Mais que deviennent-ils les doudous perdus par les petits enfants ?

Il lui est arrivé bien souvent de voir des chambres de maternité. Le visiteur qui s’amenait avec un doudou avait l’air fin : l’endroit ressemblait chaque fois immanquablement à la succursale bien achalandée d’un marchand de jouets spécialisé dans les articles pour nourrissons.

Il lui est arrivé aussi de voir des lits de jeunes filles. Souvent elle se demandait combien de temps ça prenait, chaque jour, pour placer dans ce bel ordre hiérarchique cette riche collection de doudous. Et aussi comment la jeune fille s’y prenait pour trouver le moyen de se glisser elle-même, aussi menue soit-elle, entre ces draps, sans déranger ce bel agencement.

Il lui est même arrivé quelques fois de voir des greniers de futures grands-mères. L’espoir y faisait vivre une armée de doudous. Comme dans le château de la Belle au Bois dormant, ils attendaient – sans prendre une ride – qu’un petit prince vienne réveiller toute la ménagerie ensommeillée.

Elle aussi a eu un doudou. Unique et précieux. Un gros nounours qui tendait deux petits bras tout raides. Il était habillé d’un tricot à rayures et de la petite culotte assortie, vêtements qu’elle avait portés elle-même jusqu’à ses dix-huit mois. Il s’appelait Nounours, tout simplement. Il comprenait beaucoup de choses. Souvent, elle le serrait contre son cœur. Très fort.

Elle n’avait pas le droit de le prendre dans son lit. Alors elle l’asseyait sur une chaise où il attendait toujours patiemment, arbitre et témoin de ses moindres faits et gestes.

Puis il y eut le petit frère avec qui il fallut peu à peu tout partager. Il avait une étrange prédilection pour les quelques objets auxquels elle tenait le plus. Un jour qu’elle était à l’école, il arracha les yeux de Nounours. Elle en pleura. Sa mère ne comprit pas son chagrin. Pleure-t-on pour un Nounours quand on est une grande fille de bientôt sept ans ?

Il lui arracha aussi un des ses petits bras qu’il tendait pourtant avec tant de tendresse. Il lui déchira son tricot à rayures. Sa grand-mère a recousu le bras. On lui a enlevé son petit tricot. Nu et aveugle, il lui inspirait encore plus d’amour.

Elle était tout le temps inquiète pour lui. Qu’aurait-il encore à subir ?

Un jour, elle ne le trouva pas sur sa chaise. Elle le chercha partout.

- Je l’ai jeté à la poubelle, dit sa mère.