Sur les murs de guimauve (Caro _Carito)
Murs
de guimauve Où
se perdent, mot à mot Les
encres de nos vies L’immeuble
craque. Le vent de décembre vient de l’ouest. Il est
glacial. Un
immeuble ou plutôt une maison flanquée de plusieurs étages, fin XIXème. Hier,
ancien hôtel de passe, il soupirait alors ; le bois à peine ciré des escaliers
gémissait sans cesse. De jour. De nuit. A peine quelques mots effleuraient les
murs recouverts de papier peint. L’immeuble était jeune alors, vain bien
entendu et assuréméent inattentif aux murmures qui
l’effleuraient Le
vent fait bruisser les branches des platanes qui ceinture le lycée ; il
s’enfuit déjà vers la Seine. L’immeuble se tait. Au premier, une main relève la
couette légère. Deux fronts se touchent, une berceuse fredonnée transmise du
bout des lèvres par une autre, mère, tante, aïeule. La porte se ferme sur la
veilleuse assoupie Les murs chuchotent à l’enfant, les mêmes paroles : l’était une tite poule
brune…. La
maison se penche. « Amorino,
Amorino ! ». La jeune fille porte doucement la carte postale à sa
joue. Elle croit respirer l’odeur salée de Chiogga. Et Andrea, ses lèvres minces
murmurent dans un souvenir fugace : « Amorino, te scrivero tutti le
settimane. ». Elle repose la carte postale où sourit un gondolier et
attrape une feuille dactylographié, elle a coché une case en haut à gauche. Elle
fera de l’italien l’an prochain. C’est décidé. La
maison s’étonne. La porte de la cave 5 est entrouverte. Une lampe électrique
balaie les étagères. « La bougresse, la bougresse ! C’est là
qu’elle avait caché ma prune ! » Une larme s’écrase sur la terre
battue. « Ma bougresse… » La
maison retient son souffle. Un cri, un seul « A table. » Galop et chaises qui
raclent le plancher. Ce quart de silence juste avant que les mots fusent. La
maison suspend son souffle. La
vieille bâtisse a entendu le train de 20h. Elle devine qu’il va rentrer, allumer
la lampe, jeter sa mallette sur le clic clac. Il va se diriger près de la
fenêtre et s’agenouiller devant elle. Soigneusement essuyer une à une ses
feuilles vernissées à peine poussiéreuses. « Petit Schefflera, Mabelle, Ma
toutebelle. Tu es à couper le souffler. » Il se lèvera et attrapera
une télécommande noire ; la
télé ronronnera toute la soirée. La
maison dort quand le dernier arrivant monte les escaliers, quatre
à quatre. Un voyant vert clignote dans la pénombre. Il enclenche le répondeur,
les murs assombris sursauteront. Une voix de femme tremblante : « Même à Limoges, je t’aime. » Une
pause. « Pour effacer ce message, veuillez appuyer sur le bouton
rouge. » Le
silence s'établira patiemment entre les fenêtres qui crissent et les
craquements, le vieil immeuble qui endormira . Après avoir longtemps veillé
un petit point vert. Lumineux. Qui bat
encore.