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Le défi du samedi
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2 janvier 2010

Le pommier (Phil)

Phil

On va se faire un pommier, avait dit Jacques.
Un pommier !
Certes. Et soit.
Il avait expliqué, c’est le cocktail national de chez nous, au fond du bout de la Bretagne. Chouette, avais-je répliqué, j’adore le jus de pomme. Et nous avions continué de déambuler dans la touffeur du début d’été.
Nous déambulions, oui. Le samedi après-midi. Quelques fois à pied. Le plus souvent en solex. En soldo, on disait. Ou en voiture, c’était d’un grand chic depuis que j’avais mon permis et une vieille 4L bleu marine. A trois vitesses, vingt dieux. Une pièce de musée pour ainsi dire.
Nous étions obligés de déambuler, quasiment. Pour avoir la paix. Parce que chez lui, comme chez moi, comme chez d’autres copains, il y avait des parents qui veillaient au grain. Des mères surtout. Nous étions des garçons relativement raisonnables, mais fallait pas exagérer, quand même. M’enfin. On pouvait bien fumer ce qu’on voulait sans que le monde s’écroule. Ou faire semblant. Comme mettre du thé dans les gauloises pour que ça sente bizarre. Ou faire des pommiers.
En l’occurrence nous déambulions à deux rues poussiéreuses de chez moi. A pied. Et pommier en tête, nous obliquâmes vers le supermarché.
A propos de pommier : mais non, avait dit Jacques, y a pas de jus de pomme dans le pommier, c’est breton ! Ce qui semblait expliquer tout. De fait le pommier se composait de gnole (de pomme, je présume, mais chez moi on n’avait que du schnaps de gewurz, cela ferait l’affaire, et comment ! y avait plus qu’à piquer une bouteille discrètement dans la cave), de vin blanc genre muscadet, bien acide, et de vin rouge, style du gros qui tache, bien lourd, comme on en trouve à tous les coins de rues en Bretagne, paraît-il. Et chez nous aussi, évidemment. Hum. L’affaire se présentait sévère. Mais j’avais dit ok pour le pommier, je ne pouvais pas me dédire. Et puis nous étions des garçons raisonnables, je vous dis. La preuve : Jacques, bien que breton, jouait au rugby. Le rugby est bien un gage de raisonnabilité de garçon, non ? Oui, mais les troisièmes mi-temps… Allons, allons, pas d’inquiétude : les mères de garçons raisonnables ignorent l’existence des troisièmes mi-temps.
Le pommier, je ne me rappelle plus dans quelle sorte de récipient on l’a préparé. Ce que je sais, c’est qu’on l’a trimballé chez un vague copain fils de dentiste qui habitait au fin fond des rues poussiéreuses. Un pavillon kitsch, comme tous les pavillons, mais assez sélect quand même, un dentiste, pensez. C’était tellement au fin fond qu’on ne pouvait raisonnablement pas y aller à pied. Alors on a pris la 4L. C’était plus pratique que les soldos pour transporter le pommier. Et plus convivial peut-être.
Je ne sais plus si on a goûté le pommier avant d’aller là-bas. En tout cas ne me demandez pas de vous expliquer exactement où c’était. Ni même de vous dire quoi que ce soit de la soirée. Je me souviens vaguement qu’à un moment Rémi enlaçait tendrement la cuvette des wc en dégoisant je ne sais quoi d’inintelligible. Je me souviens encore que le dentiste possédait un berger allemand auquel je m’efforçais de parler avec le plus bel accent alsacien, des fois qu’il aurait eu des accointances. Allemand, alsacien, il y a des similitudes. Je me souviens encore que tard dans la nuit quelqu’un m’a raccompagné en mobylette jusqu’à chez moi. Je veux dire le type roulait en mobylette, assez lentement, et je le suivais comme je pouvais avec la 4L. Je ne sais pas où était passé Jacques cette nuit-là. Arrivés tant bien que mal à bon port, le type m’a fait un signe de la main et s’est éloigné, mission accomplie. Moi, j’ai reculé pour entrer en marche arrière dans l’allée du garage, comme on fait d’habitude. La grille était fermée, mais je suis entré quand même, ça a dû faire un barouf du diable. Les lumières se sont allumées. Ma mère est sortie. Plus abasourdie qu’en colère. Un garçon si raisonnable ! J’ai eu du mal à me transporter jusqu’au lit vide le plus proche. Livide moi aussi. Malade. J’avais l’air fin, on peut le dire. Le fichu lit tanguait tant qu’il pouvait. Puis j’ai sombré dans le néant.

Jacques

L’autre samedi, j’ai inventé une boisson traditionnelle de chez nous : le pommier. Un tiers de calva, un tiers de vin rouge, un tiers de vin blanc. Avec Phil, nous sommes allés au supermarché du coin et nous avons acheté du vin blanc, genre celui que ma mère met dans le lapin en gibelotte, du bien acide en bouteilles de plastique. Puis du rouge : du gros qui tache. On n’en a pas trouvé en bouteilles de plastique, alors on en a pris du en litre étoilé. Frelaté mais pas cher. On s’est vaguement dit que ça pourrait nous fusiller des salves de neurones plus rapidement qu’avec la fumette, mais ça ne nous a même pas flanqué les flubes.
Je serais bien passé chez moi récupérer la bouteille de calva de mon père, mais j’ai franchement eu peur des représailles. Phil a dit qu’ils avaient plein de gnôle dans leur cave et que ça ferait l’affaire. Banco.
On a transporté les munitions chez un copain qui faisait une fête impromptue. On a mélangé le tout dans la cocotte minute et on a commencé à picoler.
A un moment je suis sorti pisser dans le jardin, à cause que Rémi monopolisait les chiottes. En fait il s’y était endormi par terre en enlaçant tendrement la cuvette.
Je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai un vache de trou noir. Je me suis réveillé allongé sur un banc en bois à moitié bouffé par la pourriture. Il faisait déjà jour. J’ai voulu me lever, mais je n’ai pas pu tout de suite. Il y avait un arbre au dessus de moi, je voyais ses branches s’agiter dangereusement, pourtant il n’y avait pas de vent. Le banc tanguait pas mal, j’avais comme une espèce de mal de mer. J’ai eu l’impression que l’arbre venait à ma rencontre et que j’allais en prendre plein la gueule. Je me suis frotté les yeux vigoureusement mais ça a été sans effet sur la migraine qui commençait à me terrasser. Fugitivement, j’ai quand même eu envie de me marrer, parce que l’arbre en question, qui agitait mollement ses branches pleines de petits fruits encore verts, je l’ai reconnu aisément, c’était un pommier.

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Commentaires
T
... le coup du berger allemand sur cet espace gardé par quelques pâtres belges... :))<br /> <br /> bon, je ne lirai ton texte qu'une fois de plus, au-delà, je crains de tomber dedans (les pommes !!).
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P
Moon, j'aurais bien aimé avoir une copine vigneronne dans le Beaujolais !<br /> <br /> Map : l'accent alsacien lors de libations, ce fut une de mes lubies de jeunesse.
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M
Phil et Jacques ... même combat !!! Quel cocktail décapant !!!<br /> Hi,hi,hi : "un berger allemand auquel je m’efforçais de parler avec le plus bel accent alsacien, des fois qu’il aurait eu des accointances."
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M
Je pense à ma mère qui m'avait envoyée en weekend chez une copine sans la moindre inquiétude, oubliant juste que les parents de la dite copine étaient vignerons dans le Beaujolais... Alors désœuvrement et imagination aidant, nous fûmes bien malades !<br /> Merci pour ce récit biface si bien croqué !
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P
Heureux de vous avoir amusé un peu, tous. Et j'en profite pour vous souhaiter une excellente année.<br /> La première partie du récit ne s'éloigne hélas pas trop de ce que je me souviens de la réalité. Pour le reste...<br /> :-D
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J
C'est déprimant : rien n'a changé, à part les contenants et les véhicules ! Mais qu'importent les flacons pourvu qu'on ait l'ivresse, dit le proverbe.<br /> Tes récits sont un véritable nectar des dieux, Phil. Je te souhaite une excellente année 2010 !
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Z
ouah , super la cuite qui déchire grave ! çà rappelle des souvenirs peu glorieux mais drôles. <br /> mélange explosif ... effectivement je préfère tenter l'hypocras
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C
Je crois que je préfère l'hypocras à tester Mais j'ai bien ri et j'ai aimé l'atterrissage de la cuite en regardant le pommier.
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W
J'ai tout bien noté, mais le vin blanc en bouteilles plastiques, en Belgide ça va être dur !
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V
Mouarf!<br /> J'aime beaucoup, Phil. <br /> Merci. C'est réjouissant.
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P
On perçoit le désœuvrement dû au coin paumé où se situe l'expérience, mais, c'est tendre toutefois, l'auteur les aime encore ces jeunes d'hier, il ne les juge pas.
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T
ça me penser que jeunes nous n'étions pas mieux que les jeunes d'aujourd'hui...<br /> Bravo pour ces récits
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B
Celle-là me fait rire, le coup de la 4L qu'on raccompagne en solex : Mouarf comme dirait Valérie.
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P
[penser à oublier la recette du pommier]<br /> <br /> marrant que ces deux-là aient quand même réussi à se souvenir l'un de l'autre ;o) !!
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