont tous envie de lui coller une baffe, au môme, mais y en a pas un qui moufte, ils regardent chacun leurs gosses somnolents et se félicitent sans doute de ne pas avoir à assumer l’emmerdeur. Même le père de la petite qu’a vomi a l’air plus à l’aise que la mère du boulet.
Il faudrait vraiment qu’il se calme rapidement… Surtout qu’à force de pas en trouver, des nuages, il en invente : « Là-bas, là-bas ! Un nuage en forme de cheeseburger ! T’as vu, T’as vu ?... Ah non. C’est du sable. » Avec son cheeseburger, ce con a réveillé deux gamins qui se sont mis à pleurnicher qu’ils avaient faim. S’en est fallu de peu que je lui en colle une, là. Entre les deux yeux. Mais j’étais déjà pas d’accord pour les enlever, alors c’était sûrement pas pour en buter un à la première contrariété.
Entre deux jeux foireux avec ses nuages, le môme gigotait sans cesse, commentait tout ce qu’il voyait et comme il n’y avait rien à voir… Non, vraiment, je sais bien que les enfants sont pleins de vie et de cette spontanéité gnagnagna, mais y en a quand même qui méritent juste de finir bâillonnés sur le toit des camions. Enfin si ça avait été mon gosse plutôt qu’un otage, c’est ce que j’aurais fait. Mais là, je pouvais pas. Déjà que j’étais sûr qu’enlever des mômes nuirait au capital sympathie du mouvement, si en plus on le traitait pas comme il fallait… Alors j’ai pris sur moi. J’ai compté mes cartouches en imaginant ce que chacune pourrait faire dans le petit corps agité du chiard. Ça m’a drôlement calmé. Je l’entendais pour ainsi dire plus. En plus quelqu’un lui a proposé de jouer au roi du silence. Une bonne idée. Pendant environ quarante-deux secondes, jusqu’à ce qu’il hurle « Et si on jouait plutôt à trouver des nuages en forme de trucs qui commencent par a ? ».
Là, j’ai pas tout de suite compris ce qui se passait, mais quand je me suis retourné j’ai vu sa mère lui écraser à plusieurs reprises le visage contre la vitre, qui a fini par exploser sous l’impact. Le môme pissait le sang et sa mère l’a carrément balancé par la fenêtre, le livrant dans un nuage de poussière en pâture aux hyènes et aux vautours.
La fin du voyage a été beaucoup plus tranquille.
Mais j’étais sûr que d’une manière ou d’une autre ça nous retomberait dessus et qu’on nous reprocherait la mort du gosse. Ça n’allait pas du tout, du tout servir la cause.
Nuages (Sebarjo)
Nuages Nuages (c'est la lutte fiscale)*
Au
d'ssus des vols de pélicans
Glissent des moutons sous les tapis
du vent
Nuages nuages
Très légèrement
De voyages en pèlerinages
De châteaux d'Espagne en parachutes dorés
Nuages
nuages
Sans heurt, évaporés
Pour l'bien du capital
Des
idées fiscales
Rivières d'argent
Refrain
Nuages
nuages
Dans
l'espace infini de l'azur
Nuages
Jusqu'au bout de l'aventure
Nuages nuages
Reflets dans un seau laqué de
peinture
Nuage
Dans le ciel, cette boursouflure
Sur
la fange et les coins zone,
Sur les yachts, les rolex et leur
faune
Nuages nuages
Dans tout le royaume
Sur les thunes
de la Carla
et
en pluie sur les OPA
Nuage nuage
Ne t'arrête pas
Fout
un' tremp' aux révoltés
Arrose les bons bardés
De ta pluie
de monnaie
Refrain
Nuages
nuages
Dans
l'espace infini de l'azur
Nuages
Iront droit dans le
mur
Nuages nuages
Reflets dans un seau laqué de
peinture
Nuage
Dans le ciel, cette boursouflure
Pour
l'bien du Capital
Des idées fiscales
Chutent lourdement
Nuages nuages
Dans
l'espace infini de l'azur
Nuages
Iront
droit dans le mur
Nuages nuages
Reflets dans un seau laqué de
peinture
Nuage
Dans le ciel, cette boursouflure
*Libéralement
adapté de Voyage
Voyage
de Desireless)
Chmury (Berthoise)
Ce défi, je ne peux pas le laisser passer sans y participer. Voilà
une occasion rêvée de vous raconter ma vie. J'adore raconter ma vie. Qui
bien sûr vous passionne.
Quand j'étais jeune, j'aimais la poésie.
L'âge venant, elle a tendance à me casser les pieds, mais passer un
certain âge, tout vous ennuie, c'est même à ça qu'on reconnait qu'on
vieillit. J'aimais en particulier Baudelaire, j'aimais bien aussi
Prévert, Aragon, Desnos et Apollinaire. Mais j'aimais surtout
Baudelaire. Bon, je l'aime encore un peu et suis capable vous réciter ou
déclamer si j'ai bu, quelques-uns de ses poèmes.
Le poème de
Baudelaire cité dans la consigne, je le connaissais par cœur oui, par
cœur. J'étais jeune, il me semble vous l'avoir déjà dit et quand j'étais
jeune, je n'étais pas sage, ça je vous l'ai déjà dit aussi. Ce
soir-là, je rencontrai Vojteck, un garçon Polonais qui venait passer
quelques jours chez son oncle, un copain de bistrot. Oui quand j'étais
jeune, non seulement je n'étais pas sage, mais en plus je traînais les
bistrots.
Donc ce soir-là, je rencontre Vojteck, un étranger. Je le trouve à mon goût, le lui montre. Il a l'air d'apprécier et nous voilà partis bras dessus, bras dessous, dans un logement que l'oncle nous prête pour l'occasion. Comme mon polonais laisse à désirer, et que Vojteck ne parle pas un mot de français, notre conversation est restreinte. Comme je suis un peu gaie et que l'ivresse me rend lyrique, je lui déclame des poèmes en lui faisant des papouilles et me mets en tête de lui expliquer le sens de celui-ci. En cette occasion, j'apprends même à dire nuage en polonais. Le croirez-vous, j'ai oublié depuis.
Voici ce que j'ai trouvé en cherchant sur la toile : chmury. Vous pouvez cliquer, vous entendrez.
Dans mon souvenir, c'était plus caressant.
No futurisme (Joe Krapov)
Le nuage en pantalon
N’aura pas vu venir
Le coup de revolver
Qui mit Maïakovsky
Echec et mat.
Rien n’est plus silencieux
Ni plus indifférent
Que ces moutons informes
Qui passent en silence
Au-dessus de nos têtes
Et cachent le soleil,
Témoins muets et neutres
D’un cycle permanent
De romans policiers
Où l’homme rivalise
Avec la main de Dieu.
La fumée des canons,
La cendre des volcans,
Les cheminées d’usines,
Rien n’atteint jamais
Ces coursiers hautains.
Seul parfois quelque pic
Transperce leur secret
Mais le berger se perd
Dans leur brouillard intime,
Dans leur cercueil ouaté.
Moi qui marche dans la plaine
Je les aime rosés par-dessus la Vilaine
Et j’apprécie qu’ils y noient
Leur peu de poids,
Leur peu de foi
Car après tout
Ils sont fragiles comme nous :
Un peu de dépression
Et les nuages en pantalon…
Trois petits tours… et pluie s’en vont !
Quand Dieu fumait sa pipe (Joye)
- Sophie, viens ! cria Maman.
Ce jour-là, j’étais en train de gronder Lapin qui n’avait pas fait ses devoirs, mais je l’ai laissé devant l’ardoise avec les autres poupées, parce que l’on ne devait jamais être trop occupée pour répondre à Maman. Sinon, on risquait une petite tape qui servait de rappel.
- Oui, maman ? dis-je en arrivant à la cuisine.
- Il fait si chaud aujourd’hui ! Porte ce verre d’eau à ton grand-père dans le jardin et demande-lui s’il veut déjeuner avec nous.
Je pris le verre dans les deux mains et sortis de la maison, allant lentement jusqu’à l’orme où mon grand-père était assis sous l’ombre. J’avais appris à ne pas courir. Lorsque je courais, l’eau ne restait jamais dans le verre.
- Tiens, Papy, tu veux de l’eau ?
Papy ne prit pas le verre, alors, je le mis soigneusement par terre à côté de lui. Il était sans doute fatigué, ayant passé la matinée à bêcher les chardons qui poussaient dans les longs rangs de maïs qui traversaient les champs de son fils. Papa aurait pu y passer avec son tracteur, mais mon grand-père, dur et angulaire, n’était pas le genre d’homme à ne rien faire de sa journée. Même s’il faisait très chaud, comme ce jour-là.
Je m’assis par terre à côté de lui. Mes petits pieds dodus, nus et sales, arrivaient au niveau de ses maigres cuisses sous son pantalon poussiéreux. Je me demandais si un jour mes jambes seraient aussi longues que les siennes, une chose qui me semblait impossible.
Quelques brins d’herbe me piquaient les jambes nues. Une mouche vrombissait autour de nos têtes. Je regardai les petites gouttes de sueur aux tempes grises de mon grand-père. Elles semblaient attendre que la grosse veine bleue zigzaguant juste au-dessous sa peau s’y éclate.
D’un coup, je me souvins de la question de maman.
- Maman veut savoir si tu veux déjeuner avec nous ?
Il grogna entre ses petites dents jaunes et carrées qui serraient la tige de sa pipe. Le tabac sentait bon.
- D’accord, dis-je, mais je ne me pressai pas pour rentrer le dire à maman. Je savais que maman ferait assez de pommes de terre pour nous tous : Papa, mes frères, Papy, maman et moi.
Je regardai les taches du ciel bleu entre le noir des feuilles et j’attendis que Papy me parle.
Mais ce jour-là, Papy fumait sa pipe et regardait le ciel. Je pensai à lui demander l’heure. Papy savait toujours l’heure précise, miraculeusement, parce qu’il ne portait jamais de montre.
- Papy, quelle heure il est ?
Il ne répondit pas.
J’en avais l’habitude. Ce n’était pas un homme qui parlait beaucoup.
Je regardai les nuages dans le ciel. Ils étaient gros et blancs, comme des moutons qu’on avait oublié de tondre. Mais plus propres. Pas comme les vrais moutons dans la ferme. Plus comme les moutons dans les dessins animés. C’était Papy qui m’avait dit qu’il y avait des nuages comme ça quand Dieu fumait sa pipe. J’avais ri à penser que Dieu était un vieux comme mon Papy, qui fumait une pipe, comme lui, et qui savait quand tu disais un mensonge. Je me demandais si Dieu bêchait aussi les champs de Jésus. J’étais sur le point de poser la question à Papy, mais je vis qu’il avait fermé les yeux. Papy aimait faire la sieste quelquefois.
- Sophie ! C’était la voix de maman. À table !
Je courus à la maison. C’était toujours à moi de mettre le bassin d’eau sur la véranda afin que Papy et mes frères se lavent avant de manger.
La porte claqua derrière moi.
- Papy, il ne vient pas ? demanda Maman, en train de remplir les verres sur la table.
- Si, je crois, lui répondis-je avant d’aller chercher le vieux bassin et des serviettes.
Maman dut regarder par la fenêtre. Dans la salle d’eau, j’entendis le son de la cruche qui cassait, quelques pas rapides sur le plancher de la cuisine, la porte qui claquait, et puis la voix de ma maman au jardin, hurlant « Eugène ! Eugène ! ».
Ce jour-là, Papy ne répondit pas.
PAR DELA LES NUAGES (Cédille)
Tu sais, m'avait-elle dit un jour, lorsque j'étais morte je n'avais nul besoin de gloire éphémère et les bonheurs d'ici-bas ne m'étaient rien de plus que la sensation d'une eau tiède coulant sur un visage. Je ne comptais pas mieux qu'une carcasse de mésange rongée par les renards. C'était tranquille et sans douleur là-bas. Craindre, gémir, pleurer, peiner, souffrir n'étaient que peccadilles, aucun sentiment ne venait troubler ma quiétude.
Las ! Ceci ne dura pas. Un cri venant d'en bas parvint un jour jusqu'à moi. Quelqu'un avait franchi la Porte des Temps d'Avant. Alors les vents se levèrent, hurlèrent et détruisirent peu à peu ma félicité. Un soir les nuages s'entrouvrirent, vomirent leurs fleuves d'encre, crachèrent leurs volutes d'outrance, et laissèrent apparaître des lambeaux de ce bleu que je déteste tant ! Il fallu revenir, traverser les temps morcelés, et c'est à reculons que je rejoignit l'ère des sacrifices, là où vos doigts vengeurs se pointent vers les agonisants afin de leur porter l'estocade !
Et c'est ainsi que me voici devant toi, au cœur des temps de désolation, de l'orgueil et du désespoir. Que vos lendemains sont lourds à porter et quel terrible sort attend vos enfants perdus !
C'est ce qu'elle m'avait dit un jour, alors que nous courions devant l'approche des nuages de plomb annonçant l'orage.
Poudre d'escampette (Séb B)
Peter Pan m'a confié sa poudre d'escampette
or
j'ai soufflé sur les toits mes mines de crayon
comme on soufflerait la neige dans la tempête
- donc tout m'est revenu, ailes sans papillon.
J'ai relevé le crâne ourlé des solitudes
vers ce monde où jadis Peter Pan étirait
mes regards et j'ai vu dans cette multitude
ton regard déposé plein d'or par une fée
j'ai entrouvert le ciel téméraire orphelin
des amours humaines pour enrouler ton sein
sur ma peau oubliée des bises et du temps
et le brouillard s'est mû en ton visage ardent
les nuages alors sur les toboggans qu'hier
encore Jacob prit pour de durs escaliers
devinrent nos jouets nos zélés messagers
et l'axe de nos yeux depuis crée l'univers
Poème écrit pour Koala, mon nuage mi-brouillard boudeur, mi-nuée vivifiante.
Défi de Mouna
La petite fille sage et studieuse venait d’être appelée par le maire de la ville pour la remise des prix. « Edwige Romano » entendit-elle dans le haut parleur. Prix d’honneur.
La petite fille sérieuse, sous le regard fier de ses parents, monta sur l’estrade et alla se faire remettre son prix des mains de Mr le Maire : un beau livre d’enfants comme toutes les années.
Edwige était impatiente ; elle n’oubliait pas que le dernier livre qu’elle avait « lu », c’était celui qu’elle avait volé chez le libraire. Elle se souvient : c’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour regarder de nouvelles images, déchiffrer de nouveaux mots, et ainsi partir en voyage… Quand ses parents s’étaient finalement aperçus du larcin, il avait fallu rendre le livre. Quelle honte mais quel déchirement aussi que cette séparation d’un livre devenu son ami.
« Perlette goutte d’eau » tel était le titre de son livre prix d’honneur
C’est l’histoire d’une petite goutte d’eau qui vit avec toutes ses sœurs sur un nuage. Elle s’ennuie, elle est curieuse et impatiente; elle veut partir tout de suite pour aller visiter la terre ; elle ne veut pas attendre la pluie ; ses sœurs tentent toutes de l’en dissuader.
En vain. Perlette s’approche du bord du nuage et saute, en poussant un cri de plaisir.
Si la petite Edwige Romano se découvre et reste fascinée par toutes les aventures terrestres et humaines qui se présentent à Perlette, elle engrange inconsciemment tout un imaginaire sur la vie des nuages qui va l’accompagner longtemps.
Après Perlette, jamais plus de sa vie d’enfant, Edwige ne saura regarder les nuages comme des nuages. Et surtout pas comme des cumulus, nimbus et autres cirrus…
Chaque nuage est un grand coussin moelleux qui abrite une colonie de petites gouttes translucides, toutes délurées, bavardes, sans cesse en rires et en chamailles.
Dès qu’elle peut, Edwige regarde le ciel et guette les nuages
Nuage indolent promenant mille perlettes orangées au soleil couchant,
Nuage électrique aux perlettes noires et grondantes à l’approche d’un orage,
Nuages blancs, nuages gris, nuages roses … des millions de perlettes et des milliers d’histoires pour une seule toute petite fille.
Et puis un jour Edwige Romano connut son premier émoi. Elle s’aperçut soudain qu’elle ne pouvait plus jouer avec son petit voisin Philippe, qu’elle ne pouvait plus lui parler, le bousculer, se moquer de lui avec ses copines. Elle le guettait au bout du chemin, et détournait son regard quand elle le voyait ; au fond d’elle, elle avait de drôles de sensations, des pincements, des frissons, des petites caresses.
Sans s’en apercevoir, elle oublia le petit monde animé, bruyant, coloré et joyeux de ses nuages d’enfant.
Son nouveau plaisir solitaire était maintenant de s’allonger dans la prairie, et de laisser les dessins des nuages s’imprégner de ses désirs : un visage, des mains, un cœur, un frôlement, une rencontre. Si le nuage lune va se fondre dans le nuage fleur, alors c’est sûr, il m’aime, il m’aimera.
Elle ne devait surtout pas les perdre des yeux ; il lui fallait les soutenir, les aider, les convaincre.
Parfois elle trichait un peu et s’arrangeait avec les formes et les trajectoires ; mais qu’importe. Philippe l’aimerait. Philippe l’aima. Ensemble ils composèrent de beaux tableaux célestes et quelques enfants aussi.
Aujourd’hui qu’elle est une vieille dame, que de nombreux êtres chers l’ont définitivement quittée, Edwige guette l’éternel dans le ciel, elle guette le rayon divin, celui qui va scintiller de tous ses feux entre les nuages ; quand il vient, quand il brille, quand il éclate et se duplique, elle est émue, elle se sent toute petite, toute fragile.
Elle sait qu’un jour, dans la chaleur de l’été elle aussi partira, aspirée vers là-bas ; comme Perlette, toute évaporée, qui est, au terme de son aventure, remontée sur son nuage. De tout cela Edwige se souvient et elle sourit.
Incarnations (Pivoine)
Merveilleux nuages
Floconneux zéphyrins
Tout rosés
Dans mon imaginaire
Etes-vous d'aquarelle ou sensationnel pastel ?
Et pour ce vieil ami qui s'appelle "Nuages"
Pour ses mots, ses ciels orangés étrangers
Américains roumains
Ses nuages d'ici et ses paysages d'ailleurs
Aurai-je quelques mots une pensée
Une écharpe de brume
Ô mes pluvieux nuages belgicains
Lourds et noirs comme un zinc un Assommoir
Quand la fange des forêts s'enfonce sous mes pas
Et que le pavé gras de la ville luit dans le soir
Comptez aussi
Les vaporeux mètres de tulle des coiffes de mariée
Les voilettes d'ivoire des élégantes sur les podiums
Ces ports de reine ces saluts orgueilleux
Ce maquillage de femme
Tout en velours
Et plus prosaïquement
Un nuage de lait pour mon café-crème
S'il vous plaît
Faites-moi le cadeau
D'un solide arabica dans ma tasse aux oiseaux
Que ma Tournée de vie
Telle un cheval fougueux
Lancé au grand galop
S'enflamme de couleurs
Et de parfums brûlés
Illustration : Le parc de La Hulpe, pastel, 2006.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
C'est l'été (MAP)
Et les gouttes de pluie
s’échappent une à une
profitant de l’aubaine :
…………………….
« J’en avais bien assez
d’être ainsi enfermée ! »
dit l’une à sa voisine
en sautant de concert.
« Eh bien je te comprends
moi même j’avais hâte
de sortir prendre l’air.
Nous voyageons beaucoup
et c’est bien agréable,
cependant nos voyages
sont inorganisés,
ils dépendent surtout
du bon vouloir du vent !
Nous n’avons donc qu’à suivre
et jamais rien à dire !
Nous ne savons jamais
où nous allons tomber. »
« Oui, cela me dégoûte ! »
répondit l’autre goutte.
« Moi j’voudrais bien goûter ! »
ajoute la petite
prénommée Giboulée.
……………………….
Ainsi tombent les gouttes
dans les champs, sur les routes
ravivant les senteurs
désaltérant les fleurs
glissant dans les gouttières
se mêlant à la mer …
……………………….
C’est l’été et il pleut
le soleil fait la sieste
jusqu’à ce que son lit
devenu trop léger
ait fondu tout entier !