TRESOR (Joye)
Errant dans la brume le long du quai, je me demandais pourquoi je n’avais pas dépensé mes sous rarissimes pour une destination plus chaude. Mais l’envie de revoir mon Hexagone bien-aimé – et de parler encore une fois le français – m’avait ramenée en Europe. Il faisait froid et j’essayais de marcher un peu plus vite, louchant vainement pour repérer quelques monuments flous.
D’un coup, je revis la vieille caravane, ses couleurs muettes un peu plus fatiguées que la dernière fois. J’avais bien voulu y entrer quelques années auparavant avec une copine pour consulter la clairvoyante qui logeait dedans, mais ma compagne, Sally, une Américaine nec plus pragmatique, avait répondu :
- Elle sait que nous sommes là. Si elle veut nous voir, elle sortira.
Malheureusement, la dame ne sortit pas, Sally eut raison, et nous repartîmes prendre un thé.
Mais cette fois-ci, j’étais seule, Sally était loin et Madame Ana – qui promettait de révéler les richesses pour tout un chacun – se faisait encore prier. Moins pragmatique que Sally, je montai les petites marches et frappai à la porte.
- Entrez ! vint une voix de l’intérieur.
J’entrai. Je ne voyais pas mieux qu’à l’extérieur, mais peu à peu, mes yeux s’accoutumèrent à l’obscurité du petit wagon.
- Allez, allez, asseyez-vous, vous voulez que je vous révèle des trésors ? Faites voir votre paume, dit la dame.
Je vis mal son visage, mais sa voix était laide et rauque. Toutefois, je tendis ma main qui tenait un billet de cinq euros. Elle prit le billet et le remplaça d’un bout de papier. Je m’efforçai de lire les mots griffonnés dessus :
ASSAUT REGLE RAFLE : CONSTERNATION.
- Voilà, ma belle, bonne soirée !
Elle me congédiait ? Déjà ? Comme ça ?
- Mais je ne comprends pas, Madame !
- Ah, ah, je vois, vous n’êtes pas d’ici, hein ?
- Non.
- Mais vous comprenez le français ?
- Ben oui.
- Alors, faites un effort, vous trouverez… et elle remplaça le morceau de papier avec un autre qui disait :
CONTESTATAIRE RONFLEUR, SENS GALA !
- Contestataire ronfleur, sens gala ? Mais c’est quoi ce charabia ?
- Charabia ? Charabia ? Vous dites parler français, vous êtes venue me consulter, et vous osez me dire que c’est du charabia ? Vous ne manquez pas de culot, hein, vous les…les… Sa voix devint plus rauque, elle se mit à tousser abominablement. J’entendis le son d’un verre posé abruptement sur la table, elle se versait sans doute à boire dans l’ombre.
- Excusez-moi, madame, c’est juste que je ne comprends pas ce que vous voulez dire !
- Allez, petite Ricaine, rien que pour vos beaux yeux bleus, je vous fais une dernière, mais là, je vous préviens, c’est la dernière !
Et pour la troisième fois, un morceau de papier parut sur ma paume, et cette fois-ci, je lus :
LA TRANSGRESSION ÉTALE UN ACTE FOR !
Je n’aurais pas dû, mais je ne pus pas me retenir, et je répondis :
- Sans « t » ?
- À la bonne vôtre, ma chère ! rigola-t-elle et avala bruyamment son verre.
Je me levai. Je sus que l’interview était terminée et que je m’étais fait avoir.
- Et bien, merci beaucoup, madame…madame ?
- Ana. Ana Graeme.
Je repartis. Au dehors, il pleuvait, mais comme pénitence, je décidai de rentrer à pied. Cela m’apprendrait à faire des folies idiotes, voulant revivre une période de ma vie qui était visiblement terminée.
Trois jours plus tard, je repris l’avion et pendant que je somnolais entre deux mauvais films dans mon siège incommode, le message d’Ana Graeme me devint enfin clair.
Je souris. Mais quelle imbécile ! Le sens rayonnait derrière mes paupières mi-closes :
LA LANGUE FRANÇAISE EST TON TRÉSOR !
Eh oui.
En effet.