Si me taire... (Poupoune)
Pour la première fois, j’allais enfin pouvoir visiter le fameux
cimetière fictif. Le principe ? Un vrai cimetière, avec de vraies
tombes et de vraies pierres tombales, de vraies cérémonies, même, pour
les jusqu’au-boutistes, mais pas de vrais morts. Le but ? Que les gens
tuent fictivement et non plus réellement. Et bien croyez-le ou non, ça
a marché.
Comme l’endroit est immense, je commence par une halte
auprès du gardien qui me propose un plan et semble tout disposé à me
faire la conversation, alors je m’attarde.
- Chaque allée correspond à une catégorie, vous voyez ?
- Comment ça ?
- Ben là par exemple, Allée des belles-mères, c’est là qu’on enterre…
- Les belles-mères je suppose ?
- Bien sûr. Allée des petits chefs, pour ?
- Ben les petits chefs !
- Et les grands patrons. C’était deux faciles, mais vous verrez, y en a des marrantes.
- Allée des anges ?
- Ah… j’aime pas celle-là. C’est pour les enfants.
- Ah.
- Hm. D’un autre coté, hein…
- Oui, sûr. C’est toujours mieux ici… Et Allée du roi des Heaulme ?
- Ah ! Elle est super celle-là ! Vous voyez pas ?
- Euh… non… Ah ! Pour les tueurs en série ?
- Ah ah ! Vous êtes fortiche ! Et celle-là : Allée de Mandragore.
- Hm… ’tendez, hein, me dites pas… euh… mandragore… mandrag… Oui ! Les crimes sexuels ?
- Vous êtes déjà venue !
- Non ! Promis ! Mais la mort, les criminels, tout ça… j’aime bien.
- Ah ?
- Oui,
enfin… Bref. Mais c’est pas un peu ennuyeux, un cimetière comme ça ?
Pour vous, je veux dire ? Doit quand même pas y avoir souvent des
cortèges, par exemple. Des grandes cérémonies, tout ça…. ça doit être
plus sympa dans un vrai cimetière, non ?
- Ah ça, je peux pas dire, j’y ai jamais bossé.
- Non ?
- Non.
J’étais gardien de prison avant. C’est chez nous qu’ils recrutent les
gardiens pour ces cimetières, vu qu’on a moins de boulot dans les
prisons, du coup. C’est un genre de compensation, vous voyez ?
- Ah ouais… C’est bien, ça.
- Sûr ! Et puis franchement, les tueurs, je préfère les voir ici qu’en prison.
Plan
en main, j’ai commencé mon exploration. L’endroit paraissait un peu
foutraque, il y avait des tombes de toutes les formes et de toutes les
tailles, même chose pour les pierres tombales, mais l’ensemble
répondait néanmoins à une logique et une organisation remarquables.
Je
suis arrivée Allée des frivoles. Au moins une stèle sur deux portait la
mention « salope ». La poésie du cocu. Allée des coureurs, c’était
infiniment plus original ! Déjà les épitaphes étaient beaucoup moins
laconiques, plus cyniques aussi, et il y avait des tas de photos de
types aux yeux crevés, des poupées transpercées de clous ou d’épingles,
des figurines démembrées… Amusant. Un petit groupe de gens en train de
cracher et pisser sur une tombe a attiré mon attention. Je suis allée
voir. Allée Sarko. Ben tiens.
Il y avait aussi Allée des voisins,
Allée loup y a (pour les crimes religieux), Allée les bleus (pour les
footeux), Allée Papas, Allée Mamans, Allée… merde ! Allée Poupoune !
Ben ça… Evidemment, à ma façon, j’en avais tué, du monde, mais de là à
ce que le monde se venge au point que j’aie toute une allée à mon nom…
et les épitaphes… certaines m’évoquaient bien vaguement quelque chose,
d’autres pas du tout. Il y avait « Gaffe, je bande encore ». Plusieurs
« Poupoune m’a tuer ». Et « Je suis PAS roumain ! », « Même pas mal »,
« javé pa fé espré ». Et ça : « Alors, on la ramène moins ? » Hé hé… et
OH ! Oh c’est trop mignon, ça ! Oooooh... « moi aussi je t’aime, ma
petite maman chérie ».