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Le défi du samedi
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26 septembre 2009

MUTATIS MUTANDIS (Jo Centrifuge)

Le plantureux postérieur de Madame Irma, médium de son état, appuya fermement sur l'assise.

Malgré le poids, Monsieur Fauteuil en aurait battu des accoudoirs tellement sa joie était grande.

Bien entendu, ces trois petits morveux de tabourets de bar qui lui faisaient face depuis bien trop longtemps pouffaient de la situation, mais qu'importait. Un être apte à écouter se présentait enfin à Monsieur Fauteuil. Il était bien résolu à saisir sa chance même s'il fallait essuyer les pitreries des petits dégénérés.

"Je sens une présence dans ce garage." dit Mafame Irma à son auditoire inquiet, "un esprit plein de tristesse."

"Elle m'entend" se réjouit Monsieur Fauteuil. Il se concentra alors autant qu'il put et se prit à relater, comme une prière son triste destin.

Il se revit, jeune homme de bonne facture, dans l'échoppe d'un menuisier, sa douce Eloïse à ses côtés. Ils étaient si beaux tous deux, vêtus d'un velours carmin surpiqué de clou de cuivre, qu'un notaire les acheta un bon prix pour y assoir sa clientèle.

Dans le feutre de l'étude, on discutait, presque en chuchotant, histoires familiales, affaires immobilières, successions et code civil.
Durant ces années bénies Eloïse resplendissait à ses côtés et il emeurait fasciné par l'intelligence et la subtilité avec laquelle elle savait commenter les affaires du moment. Ils demeurèrent longtemps ainsi, s'émerveillant chaque jour de leur bonheur.

Parfois, la nuit venue, ils assistaient en retenant leur souffle aux affres notariales : les veuves épleurées, les secrétaires et même une fois un jeune clerc. Monsieur Fauteuil se délectait de l'air mutin qu'arborait toujours Eloïse en pareille occasion. D'abord un peu gênés par ces démonstrations, ils exorcisaient bien vite leur embarras par de grands éclats de rire.

Oui, vraiment, ils auraient pu vivre ainsi jusqu'à la fin des temps. Mais il vint ce jour terrible où un rugbyman déshérité saisit vivement la pauvre Eloïse et, de colère, la fracassa sur le bureau de l'étude.
La suite est d'une bien triste banalité. A une immense douleur on ajouta le bannissement. Puisque seul désormais, Monsieur Fauteuil fut d'abord relégué à la salle d'attente. Puis, le temps et les modes passèrent et on le confia à un brocanteur. C'est ainsi que, dans ce garage, un bricoleur en manque de courage l'oublia là.

Madame Irma se leva subitement : "Cet esprit est la victime d'un meurtre affreux. Il crie vengeance !"

Bien sûr, madame Irma n'était qu'une pythie de vogue. Elle n'avait rien entendu de la triste histoire de Monsieur Fauteuil. Ce dernier était accablé par la déception.

De leur côté, les tabourets de bar se déchaînaient :
- Eh ! Louis Philippe ! T'as fini ton rêve ?
- Ouah, l'guindé ! Tu croyais quoi en radotant tes vieilles histoires à c'tte folle ?
- Eh les gars ! Visez sa tronche !

C'en était trop et l'incroyable arriva.

Poussé à bout Monsieur Fauteuil se mit à agiter ses vieux pieds vermoulus. Dans sa fureur il prit en chasse tous ces fâcheux et chacun, tabourets de bar, voyant et consorts se retrouvèrent, morts de frousse, chassés avec fracas hors du garage.

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Commentaires
M
Comme Valérie je me suis laissée entraînée très facilement dans cette histoire ... J'ai beaucoup aimé !
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P
Je revois ce dessin d'Alexis (dans pilote ou Fluide Glacial, j'ai oublié) deux fauteuils dans un grenier, jetés l'un sur l'autre, celui du dessus s'agite, l'autre s'écrie " Pas devant les enfants !", de petits tabourets entouraient la scène.
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J
Monsieur Andersen trouve ici un digne successeur. Si un fauteuil se libère à l'Académie, n'hésite pas à présenter ta candidature !
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V
Oh, c'est bon, ça! Pauvre Monsieur Fauteuil, pauvre Éloïse. Je me suis laissée prendre par l'histoire. J'aime énormément. <br /> Ah, si les fauteuils pouvaient parler...
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V
Belle idee! Je crois que je vais m'asseoir differement a present
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M
Excellent, alors en fin de compte dans les séances avec médium ce sont les meubles qui parlent, fallait le savoir
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V
Très jolie idée, rondement menée, Jo.
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Z
pauvre fauteuil séparé de son eloïse... par où passe le fluide de la voyante quand même !
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B
Un très grand plaisir à lire sur ce texte qui me touche personnellement... et je peux t'affirmer que dans de nombreuses études, monsieur Fauteuil et Eloïse survivent tant bien que mal... ou plutôt mal que bien!
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W
Désolé, sur mon blog test, ça passait.<br /> Ici, j'ai dû le redactylographier entièrement pour récupérer les fins de ligne.<br /> Bonne journée à tous.
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T
je reviend
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Z
c'est mon navigateur qui m'en veut où la fin de chaque ligne est coupée ? help admins faites qq chose !
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J
Encore un texte bien meublé !!! Bravo Jo !
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