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Le défi du samedi
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12 décembre 2009

Rencontre (Phil)

Dans ma jeunesse, jusqu’à dix-huit ans à peu près, j’allais à la messe. J’avais beau être timbrée, j’allais à la messe. C’est difficile à croire, mais c’est comme ça. Même que je faisais partie d’un groupe de gentils chrétiens assez informel dont la vocation était d’animer les messes. Avec guitare, tambourins et tout le toutim. Et chansons de Graeme Allwright. Jolie bouteille, sacrée bouteille. Non. Pas celle-là. D’autres. J’ai oublié les titres. Et les paroles. Et les mélodies. Pas la peine que j’en cause, alors.

Ce n’est pas le fait d’aller à la messe qui m’empêchait d’être défoncée. J’allais à la messe défoncée. Ou à moitié bourrée. Ou les deux. Dieu merci (si je puis dire) je savais donner le change. De toute façon tout le monde s’en foutait. Personne ne voyait rien. Je vivais dans un monde bien gentil où on ne regardait pas autrui. C’était assez effroyable, à y repenser.

On m’avait collé une étiquette de timbrée. Joli colis. On aurait pu rajouter sur moi fragile, urgent, haut, bas, tout un tas d’autres inepties. Il n’aurait plus manqué qu’on m’emballe et qu’on fasse un joli nœud doré, j’aurais été un super cadeau.

Je me souviens d’un jour où j’étais allée à la messe particulièrement défoncée et bourrée. Ce n’est pas qu’on m’avait virée pour autant, non. Personne ne s’était avisé de rien. Il n’empêche que je ne chantais pas avec les autres. J’étais défoncée, bourrée et hostile. Ça faisait beaucoup et ce n’était pas tellement chrétien. Je n’en avais rien à battre. Ce n’était pas pour ça que je ne chantais pas leurs mièvreries. C’est parce que j’avais mal aux dents et qu’à cause de ça j’avais dévalisé l’armoire à pharmacie de mon père. Et j’avais fait couler les médocs avec un doigt de suze. Vertical, le doigt. Et pas un doigt de bébé. Du coup j’étais assise sur un banc du fond. J’avais des sensations étranges. Je voyais les couleurs du vitrail qui foutaient le camp dans les limbes. J’entendais mon cœur battre la chamade. Tout ça bourdonnait dans ma tête et je ne savais plus trop où j’étais. J’avais conscience du bois dont était fait le banc, et j’avais l’impression d’être de bois moi-même, que mon cul allait bientôt se greffer au banc, et que j’allais prendre racine là, dans le dallage de l’église. Lorsque j’en ai eu ras le bol, je suis sortie de là comme j’ai pu, j’ai fait le tour du parallélépipède en béton qui nous servait d’église, histoire de vérifier si dehors aussi les couleurs du vitrail s’échappaient vers le ciel, j’en ai profité pour engueuler quelques copains qui jouaient à la pelote basque contre le mur (et parfois contre le vitrail, c’est ça qui me donnait l’impression d’entendre résonner anarchiquement les battements de mon cœur), et je suis partie m’asseoir sur les marches du parvis. Entre parenthèses, je me fichais pas mal qu’ils fassent du bruit. C’était juste un petit plaisir que je m’offrais. Les engueuler.

J’ai tout faux. Ce n’était pas vraiment la sortie de la messe. Je m’étais sauvée bien avant la fin.

Sur les marches, je n’étais pas seule.

Il y avait une autre fille que je ne connaissais pas. Méchamment belle, la fille. De longs cheveux noirs (qui me donnait envie de haïr ma propre blondeur). Un visage de madone. Un sourire… mon dieu. Un jean tout déchiqueté d’un côté. Ça, c’était marrant.

D’une ex-boîte de pastilles pour la gorge que j’avais dans mon sac, j’ai sorti une cigarette d’herbe toute prête et j’en ai proposé une à la fille. Elle a préféré prendre une gauloise dans un paquet tout chiffonné qu’elle a extirpé de sa poche de chemise.

Nos fumées se sont mêlées tandis que nos regards convergeaient vers un néant confus. Puis, sans nous concerter nous nous sommes levées et, tandis que le jour déclinait, nous nous sommes enfoncées dans le sous-bois. Nous avons marché pendant plus de deux heures, accordant nos pas au rythme lent de notre conversation. Nous devisions avec enthousiasme, de tout, de rien. De lecture, essentiellement, et de musique.

Elle ne connaissait pas Caravan.

Elle a dit, j’aimerais que nous soyons amies, je m’appelle Livia. Elle ajouta, afin de justifier ce prénom peu banal alors même que je ne demandais aucune explication, nous venons d’Italie.

C’est amusant, j’avais soudain oublié que j’étais défoncée. Je n’étais plus hostile du tout. Je ne sais pas si ça existe, un coup de foudre d’amitié. Peu importe. On pourrait dire que c’était ça qui nous arrivait. Du coup, en m’adoptant, c’était comme si elle avait gagné le gros lot. Un super cadeau.

Ceci est un extrait d’un texte beaucoup plus long sur lequel je travaille en ce moment. C’est pourquoi ça peut paraître un peu tiré par les cheveux par rapport à la consigne.

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Commentaires
R
"Avec guitare, tambourins et tout le toutim. Et chansons de Graeme Allwright. Jolie bouteille, sacrée bouteille. Non. Pas celle-là. D’autres. J’ai oublié les titres. Et les paroles. Et les mélodies. Pas la peine que j’en cause, alors"<br /> aurions nous eu la meme jeunesse<br /> (à quelques déscénies prés! féminité oblige !!)<br /> <br /> ... mais si parlez en ! je les chante encore !<br /> et oui, on ne se refait pas tout à fait entièrement !
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P
Captaine Lili : heureux que mes mots te plaisent. C'est moi qui te remercie !
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C
J'aime particulièrement ce passage : "On m’avait collé une étiquette de timbrée. Joli colis. On aurait pu rajouter sur moi fragile, urgent, haut, bas, tout un tas d’autres inepties."<br /> Merci pour ces mots offerts.
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P
Nouvelle précision, Joe, l'église évoquée se trouve dans la ville où je vivais dans ma jeunesse et où j'ai eu la chance de voir le groupe Caravan (concert offert par la municipalité, si ma mémoire est bonne !).
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J
Merci de cette précision, Phil ! Ca collait assez bien pourtant avec le personnage ! Tiens-nous au courant de l'aboutissement de ton projet, ce récit est déjà très attachant sous sa forme d'extrait. Bonne semaine à toi !
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P
Réponse spéciale à Joe Krapov. J'ai eu ces 33 tours dans un temps ancien. J'ai même vu le groupe Caravan sur scène en région parisienne. Un doux souvenir. Amusant, non ? Ceci dit ça n'a rien à voir avec mon texte. Caravan est le titre du roman, en rapport avec le célèbre morceau de Duke Ellington.
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P
Merci beaucoup à tous. J'espère bien être en mesure de vous faire lire un jour le texte entier. Pourquoi pas sous la forme d'un livre. Parce que ça pèse un peu moins de 200 pages A4 !
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C
J'aime bcp ton texte. Il y a ce quotidien, cette impression de ça va toujours être comme ça et paf livia. En^plus j'adore l'italie.
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B
Je crois au coup de foudre d'amitié !!<br /> C'est vrai qu'il est très agréable de te lire.
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P
Vous offrez ce que vous tirez des mots, Phil.
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V
Merci de nous offrir ce passage, Phil. <br /> Moi j'adore vous lire. Je trouve que vous écrivez toujours bien. je suis un peu fan.<br /> On pourrait en lire un peu plus??? Si on demande gentiment?
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V
Merci pour le super cadeau
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J
La suite ! La suite ! C'est en ligne ? Où ça ?<br /> Et le Caravan, c'est bien celui de "Waterloo Lily" et de "In the land of grey and pink" ? Si c'est oui, c'est trop drôle car ce sont les trois disques, avec travelling ways, que j'ai actuellement sous les yeux après les avoir écoutés cette semaine !<br /> Allez "bonus" pour tout le monde : <br /> http://www.deezer.com/listen-2321370<br /> <br /> Et encore bravo pour ce récit qui a de belles résonances avec l'actualité !
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P
Ah, ben vivement la version longue, Phil ! <br /> Elle me plait cette fille, elle me plait... hâte de la retrouver.
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T
Je jurerais que la demoiselle blonde s'appelle Phil! (pour ses idées en tout cas...)<br /> C'est joliment écrit. Merci Phil!
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M
Un coup de foudre d'amitié, en voilà un beau cadeau ! Et "Amitié" est un si beau mot !
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J
Partager ce qu'on a chez soi, c'est le plus intime des cadeaux.<br /> <br /> Qui peut demander mieux ?
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