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Le défi du samedi
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3 octobre 2009

Puis la lumière s'est tue… (Stipe)

Mais bien avant ça, nous avions visité cette maison de village et nous avions tout de suite eu pour cette bâtisse ancienne un coup de foudre comme dans les émissions de M6. Le cachet de ces maisons qui ont connu des générations d'hôtes et dont les murs pourraient raconter bien des histoires intéressantes pour peu qu'on leur tende le micro.

Nous l'avions aménagée avec goût, du moins avec le nôtre, comme on dit à Versailles. Comme toutes les vieilles demeures, elle souffrait de nyctalopie sonore et se réveillait la nuit, nous offrant une sérénade de bruits plus flippants les uns qu'incongrus les autres. Les anciens propriétaires l'avaient quittée après que le mari avait tenté de se pendre, et nous plaisantions sur le triste sort qui nous était promis si nous ne mettions pas fin à tout ce barouf nocturne. Nous avons donc dératisé les combles, changé les volets grinçants, graissé le portail rouillé ou encore remplacé le vieux parquet. Et quelques mois plus tard nous avions retrouvé le calme d'un logis ronronnant comme un félin apaisé.

Lorsque nos troubles du sommeil sont apparus, j'ai d'abord mis ça sur le compte évident du stress au travail. Ma femme a mis les siens au crédit de ses difficultés à tomber enceinte. Et plus nous essayions en vain, plus nous étions anxieux et énervés de l'échec, et plus nous nous déchirions. Et plus nous nous éloignions, plus nous avions besoin d'avoir cet enfant pour nous rapprocher et retrouver la sérénité. Que ne nous offrait pas la nuit.

Refusant les somnifères, je me suis acoquiné avec l'alcool qui vous brûle la gorge et vous aide à trouver facilement le sommeil, mais mes cauchemars persistaient malgré le goulot.

Puis une nuit d'insomnies, je les ai entendues. Les voix.

Lointaines, très lointaines, car sourdes. Des gémissements, des complaintes, les litanies de quelque voisin névrosé. Pour en avoir parlé aux plus proches, j'ai appris que personne ne s'en plaignait et qu'au contraire le calme noctambule du quartier n'était troublé que par de rares mobylettes pétaradantes ou d'excitées grenouilles aux périodes de frai. Je n'en ai pas été convaincu pour autant car qui viendrait se plaindre de ses propres plaintes ?

Et pourtant…

Partout je les entendais, je n'entendais même plus que ça. Elles se faisaient angoissantes car difficilement perceptibles et impossibles à identifier. Ma femme souffrait aussi d'un sommeil léger mais semblait sourde à cette gêne là.

Pourtant je les entendais, moi.

Toutes ces voix à l'unisson qui semblaient appeler à l'aide et m'avaient choisi comme unique auditoire à leurs souffrances. Oui, j'avais cette impression que ces voix perdues m'adressaient leur agonie et m'attiraient à elles.

J'avais fini par les attendre, ne parvenant pas à m'endormir tant qu'elles ne s'étaient pas manifestées. Les boules Quiès s'étaient avérées inefficaces : elles brisaient mon rituel et me privaient de la manifestation latente de mon angoisse, renforçant la réalité de celle-ci. Les voix étaient là et ne plus les entendre ne les faisait pas taire pour autant.

J'avais remplacé la bouteille d'eau au pied du lit par celle de whisky et les voix s'étaient installées dans les champs de houblon que faisaient pousser mes angoisses éthyliques. Si l'alcool était un placebo efficace aux souffrances humaines, ça se saurait et sa vente se ferait sur ordonnance.

Lorsque je me concentrais suffisamment, j'avais l'impression de pouvoir saisir des mots, des expressions. Elles cherchaient à me dire quelque chose que je ne pouvais saisir du fait de leur éloignement et de leur volume étouffé, comme lorsque l'on écoute les bruits ambiants en plongeant la tête dans son bain. Alors je m'inventais des sonorités, je me pensais capable de différencier les émetteurs, je m'imaginais des talents de télépathe… De psychopathe, oui ! La vérité c'est que je devenais zinzin.

Une nuit d'agitation comme les autres, je choisis d'aller les traquer. Je me levai et entrepris de supprimer méthodiquement toutes les sources de pollution sonore qui m'empêcheraient de localiser les voix : je débranchai le frigo et l'aquarium, fis sortir le vieux chien ronflant et arrêtai la chaudière et ses cliquetis métalliques et irréguliers.

Je fermai alors les yeux et mis ma respiration en suspens dans une apnée concentrée. Les voix venaient d'en dessous, d'en bas. De la cave.

J'allumai l'ampoule souterraine et descendis les marches, accompagné seulement de ma trouille enfantine.

Les voix se firent plus pressantes, plus appelantes que jamais. Je venais à elles et elles s'empressaient vers moi. J'étais au milieu de la cave et elles m'entouraient, me transperçaient de part en part. Et pourtant, elles étaient encore ailleurs. Sous mes pieds.

N'écoutant que mon inconscience plus que mon courage, je m'agenouillai et collai mon oreille au sol tel l'homme préhistorique traquant le diplodocus ou que sais-je avec un nom en latin.

Et les voix étaient bel et bien là, sous l'humidité du parterre. Je me relevai d'un seul homme, moi.

Puis la lumière s'est tue…

Depuis, j'appelle toutes les nuits, je crie ma détresse à qui veut bien la croire, je hurle en chœur avec les voix de mes colocataires.

Mais essayez de vous faire entendre, vous, avec de la terre plein les poumons…

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Commentaires
M
Ouh là là oui c'est vrai que l'on retient son souffle en suivant le déroulement de cette histoire Hitckokienne ! Un grand bravo Stipe !
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O
Excellentissime, et l'on comprend que l'alcool ne tue pas si lentement que ça. <br /> Moi, je couche au sous-sol. Comme ça je suis déjà sur place.<br /> Au fait, tu as toujours su garder ta trouille d'enfant ! Elle n'a jamais vieilli ! C'est bien...
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P
preums, tiniak ? ouais, c'est ça, ouais... on en reparlera, hein... ;o)
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T
poum poum<br /> ça pulse bien, là-dedans !<br /> <br /> et comme je n'avais pas pris pour argent comptant certain texte produit ailleurs, je me joins d'autant à Papistache pour t'assurer qu'ici (même avec du caca-pipi collé aux basques de personnages publics), ici on t'apprécie.<br /> <br /> moi, preums...<br /> siii...<br /> teu teu teu...<br /> cémoikilé vul preums, alors c'est moi preums...<br /> sssuuiii...<br /> <br /> ;-)
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B
Quand on a du coton dans les oreilles, du whisky dans le ventre et de la terre dans les poumons, on est terriblement mal en point, c'est la conclusion qui s'impose.
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Z
brrr çà fait froid dans le dos !<br /> qu'avez vous fait du diplodocus ?<br /> on retient son souffle...
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C
Un texte à ne pas lire dans une vieille maison vide... comment ça, je suis un peu froussarde ?
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B
Terriblement... angoissant! Tu m'as filé la frousse!<br /> Bravo, ton texte est superbement bien écrit (Mais non j'faillite pas!)
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J
Je change mon jugement : Stipe est fantastique !
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P
vache.<br /> tu sais y faire dans ce registre, dis!<br /> même pas de prout, même pas (ou si peu) de jeu de mots, et pourtant...<br /> <br /> bravo, m'sieur.
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W
Votre histoire me rappelle un apéritif au quinquina aujourd'hui disparu dont le slogan était<br /> "Mieux vaut Laterre dans le corps<br /> Que le corps dans la terre "<br /> Mais selon vous, les deux sont compatibles.
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V
Tu sais nous faire tendre l'oreille jusqu'à la dernière phrase... terrible; et puis j'ai bien aimé "les voix s'étaient installées dans les champs de houblon". Bravo
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V
Oh, j'aime bien. Ce texte me fait penser au film "les autres".<br /> Oui, ça fait peur, mais j'aime bien me faire peur parfois.
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P
Je crois, cher damné, que vous avez choisi le bon médium, "le défi du samedi" le seul, le vrai, le garanti, vous offre une écoute planétaire. Bienvenue chez nous ! Allez-y parlez, on vous écoute !
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J
Houlalala, Stipe, ton texte est tellement bon que je me suis rendue compte, vers la fin, que je retenais mon souffle. Vé-ri-dique !<br /> <br /> Alors, là ! EXCELLENTISSIME, bravo ! bravo ! Bravissimo !<br /> <br /> Ces voix m'ont vraiment fait peur !
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