PORTE-BONHEUR (Joye)
C’était un samedi, le 26 septembre, lorsque j’ai vu ces deux bambins pour la première fois. Lui, barbu, frisé ; elle, cheveux blonds et longs, lunettes, le sourire en permanence. Tous les deux aux yeux bleus, c’est quand même assez rare dans un couple…
J’ignore combien de temps j’avais passé sous le verre chez ce bijoutier à Shenandoah, mais du moment où je les ai vus, je savais que moi et ma compagne rentreraient avec eux. Ils étaient adorables, ces deux. Ne voulant pas prendre trop hâtivement la décision, ils ont tout étudié, longtemps. Elle avait tout essayé, ce n’était pas une question de fric, mais juste ma simplicité tout courte qui l’attirait.
Après trois heures, ils sont partis. Sans achat. Mais je savais qu’ils reviendraient, et j’avais raison. Et ils nous ont choisies, moi et ma compagne. Et puis une autre, plus large, pour lui, le frisé aux beaux yeux bleus.
Elle n’a rien dit à ses copains, mais c’était son ami bibliothécaire le premier à voir ma compagne sur son annulaire et j’ai bien ri, parce qu’il paraît qu’il a crié comme une fille quand il l’a vue. Moi, j’ai passé l’hiver en solitude, mais j’ai enfin rejoint ma copine un soir d’avril.
Cela fera bientôt vingt-huit ans que je ne quitte plus son doigt. Ma compagne a pris sa retraite, je sais où elle est, mais je ne la vois presque jamais. Je ne lui ai pas dit que la blonde n’avait jamais vraiment voulu d’elle, ce serait les blesser inutilement, ma copine et son diamant. Mais elle s’amuse à côté de l’autre car il est trop dangereux pour le barbu de le porter lorsqu’il travaille.
Quant à ma blonde, on a vécu bien des moments. Mais je ne l’ai fait pleurer qu’une seule fois.
Ce matin-là, elle faisait du pain, et pour bien pétrir sans me salir, elle m’a ôtée. Et puis elle m’a perdue et ne pouvait plus me retrouver. Qu’est-ce qu’elle a pleuré, cette petite ! Elle s’est jetée au bras du frisé, inconsolable. Mais quand il lui a dit de retracer ses pas, elle m’a retrouvée dans le jardin à côté de la véranda où elle avait secoué un torchon recouvert de farine. Moi, j’ai profité de ma sieste interrompue pour me promener dans l’herbe, mais le soleil m’a décelée, je brillais pour lui aussi, et, trahie, mais heureuse des retrouvailles, j’ai été vite remise à ma place.
Depuis, on travaille, on joue, on dort ensemble. Oui, on a dû se séparer pour quelques séjours à l’hosto, mais c’était le règlement, pas son idée à elle.
Tiens, ce samedi, c’est encore un samedi, 26 septembre…
J’avoue que je n’ai pas vu passer le temps.