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Le défi du samedi
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23 janvier 2010

même pas pied (Poupoune)

Depuis le temps qu’on attendait une vraie occasion de se racheter aux yeux du patron et de pouvoir être à nouveau dans ses petits papiers, on n’avait pas l’intention de se louper, sur ce coup, avec Lucien. C’était pas trop compliqué a priori : le gus à dessouder était ficelé dans un entrepôt sous la surveillance d’une petite nouvelle qui ne « devait pas se salir les mains », pour reprendre les mots du patron. On n’appréciait qu’à moitié l’idée de finir le boulot d’un autre – a fortiori le boulot d’une autre – mais on n’était pas en position de faire les difficiles.

La poule donnait dans le trafic de faux-papiers et, pour ce qu’on en savait, le gus était une balance qu’elle avait réussi à piéger. Pourquoi c’est pas elle qui s’en débarrassait, ça, mystère ! Une poule mouillée, sans doute. Quand on est arrivés, la donzelle nous a fait un accueil musclé qu’on se serait cru dans un film. Elle nous a fouillés et c’est tout juste si elle nous a pas demandé nos papiers. Jusque là je m’étais demandé pourquoi une des grues au patron était dans les affaires et pas dans un claque, mais elle devait peser un quintal et ceci expliquait cela. Lucien en menait pas large. Moi non plus, mais c’est lui qu’était entré le premier et je me planquais un peu derrière.

Quand elle a fini par bien vouloir nous croire qu’on était les tueurs au patron, elle a eu un rire que j’aurais mal pris si j’avais été du genre à me vexer et elle est partie, mais pas sans avoir préalablement collé une mandale sonore au gus saucissonné sur sa chaise et nous avoir lancé :

- Essayez d’pas foirer vot’ coup, hein, les buses !

Et elle a encore eu ce rire énervant. Gras et aussi féminin que Raymond quand il tousse depuis qu’il a son cancer.

Le gars ficelé sur sa chaise faisait des grands snurfl pour retenir le sang et la morve qui coulaient de son nez, que la camionneuse venait de lui broyer. Pour quelqu’un qui devait pas se salir les mains, elle l’avait eue plutôt lourde. La main. Lucien a tendu un mouchoir en papier au gars, mais vu qu’il était attaché…

- Bon, c’est quoi qu’il a dit déjà le patron ?

- Ben t’avais pas noté ?

- Ah si… ‘tends, je cherche mon papier…

- Une histoire de sphinx…

- C’était pas un lynx ?

- Je sais plus, Lucien, c’est pour ça que t’avais noté…

Evidemment, il avait paumé son papier, Lucien. Mais bon, le patron, tout c’qu’il demandait, c’est qu’à la fin le type soit clamsé, alors le truc du… sphinx, là, après tout…

- C’était sûrement sphinx, non ? C’est pour ça qu’elle lui a pété l’nez, tu crois pas ?

- 

- 

- Et il est mort comment, ton sphinx ?

- 

- Ou alors c’était lynx, et faut y crever les yeux ?

Du coup il les a écarquillés drôlement, le gus ! Et nous, faut bien dire qu’on n’était pas chauds pour ce genre de trucs. En plus, tout c’qu’on avait sous la main pour le faire c’était le coupe-papier de Lucien que le patron avait bien voulu lui laisser, alors ça nous emballait encore moins. Ah oui… parce que depuis cette histoire où j’avais malencontreusement tué son fils, au patron, il voulait plus qu’on soit armés. C’est pour ça que ça nous aurait bien arrangé que Lucien le retrouve, son papier, parce que ça nous aurait donné une idée de comment fallait qu’on le tue, le gars.

- C’était pas plutôt un truc genre Bouygues, qu’il a dit, le patron ?

- Quel rapport avec ton sphinx ?

- J’sais pas… mais c’était un truc de maison, j’crois, non ?

- Tu sais où ça vit, un lynx ?

- 

- 

J’voyais bien qu’il s’rappelait pas du tout, Lucien. Si au moins il avait pas paumé ce papier.

- Phénix !

On s’est retournés tous les deux comme un seul homme vers not’ macchab’ en devenir, qui faisait des blurp et des bulles avec son sang.

- Hein ? qu’il a fait, Lucien.

- Quoi ? j’ai ajouté.

- Phénix, qu’il a redit. C’est sûrement phénix.

J’ai regardé Lucien qui m’a regardé et j’avais pas l’impression qu’il se rappelait plus que moi. Le gars a lâché un long pffffff… avant de reprendre :

- Phénix. Comme les maisons. Et ça ressemble un peu à sphinx, non ? C’est sûrement ça qu’il a dû vous dire.

- Pourquoi ?

- Ben ça paraît plus plausible que lynx ou Bouygues, non ?

- Hm… développe.

- Vous savez c’que c’est un phénix ?

- 

- 

Au début pas trop, mais là je commençais à avoir un peu envie de le tuer. Il avait le regard comme le patron quand il s’moquait qu’on avait foiré un coup. Puis y a Lucien qu’a retrouvé son bout de papier :

- Ouais ! C’est ça ! « Faites pas encore le coup du phénix » qu’il a dit, le patron !

- Ah… et ça veut dire quoi ?

- 

On s’est encore retournés vers le moribond, qui affichait cette fois carrément un sourire en coin. Comme ça il me donnait finalement bien envie d’y crever les yeux.

- Un phénix, c’est un oiseau qui renaît de ses cendres, les ignares.

- Hein ?

- Ignares, ça veut dire…

J’ai pas vu partir le coup mais j’ai bien entendu le schlac dans sa tronche ! Lucien était plus irritable que moi.

- Humpf…

- Allez, explique, maintenant. C’est quoi ton phénix, là ?

- Et ben rien de plus ! C’est un oiseau qui meure pas ! Il brûle et après hop ! il renaît de ses cendres.

- Ben pourquoi le patron il a…

- Vous m’avez l’air de deux sacrées flèches, les gars ! P’t’êt’ qu’il a dit ça pour vous faire comprendre qu’il fallait pas m’rater, hm ?

- Je sais !

Lucien avait gueulé ça si fort qu’il m’avait fait sursauter. Et le frimeur aussi.

- Tu sais quoi ?

- Ben il veut qu’on le brûle !

Le mec faisait moins le fier d’un coup. Bien fait pour lui. J’étais pas sûr que c’était ça qu’il avait voulu dire, le patron, mais l’idée de cramer l’emmerdeur me plaisait assez.

- Ouais, tu dois avoir raison. T’as du feu ?

- Je dois avoir des allumettes, ouais.

- Super. Comment on va faire prendre le feu ?

Y avait rien à faire flamber dans c’t’entrepôt désaffecté. Le mec a repris son air narquois.

- Y a p’t’êt’ du papier-cul aux chiottes ?

- Y a pas d’chiottes, Lucien. T’as pas un livre, ou un truc comme ça ?... Ouais, non, t’as pas. Des mouchoirs en papier ?

- J’en avais qu’un et maintenant il est tout imbibé d’son sang, là.

- Merde. Ah ben le papier où t’as noté le sphinx !

- Ah ouais !

On n’a jamais réussi à faire partir le feu. Le gars a trouvé moyen de pisser sur les allumettes. J’vous jure, y en a qui reculent devant rien, hein… Alors pour finir on l’a laissé là et on a refermé la porte en partant. Il finirait bien par mourir de faim.

- Dis, Lucien, tu sais à quoi ça ressemble, un phénix ?

- Ben… c’est comme un genre de bergeronnette, mais plus gros. Enfin je crois.

 

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Commentaires
C
Une comédie noire à la Tonton (pas) flingueurs ! C'est très souriant.
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Z
c'est vrai qu'on va finir par s'y attacher à ces deux bras cassés !<br /> une autre ! la suite !
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M
Pas vraiment des flèches quand même nos tueurs, mais ils sont bien sympathiques quand même
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W
Poupoune semble employer un traitement de texte autorisant des retraits par rapport au bord normal du texte et elle utilise cette possibilité pour ses dialogues, ce que l'éditeur de Canalblog ne comprend pas. Quand le retrait est léger, comme ici, je laisse puisque l'on devine facilement la lettre un brin rognée. Quand le retrait est plus grand, il faut coller le texte dans le bloc-note, ce qui enlève la mise en page, puis le recoller dans l'éditeur et le remettre en forme. Je l'ai déjà fait.
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P
@papistache : ... mon coup de crayon n'est pas particulièrement adapté au genre. Mais s'il y a des amateurs !<br /> <br /> @joe : ... je laisse la polésie à paulette et les cendres des amours mortes au fond du cendrier... en revanche, j'essaie de ne jamais tuer 2 fois de la même façon : aucun risque de te retrouver saucissoné à une chaise ;o)
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J
Sans compter que c'est de la vraie polésie, tout ça : je viens de trouver le résumé (pitch !) ici :<br /> <br /> "La Chanson du Mal-aimé<br /> <br /> à Paul Léautaud.<br /> <br /> Et je chantais cette romance<br /> En 1903 sans savoir<br /> Que mon amour à la semblance<br /> Du beau Phénix s'il meurt un soir<br /> Le matin voit sa renaissance."<br /> <br /> Le vrai nom de Poupoune c'est Apolline R.<br /> <br /> OK, je sors avant de me retrouver ligoté sur une chaise à mon tour !
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P
On dirait un scénar posthume d'Audiart (le père) Pour une fois, les méchants sont sympas à force d'être cons, et la victime va peut-être s'en sortir. Attention, l'eau de rose guette t- Poupoune ?
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J
Sur ma page à moi que j'ai, la marge à gauche est un peu dissoute...joli effet (mais si c'est le hasard) qui souligne le fond de la baignoire...euh, le fond du texte !
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J
On ne devrait jamais essayer de faire la peau à Gerry Boulet...<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=WRwXrO-hXsk
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W
Je peux leur prêter mon petit chalumeau à griller les crèmes brûlées, si tu veux. Ils le finiront à petit feu.
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P
Je découvre, Poupoune, que je visualise souvent vos textes en noir et blanc. Un film des années 50 ou une BD à l'encre de Chine. Dessinez-vous également ?
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M
Du Poupoune à coup sûr<br /> point n'est besoin de signature !
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C
En tout cas ils sont des cervelles de moineaux...
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V
Plutôt coopératif le gars... f'rait une bonne recrue dans cette équipe de bras cassés!
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M
On les verrait bien dans un film ces deux oiseaux là !<br /> J'ai ri comme toujours avec tes textes !
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T
...ainsi parla Zarathoustra en plaidant qu'on daigne lui procurer de quoi se curer le fondement.<br /> ...?<br /> ...on venait de lui narrer une blague à ch**r, rapport à certain "Héron... Héron, petit ! ...pas Tapon".<br /> ...?<br /> ...<br /> ...?<br /> ..."comme un genre de bergeronnette, mais plus gros"
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J
On dirait qu'ils commencent à nous devenir sympathiques ces deux oiseaux-là ! La loi des séries, sans doute !
Répondre
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