Le pensionnat malade de la crise (Anthom)
(une fable sponsorisée par Monsieur de La Fontaine)
Un mal qui répand sa rigueur,
Surtout quand, du déjeuner, c'est l'heure,
Au pensionnat Sainte Gudule démoralisait les pensionnaires,
La crise (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable de remplir en un jour les prisons,
Faisait aux élèves la guerre.
Ils ne jeûnaient pas tous, mais tous étaient affamés:
On n'en voyait point en train de distribuer
Bonbons, chewing-gum ou autres gâteries;
A la cantine nulle fantaisie,
Ni gâteau, ni fruits on ne mastique.
Or, un matin, la domestique,
Dans le frigo, la plaquette de beurre ne trouva!
Dame Aufray, intendante de son état,
Aussitôt elle appela.
La comptable tint conseil, et dit: « Chers collègues,
Il faut livrer une enquête,
Que tous, élèves ou maîtres,on suspecte...
Que le fautif enfin
Soit immédiatement puni de son larcin.
Les caisses de l'internat sont vides
Il faut une enquête rapide:
Devant l'état de nos finances,
Ce vol est intolérable
Point de quartier pour le coupable!
Soyons sans complaisance.
Il nous appartient de restaurer la morale,
Examinons notre conscience:
Qui peut s'être emparé de la plaquette de beurre
Sinon d'entre nous le plus vénal?
Pour moi, je l'avoue, satisfaisant mes désirs gloutons,
J'ai détourné depuis des mois des fonds.
Avais-je besoin d'argent? Certes non,
Mais, mes comptes bancaires, il faut bien alimenter
pour vivre selon mon gré.
Je fais donc amende honorable, mais je pense
Qu'il est bon que chacun ainsi que moi fasse pénitence,
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que ce soit le plus vénal qu'on punisse.
Et tous, aussitôt de se récrier:
Dame Aufray, intendante clairvoyante,
De tout le personnel était la meilleure, la plus compétente!
On rendait grâce à ses scrupules,
Elle était estimée entre tous à Sainte Gudule!
Mon Dieu, avoir un peu de bien, souhaiter l'accroître, était-ce mauvais penchant?
N'était-ce pas ce que l'on attendait d'un intendant?
Elle était certes dure en affaire
N'était-ce pas une qualité,
Pouvait-on parler de vénalité?
Et tous, du premier secrétaire au directeur,
Du principal surveillant à chaque professeur
D'orienter aussitôt ailleurs leur colère.
Il fallait interroger tous les pensionnaires!
Et chacun de dire ses rancoeurs:
Qui avait bien pu dérober cette plaquette de beurre
Rendant ainsi encore plus fade
Un ordinaire qui n'avait plus rien d'une régalade!
On fit venir tous les élèves du pensionnat:
Le plus fort en langues, le meilleur en maths,
Le fils du député, celui du conseiller, nul n'y échappa!
On écouta même le champion d'échecs...
Chacun de se plaindre d'être au régime sec!
Au regard de ce qu'ils offraient comme promesses,
On leur pardonna sans hésiter leur petites faiblesses:
Tricherie, racket, dopage, trahison...
Toute défaillance trouva bien vite sa justification!
Le cancre de la classe fut enfin appelé, toujours le dernier, bien sûr,
Mal habillé, le visage ingrat, il faisait fort mauvaise figure!
On l'aurait bien envoyé traîner ailleurs sa carcasse d'échalas
Mais il fallait bien respecter les quotas!
Pressé de questions,
A peine passé la porte,
Il restait les bras ballants,
Reconnaissant qu'au demeurant,
la faim le tenaillant, et l'ennui, et puis qu'importe!
Il avait bien dérobé en cuisine quelque croûton...
Il n'en fallut pas plus!
Tous en étaient convaincus:
Ce larcin le condamnait sur l'heure,
C'était lui qui avait volé la plaquette de beurre!
Le cancre, c'était évident, avait tous les torts,
Sans plus de façons, on le jeta dehors!
Dame Aufray cessa dès lors toute investigation, on retourna à ses affaires,
On avait un bouc émissaire!