attendre et pisser (Poupoune)
Sûr que
l’patron avait toutes les raisons d’être un peu fâché. C’est vrai qu’la
moutarde lui était drôlement montée au nez après c’t’histoire où
j’avais malencontreusement dessoudé son rejeton, mais j’trouvais qu’il
exagérait quand même un peu. Déjà, j’le soupçonnais sérieusement de pas
être mécontent que quelqu’un l’ait débarrassé d’ce boulet et puis bon,
la sanction était un peu sévère. D’une c’était un boulot d’débutant, de
deux la planque était pourrie et mal équipée… et par-dessus l’marché
Lucien me tenait évidemment pour responsable, ce qui achevait de rendre
l’attente carrément pénible.
Moi je faisais d’mon mieux pour qu’ce
soit pas trop désagréable, mais les deux autres, là… Lucien, c’est bien
simple, à part compter les heures il faisait tout avec la pire des
mauvaises volontés. Evidemment, coincés là tous les trois dans cette
bicoque crasseuse, avec la môme qui boudait carrément alors que j’étais
aux p’tits oignons avec elle, c’était pas une sinécure… mais avec un
tout p’tit effort de leur part ça aurait très bien pu être vivable. Ou
quasi.
Pas marrante, la p’tite… Avec ses cheveux tout courts et sa
tunique safran, elle ressemblait à un bonze, mais il suffisait qu’elle
ouvre la bouche pour que l’impression de zen disparaisse. Si y avait
pas potentiellement un max d’oseille au bout, j’la foutrais dehors vite
fait. Ça calmerait aussi Lucien parce qu’avec tout ça il avait l’air en
souci. J’me faisais p’t’êt’ des idées, mais j’jurerais qu’ses cheveux
avaient viré poivre et sel sur ces trois derniers jours.
N’empêche
que c’boulot, c’était l’sésame pour retrouver les bonnes grâces du
patron alors j’avais pas l’intention d’le foirer. L’était bien loin,
l’temps où on pouvait s’reposer sur nos lauriers. Là, on était attendus
au tournant. Et pour corser l’affaire, pimenter un peu plus la
situation, il avait paumé l’adresse, Lucien. Fallait quand même pas
avoir grand-chose dans l’citron ! Et vu comme il était vissé, au lieu
d’faire amande honorable en remuant ciel et terre pour la r’trouver il
restait là à suçoter ses bâtons d’réglisse en ronchonnant dans un coin.
Et c’est moi qui me colletais la gamine en essayant d’la faire causer.
Le problème c’est qu’le patron nous avait piqué nos flingues pour pas
qu’on la tue par mégarde, alors pour lui faire peur, j’ai dû
m’débrouiller avec c’qui traînait là… mais à part un presse-ail et un
balai achiote, y avait rien qui soit susceptible de l’effrayer, la
môme. Autant attendre épicé dans un violon.
Du coup, je sentais qu’ça allait durer une éternité, parce qu’on n’avait même pas encore envoyé la demande de rançon.