Un carnet vert (PHIL)
Il aurait pu arborer une autre couleur. Mais il était vert.
Ce carnet, je l’ai rangé dans un des alvéoles de mon sac photo. En compagnie d’un stylo bille orné de marguerites qu’une de mes filles m’avait offert. Ainsi serais-je en mesure de prendre des notes lors de mes déambulations. Ou de noter les idées qui me passeraient par la tête à la suite de telle ou telle impression, et qui voudraient bien s’organiser sous forme de textes. Je noterais seulement l’idée, quitte à rédiger le texte ultérieurement. Ou je rédigerais une note brève ou un poème directement sur le carnet. Tout était possible. Avec un carnet en poche, je me sentais en sécurité. Je me sentais habillé.
Un jour, plus tard, on m’a fait présent d’un sac photo plus pratique. Le carnet vert y a trouvé sa place, ainsi que le stylo aux marguerites.
La couverture verte du carnet vert a légèrement terni avec le temps. C’est un carnet qui a voyagé. Pas très loin, mais il a voyagé.
Le carnet vert est vierge. Je peux compter les pages. Elles sont toutes là. Vierges.
Le carnet vierge serait-il inutile ? Non. Il est une sorte d’assurance. Ou de vêtement. Il m’habille.
J’exagère, mais à peine. Toutes les pages du carnet sont vierges. Mais il en manque deux.
Ces deux pages, je les ai déchirées le même jour.
A Cognac.
Cela aurait pu être ailleurs. Mais c’était à Cognac. Je m’appropriais la ville tandis que ma fille passait un examen. Au lieu d’attendre bêtement. A un moment je me suis assis sur un banc, dans un jardin public, et j’ai voulu écrire sur la part des anges. Ça n’a pas réussi. J’ai déchiré la page.
Et puis j’ai voulu gloser sur une idiotie que j’avais lue sur un panneau d’affichage, devant la maison de la presse. Ça n’a pas réussi. J’ai déchiré la page.
Quelle était l’idiotie en question ? Hum. C’est quelque chose que j’aurais volontiers intitulé « poids et mesures ». Le panneau d’affichage disposé devant la maison de la presse vantait une feuille de chou que j’imaginais destinée à des lecteurs plus qu’à des lectrices, puisqu’on devait y découvrir le classement des 100 stars féminines les plus sexys, c’était le gros titre de la chose. Cela laissait augurer d’un contenu d’une grande richesse, voire d’une qualité rédactionnelle exceptionnelle. Il était d’ailleurs précisé en plus petit, à côté de la photo d’une pin-up quelconque, que la pin-up en question, une certaine Paris Hilton (je ne sais pas où les américains vont chercher leurs prénoms, mais quelle idée…), que je ne connaissais ni des lèvres ni des dents, comme disait Bérurier, s’y trouvait nue à 99,3%. Dans la revue. Dont je n’ai pas mémorisé le titre, ce qui est peut-être dommage. N’empêche que ça me plongeait dans un abîme de perplexité. Comment pouvait-elle être nue à 99,3% ? Comment avaient-ils mesuré ? En quoi pouvaient bien consister les 0,7% restant ?
Je me suis dit, tandis que j’arpentais les rues de Cognac, que ce serait idiot de noircir les pages de mon carnet avec de telles inepties. Comme je l’ai dit, j’ai donc déchiré la page et j’ai décidé de n’utiliser le carnet qu’à bon escient.
Je ne sais pas si l’escient était bon lorsque j’ai photographié le carnet vert.
Oui, je l’ai photographié.
J’aurais pu tout aussi bien photographier le stylo aux marguerites ou la sacoche photo elle-même. Mais non. J’ai préféré immortaliser le carnet vert.
Que pouvais-je donc faire d’une telle image ? S’étonnera-t-on. Et bien la réponse, la voici : je l’ai postée en conclusion d’un blogue défunt. Il suffisait au visiteur de cliquer sur l’image du carnet vert pour accéder au blogue naissant. Le titre de ce nouveau blogue ? Le carnet vert, évidemment.