Vendange (Phil)
Bienheureux
hasard
Ma
venue parmi les vignes.
L’or
est dans le verre.
Il y a tant
d’années. Plusieurs décennies.
Et me voici de
retour. J’ai laissé le vieux Québec derrière moi. J’en suis parti sans regret.
Il s’agissait de tourner une page. Je n’ai même pas pris l’accent,
s’étonne-t-on maintenant, tandis que j’embrasse l’un après l’autre les oncles
et les tantes, les cousins et les cousines.
Demain ce sera la
vendange et nous irons entre les rangs mordorés couper les grappes gorgées de
sucre. Bientôt les rires et les appels fuseront dans la légère brume du matin.
J’aurai la sensation d’une communion entre nous. Peut-être y aura-t-il de la
rosée. Peut-être nos doigts seront-ils gourds à force de triturer du froid,
alors il faudra prendre garde au coup de sécateur, un accident est si vite
arrivé.
A un moment
quelqu’un décrétera que ce sera l’heure de la pause. Alors l’un des oncles,
celui qui est devenu le patron, se dirigera vers la petite porte rouge ouvrant
dans le tuffeau.
A ce moment,
j’échangerai un regard de connivence avec Emilie, ma jolie cousine. Oh, je
sais, elle n’est plus une jouvencelle. Je vais sur mes cinquante, et elle a
quelques années de moins. Mais qu’importe. Il me plait qu’elle soit toujours ma
jolie cousine. J’aime la manière dont la vie a marqué son visage.
Ce regard, nous
l’échangerons, car derrière la petite porte rouge, nous nous souviendrons que
se dresse un palais magnifique, mais c’est un secret, à ce qu’il paraît. C’est
du moins ce qu’on nous disait lorsque nous étions enfants et que nos jeux nous
portaient par ici : derrière la porte, il y a un secret. Un secret
terrible, même, ajoutaient certains pour nous faire peur.
En fait de secret,
je sais bien ce qu’il y a, moi, derrière cette porte dont on garde jalousement
la clé. Le mystère n’est pas bien grand. Il s’agit juste de savoir si l’oncle
ramènera du bourgueil ou bien du chinon. Si ce sera un vin d’une année
quelconque ou au contraire une œuvre d’art sculptée par les aléas de la météo.
Je regarde Emilie.
Oh, ce qu’autrefois j’ai été amoureux ! Dans ses yeux je lis encore la
connivence, et voilà que ça me donne envie de chanter, comme autrefois, que…
…¯Moi, j'avais le soleil
Jour
et nuit dans les yeux d'Emilie¯.