BRICOLAGE FAMILIAL (Martine 27)
BRICOLAGE FAMILIAL
Au milieu de la mêlée, je me demande bien ce qui m'a pris.
Bon à ma décharge, ce sont eux qui m'ont proposé de choisir le nouveau papier peint de ma chambre.
Et j'ai choisi une petite merveille, d'énormes coquelicots (enfin je pense que ce sont plutôt des pavots psychédéliques) d'un beau rouge s'épanouissent au milieu d'une jungle de feuillage de plusieurs teintes de vert et d'ocre.
Mes parents contemplent mon choix avec horreur (aïe, aïe, aïe), mais on ne reprend pas une parole donnée, ils ont donc acheté LE papier.
Bon passons à ma chambre maintenant, le lit est installé dans un coin avec le plafond qui a cet endroit descend en pente, il y a bien sûr un grand placard et mes meubles qu'il faut stocker comme on peut pour accéder aux murs.
Et voilà mes parents plutôt néophytes dans l'art de poser du papier peint, jusqu'à maintenant nous avions habité dans des logements de fonction où tout était fait avant notre arrivée, donc autant le dire ma chambre est leur coup d'essai.
S'agitant comme des poules dans le poulailler, ils commencent par monter les tréteaux et la planche à encoller.
"Ouille mes doigts"
Puis il faut mélanger la colle.
"Mais bon sang de quel genre de cuiller ils parlent ?"
"Tu vois bien c'est marqué là, apprends à lire un mode d'emploi bon sang"
Bon petite précision dans la famille le bricoleur est une bricoleuse, ma mère. Mon père sait changer une ampoule mais ça s'arrête à peu près là.
Ils mélangent donc colle et eau, longuement.
"Tu crois que ça va coller ce truc ?"
"C'est normal les grumeaux ?"
"Où est le pinceau ?"
Mes parents commencent à mesurer le mur, reportent la mesure sur le papier, encollent, floc, tant bien que mal le-dit papier, le replie comme cela leur a été indiqué par le vendeur pour pouvoir barbouiller de colle la seconde partie.
"Et zut il y a de la colle par terre"
"Tant pis on verra tout à l'heure"
"Comment ça s'attrape ce fichu machin ?"
"Attends je grimpe sur l'escabeau, vas-y passe-moi le papier, vas-y déplie-le"
"Je n'y arrive pas ça colle"
"Remplace-moi sur l'escabeau je vais essayer"
"Barbe, c'est tout mouillé, ah ça y est j'ai le bout, ça va tu tiens bien ?"
"Oui mais dépêche"
"Martine, c'est droit là-haut"
Comme un moineau timide, je pointe mon nez dans la volière.
"Oui ça à l'air"
"Quoi ça à l'air, c'est droit ou pas ? Ne fais pas ta dinde !"
"Oui, oui c'est droit" 13 ou 14 ans à l'époque mais j'apprends la diplomatie sur le tas.
Le lai de papier peint est donc déplié et plaqué sur le mur.
Merveille, il épouse bien le coin du mur.
"La brosse pour lisser, où est la brosse pour lisser ?"
"Flûte, il y a des bulles !"
Et fiers comme des paons après avoir réussi à poser le premier lai en une demi-heure mes parents s'attaquent au second.
Léger oubli de leur part, ils ont oublié les raccords, et mes coquelicots sont bizarrement dédoublés.
Arrachage furieux du morceau.
"Tu n'avais pas vu que c'était du papier avec raccord "
"Eh ho, toi non plus je te signale !"
Vérification sans colle pour le morceau suivant, ça semble aller.
Et zou, deuxième morceau collé.
Satisfaction intense de mes géniteurs, pas de doute, ce sont des pros.
Aïe voilà la fenêtre et le radiateur qui se profilent à l'horizon.
"Mince, il faut démonter le radiateur"
"Attends je vais couper le courant"
"Le tournevis, où est le tournevis"
A l'époque je précise que la boite à outils familiale tenait dans une boîte à chaussures.
"Crotte, il n'y a plus assez de colle"
"Mais refais-en vite, sinon on va perdre ce morceau là"
"Elle est trop liquide !"
"Tant pis, faudra bien que ça le fasse"
"Et voilà, tête de linotte, je te l'avais dit, trop liquide, ça ne tient pas"
Gros mouvement d'humeur de ma mère qui a, comme on dit "la tête près du bonnet"
La fenêtre s'ouvre avec bruit, clac.
Bruit de papier froissé et lancement d'un monstrueux coquelicot par la fenêtre.
"Mais ne t'énerves pas, ça n'avancera pas plus vite !"
Depuis longtemps, Poussy notre chatte a opté pour un repli stratégique en haut d'une armoire ou sous un lit.
Quant à moi, je préfère suivre l'exemple de ma minette et je me replie dans la chambre d'à côté avec un bon bouquin. Mieux vaut pour moi ne pas jouer la mouche du coche, mais plutôt la fille de l'air.
Inutile de dire que la journée fut fertile en évènements (et en noms d'oiseaux) parce que bien sûr mes parents s'aperçurent que les murs d'une maison neuve sont rarement droits et ce qui est bien à un bout de la pièce ne l'est plus du tout de l'autre côté, qu'il arrive un moment où il faut négocier les coins, que des bulles se forment quand vous avez le dos tourné, que mettre du papier peint au plafond, eh oui, plein d'optimisme ils avaient décidé de "papieter" aussi mon plafond, ce n'est pas une sinécure vu que la colle, comme la confiture ça dégouline !
Bref, la journée fut longue, très longue, le vendeur ayant vu qu'il avait affaire à des débutants avait prévu large en terme de rouleaux et il avait eu bien raison car il y eut des pertes au champ d'honneur.
Autant dire que même ayant essayé de me faire la plus petite possible j'ai quand même eu le droit à quelques regards noirs !
Mais une épreuve du feu pareille, ça vous cimente un couple et mes parents devinrent des pros du papier peint, la boite à outils familiale se garnit un peu plus et mon père se découvrit capable de planter un clou sans s'écraser les doigts.
Quant à moi, j'étais très satisfaite de mon choix parce qu'avec mes meubles en pin et osier, ma chambre était tout bonnement parfaite, et mes parents une fois calmés reconnurent que j'avais fait le bon choix !