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Le défi du samedi
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11 septembre 2010

PATRIMOINE (Adrienne)

Ce matin-là, ils avaient décidé de faire une randonnée vers les hauteurs. Un joli sentier partait du hameau, traversait des forêts et des alpages. Tout était beau, lumineux, frais, parfumé, tranquille.

Le sentier grimpait. Ils ne rencontraient personne et marchaient pourtant depuis quelques heures.

Au détour du chemin, tout à coup, une grosse cabane. Une sorte d’étable sur pilotis. Quelques vaches aux alentours, qui en broutant faisaient tinter doucement la cloche accrochée autour de leur cou. Il y avait différentes notes qui faisaient penser aux premières mesures du Pierrot lunaire.

Un homme est sorti de l’étable et s’est avancé vers eux. Il parlait un dialecte  à consonance germanique qu’ils ne comprenaient pas très bien et lui ne comprenait aucune autre langue que celle-là. Pourtant, ils se sont compris. Il les a invités à l’intérieur. Ils l’ont suivi. Ils sentaient bien que refuser, ce serait lui faire un affront.

Il leur a fait signe de s’asseoir. Ils ont deviné à son geste qu’il s’excusait pour le désordre. Il n’y avait pas de véritable désordre, juste un intérieur sombre, très rustique, d’un homme vivant seul et qui ne reçoit jamais de visites. Il y avait une table en bois grossier, et deux banquettes. Ils se sont installés. Au travers des fentes dans le plancher, ils pouvaient voir les litières des vaches. L’homme a disparu dans un appentis.

Quand il est revenu, quelques minutes plus tard, il a déposé devant eux deux grands bols de faïence remplis de lait. Puis il est reparti dans les profondeurs de l’étable. Elle a jeté un regard désolé vers son compagnon : du lait, un bol plein de lait, elle à qui la moindre gorgée, l’odeur même du lait donne des nausées...

Revoilà l’homme. Avec un bloc de fromage, une motte de beurre et un grand pain gris déjà bien entamé. Son pain de la semaine, ont-ils compris par la suite, que quelqu’un du village venait lui apporter le samedi. Lui ne redescendrait qu’à l’automne. Là-haut, tout là-haut, il restait seul tout l’été, avec ses vaches, leur lait, le beurre et le fromage qu’il faisait lui-même. Dans sa cabane-étable tout en bois sur pilotis.

Il les incitait à boire, à manger. Elle a précautionneusement posé les lèvres contre le bord du bol de lait : il avait le parfum et le goût de toutes les fleurs de la montagne. Jamais au grand jamais elle n’a bu un lait comme celui-là, ni avant ni après ce jour.

Il y a trente ans de cela. Aujourd’hui, il n’est plus permis de conserver du lait, d’en faire du beurre ou du fromage, si le local n’est pas carrelé du haut en bas, nettoyé au jet d’eau, désinfecté, stérilisé.

Dommage pour les jeunes qui prendront le sentier de la montagne.

Maintenant, « nous sommes tous président ».

 

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Commentaires
R
"ces choses simples" <br /> si chères à nos coeurs d'enfant<br /> <br /> cette générosité du coeur, si naturelle que nous n'osons plus, cachés que nous sommes derrière nos portes fermées à double tour !
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J
Je goûterai bien de ce lait plein de microbes! Belle évocation en tout cas.
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J
Youk Heïdi Youk Heïdi <br /> Youk Aïda<br /> Puissant comme du Verdi<br /> Ce texte oui-da oui-da<br /> M'a mis en joie !
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A
ah oui Captaine, mais plus pour longtemps, il me semble, non, si "c'est un monde que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître"?<br /> merci pour ton commentaire!
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C
Je lis et me souviens de l'odeur des vaches juste traies dans la ferme où nous allions chercher un lait cru, chaud, ramené comme un trésor dans une pot en ferraille, une semaine par an dans un coin entre l'Ain et le Jura... Je me souviens du bruit aussi, et du goût... Merci d'avoir raconté ! C'est ce qui fait que le patrimoine ne se perd pas... :-)
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A
merci MAP, tu es bien gentille :-)
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M
Un récit parfumé au bon air de la montagne ! On se délecte à te lire Adrienne !!!!
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A
merci katyL :-)
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K
le patrimoine du gout des bonnes choses, des vraies valeurs aussi , l'accueil de l'autre..<br /> lui donner ce que l'on a de mieux, ce bol de lait<br /> c'est bien agréable à boire Adrienne<br /> beaucoup de calcuim et d'herbes aromatiques dans ton récit<br /> katyL
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A
merci trainmusical, votre appréciation me fait un très grand plaisir!
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T
Brillant récit si réaliste, le vrai patrimoine montagnard disparu au profit des produits plus hygiénique, mieux contrôlé pour notre sécurité alimentaire.<br /> ET POURTANT nous n'étions pas plus malade sur ce point, au contraire.<br /> <br /> J'ai vécu quelques vraies cabanes sur des hauteurs suisses, où nous étions si bien dorloter lors de randonnées,et surtout des échanges si riches en dialogues qui nous empêchaient de repartir, tellement on y était bien. Aujourd'hui il faut réserver, l'accueil pas toujours top, le prix exagéré, etc... Voilà faut vivre avec un autre temps, celui de Heidi est révolu.<br /> <br /> Bravo Adrienne:-)
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A
moi aussi je les ai tous, je crois, danse la vie :-) mais je le redis, ce n'est pas du Johanna Spyri, c'est la vérité vraie, Italie du Nord germanophone, il y a trente ans...<br /> merci pour le commentaire!
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D
ça rentre dans mon patrimoine!!!ça me rappelle Heidi!!!!!J'ai tous les tomes!! en deux éditions!!
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A
Joye, je ne pensais pas à Heidi, mais c'est vrai que vers mes 11-12 ans j'étais moi aussi une grande fan ;-)<br /> et il y a un rapport, c'est vrai, maintenant je le vois aussi!<br /> <br /> Zigmund, Walrus, Fafa, merci de votre appréciation! l'histoire est absolument authentique (c'était à Mühlwald, nord de l'Italie)
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F
Vous savez pourquoi j'aime ce texte ? Eh bien je vais vous le dire, c'est parce qu'il sonne vrai ! Et un patrimoine culinaire de perdu, un.
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W
Je suis comme Joye, ça me rappelle ma jeunesse, ma grand-mère avait des chèvres et je buvais leur lait.<br /> C'est vrai que l'Europe dominée par les lobbies de l'agriculture industrielle tue ce qu'il y avait de bien sous prétexte de précaution sanitaire. J'ai survécu et c'est pourtant pas faute d'avoir dégusté des fromages fermiers au lait cru...<br /> Quant au président, on sait ce que ça vaut...
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Z
beaucoup de belles choses dans cette belle histoire : l'hospitalite, le don , les choses simples, le partage...et bien sûr pour le lait cru et le fromage (et le reste aussi) je lutte contre le(s) president(s)
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J
Je revis ma jeunesse et la lecture périodique d'un de mes livres favoris : Heidi par Johanna Spyri.<br /> Le connais-tu ?<br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Heidi_%28roman%29<br /> <br /> Quand elle arrive chez son grand-père, c'est exactement ça, du lait (de chèvre) dans les grands bols, le grand pain, le grand-père...<br /> <br /> Merci infiniment pour le rappel, Adrienne !!!
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