Distraction dommageable (Papistache)
Paula Reine n'avait jamais eu de bonheur avec ses amants.
Elle les perdait tous de la même façon : un beau matin, ils cassaient leur pipe, s'en allaient au champ d‘naviots, et là-bas les vers les mangeaient. Ni ses caresses, ni la peur du marbre du tombeau, rien ne les retenait. C'était, paraît-il, des amants incontrôlables, voulant à tout prix en finir avec l’existence et le sel de la vie.
La brave Paula Reine qui ne comprenait rien au caractère de ses amants était affligée. Elle disait :
- C'est fini ; les hommes s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas un.
Cependant, elle ne se découragea pas, et, après avoir perdu six amants de la même manière, elle en séduisit un septième ; seulement, cette fois, elle eut soin de le prendre tout jeune, pour qu'il s'habituât à demeurer chez elle.
Ah ! Gringoire, qu'il était joli le petit soupirant de Paula Reine ! qu'il était joli avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses cheveux noirs et luisants, ses souliers zébrés et ses longues moustaches brunes qui lui ourlaient la lèvre ! C'était presque aussi charmant que le cabri d'Esméralda, tu te rappelles, Gringoire ? - et puis, docile, caressant, se laissant traire sans bouger, avec l’art de prendre son pied en gémissant à peine. Un amour de petit sigisbée.
Paula Reine avait dans son mas un lit clos tendu d'aubépines brodées. C'est là qu'elle mit le nouveau pensionnaire.
Elle l'attacha à son pieu, au plus bel endroit du divan, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps, elle venait voir s’il était bien. Le soupirant se trouvait très heureux et la broutait de si bon cœur que Paula Reine était ravie.
- Enfin, pensait la brave femme, en voilà un qui ne s'ennuiera pas chez moi !
Paula Reine se trompait, son amant rendit l‘âme. Il repose sous le schiste.
Adieu, Gringoire !
L'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens entre Maures et Esterel nos ménagers te parleront souvent du « petigo tourteraoú de Paúlà Arènaú , que fue estrangolado para la neui entréo lou soutiféo de sua doulcinéa y sua gargameléou, porque la Paúlà Arènaú estabada particoulièramenta esdistraitéa quondá se habia esprisso lou piè suia ».
Tu m'entends bien, Gringoire.
Hommage à Paul Arène