Qui va piano (Didier)
Elle m’a montré son montage. Une sorte de collage, sur fond beige. Elle semblait en être satisfaite. Sur le coup, franchement, j’ai reculé. Puis j’ai regardé, et regardé encore. Ensuite, j’ai fermé les yeux. J’ai choisi de m’évader.
Je me suis mis virtuellement un morceau de Didier Squiban entre les oreilles, cela collait parfaitement avec ce que je ressentais. Je me suis retrouvé au milieu de prairies verdoyantes et de ruisseaux généreux. Ils voisinaient avec des vagues écumeuses et des pins parasols. Un piano à queue sur une plage. Des enfants qui jouent. Un ballon. Il faisait soleil. Il faisait bon.Je souris en me disant que l’artiste avait aussi cette capacité : nous aider à aller chercher parfois au-delà de nous ce que l'oeuvre fait jaillir de prime abord. Cela méritait quelques efforts de notre part.
J’ai de nouveau ouvert les yeux.
Elle n’avait pas bougé. Comme suspendue.
Elle me demanda finalement : Alors, tu en penses quoi ?
Je lui dis : Je ne sais pas encore.
Elle insista, un peu : oui, mais tu aimes ou tu n’aimes pas ?
Je secouai la tête. Fermai les yeux de nouveau. Tout était là, en place. Je les rouvris.
Tu sais, Laure, je crois en fait que je ne vais pas te répondre.
Elle blêmit. Je me sentais un peu vache.
Je ne pensais pas qu’elle jouait l’ensemble de son existence dans
les deux secondes qui venaient. Cela semblait exagéré. Ne l'était peut-être pas.
Je m’expliquai : Je ne vais pas te répondre parce que je crois que ce n’est pas la bonne question, aimer ou ne pas aimer. Je ne sais pas quoi dire à cela.
Elle tenta une dérivation, sautant sur l’occasion.
C’est façon de parler, bien sûr.
Un bout de sourire était apparu sur les vestiges de la grimace précédente. Ca faisait un drôle de tableau.
Je poursuivis. Ce
n’est pas la bonne question parce que je crois que la
création, la tienne, la mienne, c’est d’abord quelque chose qu’on
a en soi, quelque chose qu’on a envie de sortir de soi. C’est un
message, un langage, qu’elle chose qu’on exprime. C’est le
plus important. Après, on montre ou ne montre pas ce qu’on a créé, mais
c’est
déjà autre chose. Faut pas mélanger les regards. Les artistes devraient
essayer de dire ce qu’ils ont
voulu faire. Ca ne serait pas pour nous aider à comprendre. Mais pour
nous aider à savoir si nous allons ou pas dans une direction.
Je la regardai. J’observai de
nouveau son montage. Je lui dis : C’est
ma réponse, et crois-moi, elle n'est pas si évidente que cela. Parce que…
comment dire... parce que Je me dis, si ça se trouve, elle a mis des heures et des heures à
créer cela, elle a un espoir immense, elle va peut-être pleurer en partant de
cet hôpital. Je pourrais dire autre chose, bien sûr. Mais ce serait te mentir.
Et ça je ne le veux pas. Non, je ne le veux pas.
Elle pianotait des doigts sur le radiateur pendant que je parlais. Je souris en mon for intérieur de la coïncidence, elle et son radiateur, moi et mon pianiste.
Allons boire un verre, si tu veux bien.
Il était temps de prendre un peu l’air. L'air du temps qui passe. Du temps suspendu.
Au fait, c’est qui Olivier ? je lui demandai.
Elle rougit.