Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 270
Derniers commentaires
Archives
6 mars 2010

Miroir seul (PIERRELINE)

« Où l’on constate que trop de réflexion nuit à la qualité du reflet. »

 

Personne, non, personne n’y faisait jamais attention à ce  miroir. C’était un banal miroir dans une banale salle de bain, dans une maison toute ordinaire

Oh, bien sûr que tout le monde y jetait un coup d’œil, mais ce n’était pas LUI qu’on venait voir, mais soi-même. (Enfin, soi-même, l’inverse de soi-même, on devrait plutôt dire … Mais c’est une autre histoire, ce paradoxe d’un monde qui ne se reconnaît qu’à l’inverse).

Bon, il faut dire que déjà enfant il était pénible ce miroir là, à toujours se poser des questions sur tout, à toujours chercher à savoir, à comprendre… Est-ce qu’on leur demande de comprendre, aux miroirs ? Non, juste de réfléchir. Mais de réfléchir dans un certain sens seulement. Et CE miroir là, justement, il réfléchissait trop, deux fois trop, dans les deux sens du terme.

A force de se poser sans cesse des questions, il avait le moral dans les chaussures, le miroir, il ne croyait plus en lui, de jour en jour, il ne reflétait plus rien de bien.

Au début, il y avait eu juste comme un flou, un genre d’incertitude du reflet. En se regardant les gens se tiraient la peau, se trouvant le teint brouillé, ils réorientaient l’éclairage, se disant : « Mais pourquoi il y a toujours une lumière aussi blafarde dans les salles de bains ! Faudra penser à changer les spots ! Tiens j’irai samedi chez Bricotruc, j’en ai vu des sympas, ça changera un peu de cet éclairage d’hôpital ! ».

Ensuite, il s’était couvert comme d’un léger voile de brume, alors les gens le frottaient. Ils le frottaient avec n’importe quoi : le bord d’une manche, un coton humide, une feuille d’essuie tout ; les plus vaillants allaient chercher le produit à vitre, pour les récompenser, le miroir acceptait alors pour quelques instants de retrouver sa brillance d’antan.

Puis il se permit de déformer les reflets, allongeant (peu de gens s’en  aperçurent alors) ou élargissant les reflets, (il constata un net raccourcissement du temps de pose devant sa glace à cette période, et les chamailleries autour du temps d’occupation de la salle de bains en furent d’autant réduites).

Mais ce n’était pas suffisant, on ne lui prêtait toujours pas d’attention, alors il choisit d’aller plus loin, de déroger aux lois universelles de la déontologie de l’optique et de la miroiterie réunies. Il se mit à créer des reflets, à tricher sur les images, à inventer ses réponses au monde réel. Il commença par « oublier » des détails, une boucle d’oreille par ci, une mèche par là… Puis il en rajouta : des boutons sur des nez (quel vent de panique ne provoqua t-il pas !), du rouge à lèvre sur des bouches qui n’en avaient jamais vu , (Ah l’air inquiet du père de famille un lendemain de bamboche quand il avait frotté et refrotté ses lèvres trop roses à son goût, ou l’air ravi de la petite dernière qui se croyait à carnaval…).

Cependant, le plus souvent les gens ne s’apercevaient pas des changements opérés dans leur reflet. Ils étaient trop pressés, ne se regardaient pas vraiment,  utilisant le miroir juste pour vérifier un détail ou l’aspect général de leur tenue…

Alors c’est là que le miroir se mit à « décompenser » sérieusement, il échangea les reflets. Monsieur se pointait dans la salle de bain ? C’est Madame qu’il apercevait en face de lui, et il se retournait : « Ah, Tu es là chérie ? » ; mais personne derrière lui… Si c’était le jeune homme, qui arrivait pour se coiffer en vitesse avant de filer attraper son bus le matin, le miroir lui renvoyait l’image de son père. Le plus souvent l’ado n’y faisait pas attention, pas bien réveillé… Lorsque Madame arrivait devant la glace, le miroir prenait un malin plaisir à lui renvoyer l’image de sa mère venue dîner la veille et qui s’était « refait une beauté » devant lui pendant la soirée. La plaisanterie était cruelle, certes, mais assez jouissive.

Mais la jouissance n’était que de courte durée.

Le miroir décida de devenir aveugle.

Etre aveugle, pour un miroir, c’est être exactement le contraire d’une glace sans tain. Non seulement on ne se voit pas dedans, mais on ne voit pas non plus à travers.

Alors arriva ce qui devait arriver : il fut mis au rebut. On le dévissa de son support, on récupéra le meuble dans lequel il était inséré, on le remplaça par un autre miroir moins versé dans l’introspection et on l’amena à la déchetterie. Comme il n’était même pas recyclable, ni dans le verre ni dans la miroiterie, il fut mis au pilon, c’est tout ce qu’il avait mérité pour avoir refusé de refléter correctement la réalité.

On ne plaisante pas avec les lois de la déontologie de l’optique et de la miroiterie réunies.

 

Publicité
Commentaires
R
quelle imagination !<br /> enfin c'est bien de l'imagination,,, hein ?<br /> vite vérifier celui de la salle de bain.<br /> alors comme ça, il pourrait épaissir les silhouettes à volonté !<br /> amusant.<br /> et trés réfléchi !
Répondre
C
Quel joli texte ! Je ne suis pas très copine avec les miroirs mais celui-ci me plait bien... je file le sauver du pilon ! :-)
Répondre
V
J'ai du être ce miroir dans une autre vie...<br /> ;-))<br /> Un texte bien pensé, tout réfléchi...<br /> Sourire<br /> Vanina
Répondre
M
Un grand bravo pour cette idée géniale !
Répondre
Z
tout bonnement excellent <br /> suis ébloui<br /> effectivement on aimerait une suite
Répondre
J
Un miroir qui réfléchit...Ok c'est normal. Mais qu'il se mette à penser! C'est l'anarchie qui débarque. Où va-t-on ?
Répondre
K
Très bonne idée...
Répondre
P
ça doit être pour ça que je trouve que j'ai grossi!! Je vais faire plus attention à mon miroir désormais... lui parler, même.
Répondre
C
tr_s fort ce texte, déjanté et la chute, brutale morbide presque. un grand bravo!
Répondre
C
tr_s fort ce texte, déjanté et la chute, brutale morbide presque. un grand bravo!
Répondre
W
Après avoir lu ça, je vais tenir mon miroir à l'œil, on ne sait jamais...
Répondre
J
Eh bien ! Si on met à l'écart les gens qui réfléchissent, on n'est pas sortis du sable !<br /> <br /> Bien conté ! Bravo !
Répondre
P
Excellent scénario. Que de quiproquos on se plait à imaginer. Dommage ! notre format ne permet pas de délirer plus longtemps. Vous pourriez tirer de cette idée une savoureuse chronique familiale et plutôt que de le porter au pilon si vous le vendiez lors d'un vide-grenier ? Un feuilleton ?
Répondre
D
J'aime beaucoup !
Répondre
J
Ton texte RELUIT d'humour (j'adore le miroir qui renvoie l'image de la mère de la dame !) et j'avoue que j'étais enchantée depuis "la salle de bains banale" ! Ah ! Qu'est-ce que je donnerais si mon Petit Bob me disait « on écrirait mieux "salle de bains baignale" » but no such luck, comme on dit chez moi.<br /> <br /> J'aime beaucoup ton texte, Pierreline ! Je pique un mot à Vanina : SOURIRE !
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité