Un vert Prévert (Caro_carito)
Ils marchent le long de la digue. Quelques joggers s’essoufflent, les joues rougies par le vent. Olivier sent ses mèches qui flottent le long de sa joue. Sa main froide s’évade. « Continue sans moi.» Il la laisse à quelques mètres de l’hôtel des acacias. Marée haute, les embruns s’accrocheront à ses lèvres. Il regarde le chemin gris sur lequel quelques mouettes luttent contre des rafales éparses. Ou peut-être des goélands. Les mains enfoncées dans les poches de son vieux caban, il accélère le pas. Il aime marcher comme d’autres s’accrochent à un mot, un cierge, un battement de cils. La peine, toute sa peine, se ratatine comme une vieille peau à mesure que le muret s’efface au bas des remparts. Il croise un autre jogger, des façades crème et la verrière des thermes, des ombres, proches et polies. Diffuses. Il s’arrêtera en bout de course, là où la baie s’écrase.
Il revient sur ses pas. Derrière le banc vert, l’hôtel des acacias. Elle n’est plus là. Le fracas des rouleaux, trop proche, le fait sursauter. Où l’illusion d’une tachycardie qui le surprend depuis l’enfance. Il la retrouve, à même le mur de pierres, les jambes plongeant dans le vide, au dessus d’une bande de sable mouillé. L’heure a repoussé les vagues vers l’exil, vers le large. Il se pose à côté d’elle, sent sur son paletot l’odeur écœurante de la mer et des algues. Les cheveux plaqués contre ses joues, elle fixe un horizon absent.
Il se surprend à penser qu’elle se perd dans les flots comme elle se noie dans les livres. Il l’avait surprise, dans un square, le roi des aulnes à la main. Au bout de quelques minutes, elle s’était retournée et lui avait demandé s’il aimait les contes. Elle avait essuyé les larmes qui lui maculaient le visage - après tout ne naissaient-elles pas des océans, avec leur goût salé - et lui avait tendu le Folio usé. La première fois où ils avaient pris la voiture et roulé toute la nuit, elle lui avait confié qu’elle rêvait parfois d’Ys, de la furie des flots et des cloches mêlés. Elle avait glissé son bras sous le sien et ils avaient parcouru les dunes douces. Le ressac avait mis à nu deux coquillages ; pas d’éclat de bronze, pas le moindre tocsin.
Il pleut un peu. Une bruine légère. Elle a posé sa tête contre sa veste. Il respire avec précaution son parfum de sel. Elle s’absorbe, scrute la surface martelée et liquide pour finalement relever la tête. Le vent en écartant quelque nuage ou un courant inespéré... le gris ourlé de jaune sale s’éclaire. Translucide, il dévoile toute la palette d’un orfèvre, Véronèse ou malachite, émeraude, avec parfois une pointe de cyan, de beige opalin, sculptée à même la masse liquide. La mer se retire, hésitante, emportant ses éclats.
Il n’ose la regarder, de peur de trouver dans son regard pâle, deux petites vagues assassines.*
*extrait de Démons et merveilles de J. Prévert
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.