Pyjamade (Joye)
Tout le monde était d’accord : c’était chez Roxanne qu’on avait les meilleurs sleepovers.
Elle vivait en ville, sa maison était grande, et sa maman prévoyait toujours tout plein de gourmandises de leur épicerie au centre-ville. Oui, la vie était bonne pour celles qui se retrouvaient sur la liste d’invitées à passer la nuit chez elle !
Bien sûr que le comble de chaque soirée - à part les visites insolites des garçons qui souhaitent voir les filles en pyjama - était vers minuit, lorsqu’on éteignait la lumière, et l'on allumait la bougie qui se retrouvait au milieu du cercle pour faire une séance de spiritualisme.
La bougie jouait toujours à perfection son rôle, vacillant une fois si la réponse était non et deux fois pour oui, lorsqu'on lui adressait en murmurant « Dis-nous, ô Bougie, notre copine, toi qui ne mens jamais ... ».
Des filles comme Jessica et Paulette posaient toujours les questions de cœur…si Nicolas aimait vraiment Greta…non…si Jessica allait épouser Willy…oui…
Pour ces questions, la bougie répondait pour la plupart comme l'on souhaitait. Elle faisait rarement pleurer et souvent éclater de rire.
Mais c’était Andrée la meilleure interrogatrice, surtout parce qu’elle se fichait pas mal des petites escapades amoureuses de ses copines. Andrée croyait aux sorcières et à la magie noire, aux démons et aux monstres. Alors, ses questions étaient les plus fascinantes, concernant la vie, la mort, les crimes macabres, les secrets des squelettes oubliés dans quelques placards familiers.
- Dis-nous, ô Bougie, notre copine, toi qui ne mens jamais…
On se taisait devant les questions posées par Andrée. On
retenait le souffle jusqu’à ce que le danger soit passé, car impossible
de prévoir exactement qui finirait en larmes suite à des insinuations un
peu trop personnelles.
La bougie, elle, servait toujours de complice consentante. D’après elle, c’était absolument vrai qu’on avait tué une fille au lycée il y a quelques années ; que son corps se trouvait encore au sous-sol du vieux bâtiment ; que la nuit, après que tout le monde était parti, on pouvait l’entendre pleurer ; que si l’on éteignait la lumière dans la salle des douches et l’on fixait le miroir, elle apparaîtrait…
Oui… Oui… Oui…
Quelques petits cris de peur, quelques rires nerveux, et, souvent un ou deux petits soupirs imperceptibles de soulagement, étaient toujours la récompense pour l’art d’Andrée et sa bougie omnisciente.
Danielle figurait rarement sur la liste des invitées, et jamais sur celles de Roxanne. Tout le monde savait qu’elle concurrençait Jessica pour les prix académiques, et qu’elle avait carrément volé le petit ami à Roxanne, la garce ! et aussi qu'elle s’était violemment disputée avec Andrée une nuit après une séance particulièrement cruelle pour une de ses profs favorites. Alors, depuis, et tout naturellement, la bougie disait à chaque séance chez Roxanne que Danielle tomberait enceinte et qu’elle n’aurait jamais son bac, qu’elle finirait dans un asile, qu’elle commettrait des crimes macabres contre les professeurs populaires…
Jusqu’au soir où, vers minuit, quelqu’un sonna à porte chez Roxanne. Rigolant, quelques filles allèrent à la porte pour taquiner une dernière bande de garçons curieux.
C'était Danielle.
Elle entra sans invitation et s’installa devant la
bougie, sans saluer les autres communiantes dans le cercle de séance.
Et c’était elle qui posa
la toute dernière question qu’on poserait à la bougie :
- Dis-nous, ô Bougie,
notre copine, toi qui ne mens jamais…Andrée, n’est-elle pas la
nénette la plus pathétique du lycée ? Y en a marre de sa haine ! Elle
ferait mieux d’aller se pendre, n'est-ce pas ?
La bougie vacilla une
fois.
Et
puis une deuxième.