Suite de Papistache (PHIL)
Chapitre LXVII (Papistache)
Les dents de Zia couraient le long de son échine ; Raja laissait faire, elle découvrait. La journée n’avait cessé de lui apporter son flot de sensations nouvelles.
D’abord la lutte de Zia contre Vieux-Tong, la fuite du patriarche déchu, la course folle des femelles, la longue poursuite lancée par le vainqueur du combat, la parade. Elle revoyait le jeune mâle aux muscles noueux l’isoler, elle, du groupe apeuré, la pourchasser, la harceler, la forcer.
Promise à Vieux-Tong, elle n’avait pas encore été saillie, d’autres femelles avaient sa préférence et l’ardeur du chef déclinait. Zia, lui, l’avait choisie parmi les trente, peut-être parce qu’elle était vierge, peut-être parce seule elle arborait une robe mordorée. Un jour, elle lui demanderait.
Les autres femelles, bien sûr, allaient connaître les faveurs du mâle présentement couché contre son flanc et dont la verge entamait lentement sa détumescence ; les odeurs acides de leur rut sauvage emplissaient la vallée où leur course folle les avait entraînés. Sa vulve se contractait encore nerveusement, la semence de Zia l’emplissait. Elle poulinerait. Bien qu’épuisée, elle réalisait combien son statut de femelle première élue allait modifier son existence.
Zia pinçait de ses dents la peau du dos de sa compagne. C’est pour elle qu’il avait osé défier le pouvoir du chef. Il avait senti monter en lui une animalité nouvelle, animalité qui avait encore augmenté pendant la poursuite dans la grasse vallée du fleuve où leur errance les avaient conduits. Le vieux avait été un adversaire facile à vaincre ; sans doute avait-il compris que l’heure de céder était venue. Dans quelques mois, apaisé, il retrouverait une place ; au conseil des Sages il apporterait son expérience. Il fallait lui laisser le temps de recouvrer une dignité, le temps de muer, le temps qu’à son front l’auréole qui naissait à celui de Zia s’estompe.
Raja lui plaisait, toute pensée articulée avait fui son corps pendant l’accouplement : une bête ! Il s’était laissé commandé par son cerveau archaïque. Le premier poulain qui naîtrait des flancs de Raja serait à la fois son premier héritier et, peut-être, son rival. Mais, la planète aurait encore de nombreuses rotations à effectuer autour du soleil avant de songer à une succession et il faudrait prouver sa valeur.
Il aimait la brutale transition entre la peau nue du torse de sa compagne et la robe fine et irisée de sueur de son corps souple. Du doigt, il suivait la ligne et s’amusait aux tressaillements involontaires des muscles sensibles. La pointe des petits seins fermes de sa compagne ardait comme framboise. Raja s’appuyait du coude sur le creux de ses reins que des spasmes parcouraient encore. Elle était une charge légère. Leur souffle à tous deux reprenait un rythme normal. Ils savouraient l’instant.
Raja, la première, rompit le silence. Ils n’avaient pas échangé un mot. Jamais. Elle demanda s’il savait où se trouvait le reste du groupe ; il répondit que les vieilles femelles retrouveraient leurs traces, leurs huit sabots avaient imprimé dans la tendre herbe printanière un sentier bien plus lisible que les routes compliquées de leurs migrations saisonnières.
Il avait plu les jours précédents, quelques nuages couraient encore dans le ciel. Leur expérience des cycles de la nature permettait au couple, allongé dans l’herbe, de deviner que ce seraient les derniers avant longtemps. Les flancs de la jeune centaure afficheraient une courbe conséquente avant qu’ils ne reviennent, et d’ici là, leurs incessantes pérégrinations les auraient menés par de savantes boucles aux sources du fleuve d’où la légende disait que l’histoire de leur peuple était née.
Un éclair fit dresser la tête de Raja. La saison des orages n’était pas de mise. Ce n’étaient pas ces nuages résiduels qui allaient devancer la fin de l’été et l’éclair avait jailli de la ligne d’horizon. Son compagnon perçut l’inquiétude. Il releva la tête et la tourna dans la direction vers laquelle portait le regard de la jolie cavale.
Ils se dressèrent sur leurs sabots.
A plusieurs heures de galop, au couchant, une troupe se déplaçait. Les rayons du soleil se réfléchissaient sur de fines éclisses qui barraient le poitrail des inconnus. Celui qui n’a jamais vécu — s’il en est — en ces siècles où l’air avait cette pureté originelle qui permettait de distinguer jusqu’aux limites extrêmes le moindre détail ne comprendra pas la précision des images que perçurent les rétines des deux centaures. Ceux qui chevauchaient en tête avaient l’air ténébreux, la sueur perlait à leur front, leurs dents jaunes qu’un rictus d’effort dévoilait étaient serrées, mais l’horreur qui venait de faire vaciller les membres de Raja et Zia ne gisait pas dans cette vision-ci.
Suite par PHIL :
Une fois de plus, Angélique referma le fichier. Voilà deux mois qu’elle avait n’avait pas touché au texte. Elle en était au chapitre 67, ce n’était pas rien. Pas loin de deux cent pages. Mais voilà qu’elle ne parvenait pas à poursuivre.
Elle venait de relire les quelques pages composant ce fameux chapitre 67. Elle était assez fière de ses trouvailles, il faut bien l’avouer. Par exemple ces fines éclisses barrant le poitrail des inconnus… Elle se sentait découragée, pourtant. Elle n’avait soudain aucune idée de la matière dont seraient faites ces éclisses. Du bois ? Le soleil ne s’y serait pas réfléchi. Ou alors du bois encaustiqué ? Un léger sourire lui vint. De l’acier ? Allons donc. En ces temps où l’air avait encore sa pureté originelle, l’acier n’existait pas, pas plus que tout autre métal à vocation guerrière. Alors quoi ? Bien sûr, les aventures de ses centaures attestaient qu’on nageait là en pure fiction, elle avait donc le champ libre pour laisser libre cours à son imagination, ce dont elle ne s’était pas privée depuis le premier chapitre. Pourtant il lui semblait soudain qu’elle se heurtait à des problèmes insolubles d’anachronisme.
Elle regarda pensivement l’écran. Elle eut même la tentation d’effacer purement et simplement le fichier. Des mois de travail annihilés en un clic de souris, cela faisait tout de même réfléchir. Ou alors il lui faudrait reprendre la rédaction de ce chapitre 67 afin de pouvoir enchaîner plus aisément.
Oui, parce que ce serait dommage de tout détruire. Elle était tout de même fière de ses trouvailles. Ne serait-ce que pour ce chapitre le plus récent, elle était allée jusqu’à exhumer du Littré des termes tombés en désuétude depuis des lustres, tel ce verbe « arder » dont avec délectation elle animait les seins de la jeune centaure.
Elle sourit encore. Elle s’étonnait elle-même d’avoir mis en scène un couple aussi conventionnel. De centaures, certes, et on n’en rencontrait guère couramment. Y compris en littérature. Mais tout de même, cette histoire de grand mâle protecteur et combatif, et de femelle vierge et néanmoins voluptueuse dès la première étreinte, qu’est ce que c’était convenu ! Cela ne lui ressemblait pas du tout. Physiquement, elle n’était pas plus grande que la majorité des autres femmes, et les talons hauts sur lesquels elle aimait se jucher n’y changeaient rien. Toutefois, dans le couple qu’elle formait avec son François, c’est à elle que revenait le rôle protecteur et combatif. Il lui arrivait même, lors de leurs ébats, d’user avec lui d’arguments assez pénétrants. C’est ainsi qu’elle voyait les choses : elle était l’élément dominant, et c’était, lui semblait-il, en cohérence avec son activité de tueuse à gages (dont François ignorait tout, bien évidemment, et heureusement pour lui). Il n’y a qu’avec ses futures victimes qu’elle se donnait volontiers des airs de femelle soumise. Et encore.
Angélique eut soudain une idée : elle pourrait mettre en scène quelqu’un comme elle, une tueuse armée jusqu’aux dents qui viendrait semer la panique au royaume des centaures, même que la vision d’horreur de Raja et Zia, ce pourrait être ça, et foin des prétendus anachronismes. Elle pensa fugitivement à rouvrir le fichier. Finalement elle s’abstint. Elle venait de voir l’heure dans le coin en bas à droite de l’écran. Il était largement temps qu’elle se prépare à sortir. L’écriture, c’était bien joli, mais ce n’était qu’un hobby relaxant et ça ne payait pas. Son job était ailleurs. Et justement, elle avait du boulot. Un yuppie qui s’était cru autorisé à doubler son boss. Il fallait dessouder sans tarder.