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Le défi du samedi
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20 mars 2010

Debout (Caro-Carito)

Le lieu à changé. La lumière aussi. Dernier brigand est là, enveloppé d’une chemise constellée d’éclats de peinture. Un trio de fillettes s’affaire autour d’un débordement de tubes et de gouaches. Le petit bonhomme nettoie soigneusement ses menottes et décroche son duffel-coat râpé. Je suis sa course furtive dans les couloirs défraîchis. A travers les vitraux de poussière, la lumière entre à flots, berçant l’école endormie de ses pépiements de printemps. Je marche sans bruit, attentive à ces salles vidées de toute fureur écolière. Du haut de l’escalier, j’aperçois la cour voisine et les slips d’un grand-père alignés au cordeau, en une comptine de coloris défraîchis. Une porte entrebâillée laisse danser les copeaux de soleil.

Je balaye du regard les fantômes d’enfants jouant à la marelle. Je revisite en catimini cette enfance passée, ces souvenirs aussi vivaces qu’un poème de René Guy Cadou : la vieille école maternelle près des bords de Sambre où ma mère me conduisait en souriant. De la terre jusqu’au ciel, j’aimais bondir très haut, un caillou lisse à la main. Dernier brigand a atteint le portail de l’entrée. Un dernier survol de la cour goudronné, vierge de toute course et j’aperçois la loge du gardien. Et devine sans doute, là-bas, dans le coin ombragé, des nattes s’envolant au rythme d’une corde à sauter ou d’un élastique tendu. Sans oublier ces visages malicieux qui se poursuivent, le temps d’un épervier.

Mon petitou marche à mes côtés. Le vent qui sévissait les dernières semaines a cessé de nous emmitoufler de nuages poudreux et d’une embrassade glaciale. Je m’attarde sur les graviers crème qui roule sous mes pas, les routes meurtries par le gel. L’hiver s’enfuit, laissant place au ballet des ravaudeurs de bitume qui encombre les trottoirs et les rues. Nous slalomons, tranquilles, entre barrières et tranchées à vif.

Quelqu’un pourrait croire que j’emprisonne le temps dans une cage de mots, des phrases serrées que j’inscrirais dans les feuilles pâles de mes souvenirs. Mais non. Je le laisserai libre de voleter autour de moi, de redessiner les contours de ces instants-là. Dans une semaine, un an, qu’importe, je fermerai les yeux et tout se détachera avec netteté devant moi. Les minutes qui passent, tout comme cette poussière qui vole, me rappellent qu’un jour, moi aussi, j’entrerai dans la valse lente et silencieuse de la mémoire : celle des autres. En attendant, je ferai résonner mes mots et je barbouillerai de couleurs toutes ces heures gravées en moi. Comme un défi, une gageure…

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Commentaires
W
En te lisant, Caro, je me souviens des images de Tilu pour son exposition sur la cour de l'école, ton texte y aurait été bien assorti. Bravo !
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C
Map , merci c'était à ce texte que je pensais<br /> <br /> Je n'ai pas de ligne internet, je viendrais donc dès que le printemps des poètes s'achève vous lire.
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P
Faites résonner, Caro, faites résonner. L'écho de vos mots réveille d'autres poussières et pas seulement sous les pas de votre petitou.
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V
Ce texte me fait penser à quelque chose que je ressens chaque jour (d'école!). Les couloirs de l'école de mes enfants sentent la même odeur que l'école maternelle que je fréquentais. Odeur "école maternelle". Madeleine olfactive. <br /> <br /> C'est un très beau texte.
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Z
ce texte est vraiment superbe et émouvant<br /> je me souviens de la rouge pomme à couteau de rené guy cadou
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V
hier soir nous étions à une soirée en hommage à guy cadou .je suis heureuse de le retrouver ici. <br /> <br /> j'y associe volontiers :'ayant pousser la porte qui chancelle je me suis retrouvée dans le petit jardin qu'éclairait doucement le petit matin',rien a changé....
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M
Que de beaux et bons souvenirs dans cette école endormie avec ses fantômes d'enfants !!!<br /> Merci de faire ainsi résonner si joliment tes mots ! <br /> Puisque tu l'a cité je me permets d'ajouter ce poème de René Guy Cadou en écho à tes mots.<br /> <br /> Automne<br /> <br /> Odeur des pluies de mon enfance<br /> Derniers soleils de la saison !<br /> A sept ans comme il faisait bon,<br /> Après d'ennuyeuses vacances,<br /> Se retrouver dans sa maison !<br /> La vieille classe de mon père,<br /> Pleine de guêpes écrasées,<br /> Sentait l'encre, le bois, la craie<br /> Et ces merveilleuses poussières<br /> Amassées par tout un été.<br /> O temps charmant des brumes douces,<br /> Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,<br /> Le vent souffle sous le préau,<br /> Mais je tiens entre paume et pouce<br /> Une rouge pomme à couteau.
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C
Joye, je crois que tu n'as pas compris la phrase mais je n'ai pas de liaison internet pour t'expliquer (en plus rené guy cadou est un incontournable de l'école comme maurice carème)
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V
La mémoire, le temps: écrire...<br /> Joli texte, dense.<br /> Sourire<br /> Vanina
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J
Nous sommes tous à une nano-seconde de notre enfance, tu as raison.<br /> <br /> Juste une réflexion pour ta comparaison <br /> <br /> « aussi vivaces qu’un poème de René Guy Cadou » :<br /> <br /> Si on ne connaît pas le poète, on comprend que cela veut dire "morts". ;-)<br /> <br /> N'empêche que c'est un beau texte, comme d'habitude, caro.
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