Le Temps (Adrienne)
Samedi soir.
Il est dans un lit d’hôpital. Il sait que ses heures sont comptées. Mais il ne veut pas le savoir. Il se crispe, il se bat, il refuse. Il est fâché contre la terre entière. Contre ceux qui viennent de l’amener ici alors qu’il suppliait qu’on le laisse chez lui, dans son lit aux odeurs familières. Contre celle qui a laissé faire. Contre le médecin qui l’a ordonné. Contre les infirmières, qui vont, qui viennent, qui ne peuvent pas le soulager. Personne ne peut rien pour lui.
« Mais Madame, a dit l’oncologue, savez-vous bien quelle est l’espérance de vie d’un homme, dans notre pays ?
- … ?
- 78 ans ! Et lui, quel âge a-t-il ? 80 ! Ce qui veut dire que vous avez déjà eu deux ans de bonus ! Alors de quoi vous plaignez-vous ! »
***
Samedi matin.
Elle est à la piscine. Elle compte les longueurs et elle compte les minutes, sur la grande horloge accrochée au mur du fond. Ça lui occupe l’esprit et ça l’empêche de penser à autre chose. Pourtant elle y pense quand même. Que fait-il en ce moment? Il doit être arrivé à Amsterdam hier soir. Ce matin ils auront fait la grasse matinée. Peut-être sont-ils en train de prendre un bon petit déjeuner. Puis ils iront faire une balade, main dans la main. Elle essaie de ne pas voir la scène et ferme les yeux, se remet à calculer sa moyenne. Trente longueurs en vingt minutes, c’est bien, pour quelqu’un qui n’a plus nagé depuis vingt-cinq ans.
« Je n’y peux rien, lui a-t-il dit. Dès que je l’ai vue j’ai eu le coup de foudre.
- …
- Et je serai de retour lundi soir. »
***
Dimanche midi.
La petite fille s’impatiente. Encore tant de jours à attendre que ce soit la kermesse ! Elle recompte les richesses de son petit porte-monnaie. Combien de tours de manège pourra-t-elle s’offrir ? Et pourvu qu’on aille tous ensemble manger des frites ! Oh ! comme on s’amusera !
- Je voudrais tant qu’on soit déjà dimanche prochain ! dit-elle à sa grand-mère.
- Tu es donc bien pressée de vieillir ? répond grand-mère.
***
Il y a d’éminents médecins qui vous considèrent comme un yaourt périmé.
Il y a des quinquagénaires qui refont une crise de puberté.
Il y a des grands-mères qui vous apprennent la valeur du temps qui passe.