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Le défi du samedi
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9 janvier 2010

Un vert Prévert (Caro_carito)


 

Ils marchent le long de la digue. Quelques joggers s’essoufflent, les joues rougies par le vent. Olivier sent ses mèches qui flottent le long de sa joue. Sa main froide s’évade. « Continue sans moi.» Il la laisse à quelques mètres de l’hôtel des acacias. Marée haute, les embruns s’accrocheront à ses lèvres. Il regarde le chemin gris sur lequel quelques mouettes luttent contre des rafales éparses. Ou peut-être des goélands. Les mains enfoncées dans les poches de son vieux caban, il accélère le pas. Il aime marcher comme d’autres s’accrochent à un mot, un cierge, un battement de cils. La peine, toute sa peine, se ratatine comme une vieille peau à mesure que le muret s’efface au bas des remparts. Il croise un autre jogger, des façades crème et la verrière des thermes, des ombres, proches et polies. Diffuses. Il s’arrêtera en bout de course, là où la baie s’écrase.

Il revient sur ses pas. Derrière le banc vert, l’hôtel des acacias. Elle n’est plus là. Le fracas des rouleaux, trop proche, le fait sursauter. Où l’illusion d’une tachycardie qui le surprend depuis l’enfance. Il la retrouve, à même le mur de pierres, les jambes plongeant dans le vide, au dessus d’une bande de sable mouillé. L’heure a repoussé les vagues vers l’exil, vers le large. Il se pose à côté d’elle, sent sur son paletot l’odeur écœurante de la mer et des algues. Les cheveux plaqués contre ses joues, elle fixe un horizon absent.

Il se surprend à penser qu’elle se perd dans les flots comme elle se noie dans les livres. Il l’avait surprise, dans un square, le roi des aulnes à la main. Au bout de quelques minutes, elle s’était retournée et lui avait demandé s’il aimait les contes. Elle avait essuyé les larmes qui lui maculaient le visage - après tout ne naissaient-elles pas des océans, avec leur goût salé - et lui avait tendu le Folio usé. La première fois où ils avaient pris la voiture et roulé toute la nuit, elle lui avait confié qu’elle rêvait parfois d’Ys, de la furie des flots et des cloches mêlés. Elle avait glissé son bras sous le sien et ils avaient parcouru les dunes douces. Le ressac avait mis à nu deux coquillages ; pas d’éclat de bronze, pas le moindre tocsin.

Il pleut un peu. Une bruine légère. Elle a posé sa tête contre sa veste. Il respire avec précaution son parfum de sel. Elle s’absorbe, scrute la surface martelée et liquide pour finalement relever la tête. Le vent en écartant quelque nuage ou un courant inespéré... le gris ourlé de jaune sale s’éclaire. Translucide, il dévoile toute la palette d’un orfèvre, Véronèse ou malachite, émeraude, avec parfois une pointe de cyan, de beige opalin, sculptée à même la masse liquide. La mer se retire, hésitante, emportant ses éclats.

Il n’ose la regarder, de peur de trouver dans son regard pâle, deux petites vagues assassines.*

 

*extrait de Démons et merveilles de J. Prévert


Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

 

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Commentaires
C
Il y a des phrases bijoux dans ce "texte d'ambiance"... J'aime particulièrement "l'heure a repoussé les vagues vers l'exil".
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Z
magique ce texte
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T
Beau texte, rien à rajouter si ce n'est dire que j'ai aimé lire. Bravo
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V
Ce texte laisse sans voix... y'a pas que les joggers qui s'essoufflent
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O
Très joli texte. Très poétique...
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C
Joye, je mettrai deux hommes, un olivier et un sebastien. Et je pencherai plus pour les poémes de nuit de gaudriole de ces deux lascars. <br /> <br /> Ah c'est bien la magie et pas besoin d'aller à poudlard, quelques mots suffisent non?<br /> <br /> En vrai je suis pas du tout romantique, mouarf!<br /> <br /> Walrus, et à Walrus une bière verte?<br /> <br /> Sébarjo, un habitué! Ouiap l'hôtel des acacias. J'adore la mer là-bas, j'y resterais bien des heures à la regarder (mais aux beaux jours). j'aurais bien situé l'action à Douardenez mais à l'époque où j'y suis passée, j'étais trop ptichoune pour y voir un futur décor.
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W
N'oublie pas de rendre à Prévert ce que tu lui as emprunté, car "bien malachite ne profite jamais".
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P
... ben je suis partie loin, là. Non seulement ailleurs, mais pas que. <br /> merci fée caro !
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B
On quitte le quotidien à te lire.. c'est comme un voyage, un rêve, un moment magique !
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T
On se laisse emporter par les mots...<br /> On se laisse emporter par les vagues...<br /> On se laisse aussi emportr par ses propres souvenirs...
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M
Oui, il y a de la magie ...et comme un envoûtement dans ton texte Caro !<br /> Après avoir lu ton texte j'ai ré-écouté la chanson interprétée pas Jacques Jansen sur ce poème de Prévert que l'on entend dans "Les visiteurs du soir" ! J'en reste "toute chose" comme on dit ...
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S
J'aime bien ce texte où il fait bon humer l'écume de la Manche sur la côte bretonne. Je situe, en effet, l'action , à Saint-malo, à cause des remparts, des Thermes et de l'hôtel les acacias...<br /> Une belle ambiance qui en pleine hiver pousse fatalement à la mélancolie.
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P
Comme deux existences qu'on prendrait en cours pour qu'elles nous abandonnent au premier coup de vent...
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J
Une chose est sûre, janvier n'est pas le meilleur mois pour prendre des bains de mer et bronzer en Bretagne. Mais pour goûter le romantisme et la belle écriture, pour peu que Caro soit dans les parages, vous ne regretterez pas le déplacement !
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V
J'aime bien Caro. tes textes sont toujours un peu magiques.
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J
On verrait bien ce que tu ferais de Verlaine !
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