Le curieux (Berthoise)
J'ai tout entendu. Mais je n'ai rien dit, rien répété.
J'ai tout
entendu, j'ai l'oreille fine. J'ai tout entendu et j'ai même écouté.
J'ai compris. J'ai compris que je devais me taire. Ce n'était pas beau,
pas bien joli ce qui était dit là. J'ai tout entendu et puis j'ai
compris. Il m'a fallu tendre l'oreille, faire taire le brouhaha de mes
pensées, mais j'ai compris. Et ce n'était pas joli. Il aurait mieux valu
que les paroles se perdent. Un secret si vilain, il faut l'enterrer,
il faut l'oublier. Que vais-je faire de lui, maintenant que je sais ?
Me voici, chargé comme un baudet d'un bât qui me blesse. Comment
oublier. On dit que seuls les écrits restent, que les paroles
s'envolent. Mais certaines paroles sont plombées, grises, ternes et
lourdes, on est loin de l'argent. Et mon silence ... de l'or, me
dit-on, le silence vaut de l'or. Je vais être riche si mon silence vaut
de l'or, car je sais bien me taire. Mais ce terrible secret tapi dans
mes tourments, dois-je vraiment le taire ?
J'ai tout entendu, et je
n'ai rien dit. J'ai tout tu. Et je m'en veux maintenant. Je m'en veux
d'être curieux. Que faire de ce secret ? Faut-il l'oublier ou au moins
faire semblant ? Faut-il qu'à mon tour je creuse un gouffre pour l'y
enfouir ? Faut-il le hurler dans le vent face à la mer ? Faut-il le
confier au bois, aux arbres, aux feuilles qui bruissent doucement ?
Je vais courir et m'étourdir, le semer loin derrière moi. À chaque pas, je dirai un mot de ce terrible secret. Quand j'aurai fini ma course, je n'aurai plus de souffle. J'aurai oublié.