"Je connais une jolie petite histoire d’épouvante qui tient en deux phrases : Le dernier homme sur la Terre était assis tout seul dans une pièce. Il y eut un coup à la porte... Deux phrases et trois points de suspension. Naturellement, l’épouvante ne réside pas dans les phrases, mais dans les points de suspension et ce qu’ils impliquent : qu’est-ce qui frappe à la porte ? Confronté avec l’inconnu, l’esprit humain supplée quelque révélation d’une horreur vague."
Nous lirons cette semaine des récits post-apocalyptiques, adressés à «samedidefi@hotmail.fr». Toute tentative de faire poindre l’optimisme malgré tout, dans nos productions, sera appréciée.
J’étais d’abord emballée
à l’idée de partager une anecdote de voyage mais bien vite, je me suis trouvée
à hésiter, laquelle choisir ? Il me
revenait tant de souvenirs.
Me fallait-il parler
de Madagascar, cette ile merveilleuse qui m’a donné le goût des voyages et des
destinations lointaines ? Aurais-je fait les mêmes choix de vie si je ne
les avais pas décidés là-bas ?
Me fallait-il
parler des émotions vécues lors des séjours dans la brousse africaine, quand je
m’enrichissais paradoxalement au contact de la pauvreté et de la maladie. On
croit partir pour aider l’Autre, on en reçoit énormément.
Me fallait-il
parler du Kilimandjaro et du défi que je relevais ? De ce message que
j’adressai à mon intruse en montant assister au lever du soleil depuis le
sommet de l’Afrique.
Me fallait-il
parler du pouvoir des voyages quand pour la première fois, lors de la grande
traversée du Zanskar, je racontai mes petites histoires à la veillée et parlai
de mon intruse, sans écran interposé ?
Me fallait-il
parler des sourires de ces gosses des rues et des campagnes, ces enfants qui
jouent avec un ballon fait de tissus et de sacs plastiques quand nous voulons
toujours plus ?
Me fallait-il parler
de la paix retrouvée lors du Tour des Annapurnas ? Au-delà des paysages
magnifiques, la dimension philosophique et spirituelle de ce voyage m’a ouvert
des perspectives inespérées.
Tellement de pages remplies
de souvenirs et toutes celles, encore vierges, à vivre et à écrire pour mon
plus grand bonheur. Les voyages ne forment pas que la jeunesse.
Nous
avions convenu d’un rendez-vous, ici, entre les murs de la maison
jaune. Elle était arrivée à l’heure dite, un peu inquiète. J’étais
intimidé. Nous nous étions connus par la grâce des blogues. Une amie de
blogue : belle écriture, racée, tendue, joli vibrato. C’était l’an dernier, à peu près à cette époque. Un peu plus tôt. A peine. Mamoune
avait sorti les jolis verres. On avait parlé longtemps autour de la
cheminée froide — en mai, évidemment—. Elle portait un joli prénom qui
m’évoqua l’orient, des yeux de biche ; toutefois, j’avais voulu
continuer à la désigner par son pseudo de blogueuse : Asphodèle. Il lui
allait bien. Le lendemain matin, j’avais la tête un peu lourde, je
m’étais couché tard, je lui avais proposé d’aller acheter les
croissants. Mamoune et moi l’avons attendue en vain. Elle n’est pas
revenue. Son blogue est resté muet. Elle n’a plus jamais déposé le
moindre commentaire sur le mien. Asphodèle s’est mystérieusement
évaporée.
C’est
Jean-François, de la compagnie des Eaux qui m’a remis ce carnet rongé
de moisissures. Je connais bien Jean-François, je faisais du vélo avec
son père : il me coiffait toujours au sommet de la côte du Liberot, un
fameux grimpeur. Jean-François n’est pas tenu de soulever la plaque qui
protège le compteur : — Laissez, Papi, me dit-il à chaque fois. J’ai
l’habitude. Et il soulève délicatement la lourde dalle de ciment,
relève la consommation d’eau au compteur et me salue en claquant les
doigts. Son père faisait ça aussi. — Tiens, qu’est-ce que c’est ? a-t-il lâché lundi en ouvrant le citerneau. Il
m’a tendu le carnet broché gonflé d’humidité. J’ai reconnu l’écriture,
nous avions échangé quelques lettres via la poste : Asphodèle. Elle
avait dû poser l’objet sur le muret, un coup de vent ou le passage d’un
chat l’aura précipité au fond du trou : la dalle joint mal par endroits.
Certaines
pages sont illisibles. Les dernières sont vierges. Je vais tenter de
recopier au propre les moins abimées, ce sera ma participation au défi
lancé par Valérie : Le récit du voyage d'Asphodèle la blogueuse en
terre percheronne, en mai 2008.
Lundi 22 mai 2008
6 h 35 : Le jour est levé. Papistache et Mamoune dorment encore. Je suis sous le charme. Je pensais bien qu’il n’était pas devant son écran pour son billet de 6 h 01. Il triche. Il poste son billet la veille au soir. Coquetterie de vieillard. J’ai relu mes notes d’hier soir quand je décris mes impressions. La nuit n’a pas modifié mon sentiment.
7 h 12 : Mamoune est venue frapper à la porte de la chambre rose. Son époux est fatigué. Elle me propose d’aller acheter le pain et les croissants pour que nous déjeunions ensemble. Je n’ose accepter. Quel honneur ! Elle me griffonne un plan “... pour éviter que tu ne te perdes...”. Je refuse le billet qu’elle me glisse entre les doigts. Elle insiste. Je cède.
8 h 59 : Je quitte à l’instant l’angle que forme la rue Léon avec celle des Docteurs Piqûre. Il faut que je note pour ne pas oublier. Un choc. Au milieu de la route, un blason de fonte. Je l’ai dessiné du mieux que j’ai pu. Une évidence s’est faite. Ce blason, c’est lui qui l’a posé là, jadis. Je l’ai débarrassé des cailloux qui obstruaient le relief de dessin. De ma lime à ongles, j’ai ôté le goudron qui s’était infiltré dans les rainures fines. Une voiture vert improbable a failli me renverser quand, à quatre pattes, je recopiais la devise en lettres majuscules. Le chauffeur m’a indiqué la direction du ciel de son majeur tendu. Il était serein, bleu, exempt de nuages. Je me dépêche.
9 h 36 : J’achève de dessiner ce coquelicot qui a poussé au pied d’un mur de silex, exposé plein sud. Dans la rue, nulle autre végétation que ce coquelicot à la tige grêle. Le Papistache, à chacun de ses passages ne peut manquer d’en suivre la croissance. Si l’espèce n’était pas déjà répertoriée, je l’aurais baptisée papistachlicot. Mamoune a noté un point de vue exceptionnel sur son plan. Je vais m’y rendre.
11 h 12 : Quelle émotion ! Ni Klee, ni Kandinsky, jamais, n’auraient rêvé plus belle composition. Le buveur de thé en jouit tous les jours. Mon croquis est immonde, tant pis, la beauté du lieu me trouble.
12 h 29 : Au carrefour, je n’ai pas hésité. Le grand disque barré de blanc me sert de guide. Merci Mamoune. Je grave mon cerveau de tous les repères que je prends pour mon retour.
13 h 44 : Dans la rue déserte, un étrange animal m’est apparu. Sans les longs poils ondoyants on aurait pu penser à un chat. A mon approche, il s’est glissé sous une voiture en stationnement ornée d’une représentation stylisée de lion se cabrant fièrement. Se pourrait-il que Papistache caresse la bête lors des courses matutinales* (* je lui emprunte son mot fétiche). J’ai tenté d’amadouer l’esprit sauvage de la petite bête. J’ai éc houé. Le soleil a tourné et a éclairé le bitume sous la voiture ; j’ai constaté que l’esprit s’était enfui. Je me dépêche.
15 h 01 : Une trouvaille. Dans le caniveau, à côté de petits cylindres fibreux couverts de papier jaunâtre, trois ballons de baudruche dégonflés, noués d’une même ficelle à rôti blanche. Vestiges d’une fête anniversaire. Papistache aurait su tirer un conte de la présence de ces reliques abandonnées. Je lui en lui offrirai le dessin. Il y puisera matière à un billet dont il a le secret.
16 h 45 : J’ai un peu tourné en rond. Mamoune m’indique deux boulangeries. Elle a oublié de me dire derrière quel comptoir officiait Mme Patapin. Finalement, j’ai opté pour la plus lointaine, puis me suis ravisée, me suis dirigée vers l’autre, ai regretté, suis revenue sur mes pas, me suis assise sur une marche d’immeuble, ai attendu un signe. C’est une tourterelle qui m’a décidée. Je l’ai suivie.
16 h 59 : Le véhicule du boulanger est rangé dans la rue. J’approche du lieu saint. Je griffonne son enseigne. Ma main tremble.
18 h 01 : Je m’amuse de la coïncidence. 18 h 01 ! Le billet de Papistache est paru depuis douze heures et je ne l’ai pas encore lu. J’avise un troquet : peut-être a-t-il un accès internet ? Je traverse la rue.
19 h 27 : Je sors du cyber café que le patron du troquet a bien voulu m’indiquer. Il était à l’autre bout de la ville. J’ai mal aux pieds. Quel billet ! Papistache s’est surpassé. Ma visite a dû le dynamiser hier soir. Je dois arriver à la boulangerie avant l’heure de fermeture. Pourvu que je ne m’égare pas dans le dédale des rues désertes.
20 h 01 : La boulangerie était bien ouverte. Hélas, il n’y a qu’en province qu’on voit des échoppes aussi désespérément dépouillées, plus une viennoiserie, plus une miette de pain. Mme Patapin me déçoit un peu. Elle est boudinée dans son tablier, pâle et semble bien fatiguée.
22 h 38 : J’ai fait tous les magasins du bourg et n’ai pas trouvé une demi-baguette à rapporter. Je suis mortifiée. Comment vais-je être reçue ?
23 h 17 : La lumière vient de s’éteindre derrière les volets clos de la maison jaune. Ils ont cessé de m’attendre. La lune jette une ombre lourde de sens sur le sol de la rue Léon. Je la reporte vivement sur une page blanche. Je vais déposer, en guise d’adieu, mon carnet et le billet de vingt euros sur le muret — la fente de la boîte aux lettres est trop étroite —Papistache les découvrira, il comprendra que je ne pouvais dignement me présenter à ses yeux. Quand il m’aura pardonné, il me fera signe.
Asphodèle, je vous en prie, revenez. J’ai acheté une machine à pain !
Les
minuscules points blancs qui semblent s’écraser sur la vitre avant me font
penser à de la neige. Le ciel a la densité d’une encre de chine. Enfin, c’est ce
qu’avançait au début du millénaire Tokhen Shi. Je n’ai jamais rien vu
d’approchant et les rares vestiges des œuvres au pinceau du Maître sont enfermés
dans un bunker à plusieurs mètres sous la croûte terrestre. Bientôt, le vaisseau
retrouvera une vitesse moins inhumaine. J’échapperai pour deux rotations à la
surveillance ténue des awacs de l’espace et je m’envolerai au-delà de la Frange.
Tout est programmé.
16
VI 2742
Je
remplis le dernier questionnaire pour signaler ma position. Le consortium
stellaire aime savoir où chacun de ses membres se trouve. Pour notre bien. Je
regarde en utilisant un plus fort grossissement les planètes de l’archipel des
Cyclopes. Elles ont gardé cette douce variété de bleu qui se nuance de reflets
camaïeu. L’eau. Empoisonnée mais omniprésente sur sa surface. Dans deux minutes,
mon petit robot Souznic sera éjecté et enverra à intervalles réguliers les
rapports nécessaires pour ma quiétude et mon éloignement temporaire. J’ai un
petit pincement au cœur. Rester là. Là où mon odyssée personnelle a démarré et
où Xilos Népomucène, humble citizien du consortium céleste a cédé la place à
Xilos le baroudeur stellaire.
Je
viens de dire au revoir à Souz nik. Je sais c’est puéril, il n’est qu’un
assemblage de circuits et de matières dérivés mais c’est le plus avancé de mes
droïdes. Je l’envierai presque ; plusieurs semaines à contempler les
éruptions gazeuses qui maculent la planète d’éclats mordorés. Et pénétrer le
regard plus avant sous l’épaisse d’écorce de quartz et de granit avec les yeux
de sa sonde. Ca me rappelle la première fois où j’ai débarqué ici ; j’ai
conservé mes croquis de l’époque. Je travaillais au fusain sur de gros blocs
notes que j’avais troqué contre une bouteille d’aguardiente à l’avant poste de
Guarzar, à quelques mille-lumières d’ici.
17
VI 2742
Le
vaisseau a passé le point de non retour. Ici règne l’ombre absolu. Je ne crois
pas qu’une peinture puisse retranscrire cette noirceur inhumaine. Pas un souffle
de vie. Un règne minéral. Il est temps de faire un petite somme d’une heure ou
deux. La Frange n’est pas loin.
Je
me suis réveillé en sueur. Pourtant la clim n’a pas bougé d’un iota. C’est
toujours comme ça, chaque fois que je travers la frontière intangible de la
civilisation, le souvenir de ma première errance revient en force. J’étais
jeune. Excité comme un jeune chiot et inconscient. J’avais pris ce poste risqué
d’ingénieur dans les limites du monde ordonné. Et puis, trop loin de Guarzar,
j’avais eu une panne. J’avais sondé les mondes environnants et il était clair
qu’il me fallait trouver secours au-delà de la Frange. J’avais de quoi faire un
aller retour en étant sûr d’atteindre une ville, enfin une ville… Quelque chose
où s’agglutinaient mercenaires et rejetons d’indésirables, chassés quelques
décennies auparavant du consortium céleste. La peur m’avait collé aux basques
jusqu’à ce je revienne sain et sauf, les pièces défaillantes remplacés par des
neuves.
Mais
j’avais pris le goût du voyage et de l’inconnu. J’y étais retourné dès que
possible sans plus chercher de prétexte.
18
VI 2742
Voilà.
J’ai laissé derrière moi les météorites de la Frange. Une forte luminosité
m’aveugle presque. Dans quelques heures, je retrouverai la première planète
sauvage habitée. Je regarderai les deux soleils s’écraser sur la ville haute et
le fleuve avant de m’égarer dans un bouge souterrain pour y nocer avec
méthode.
C’est
drôle avec ma gueule abimée par l’âge et les voyages, je suis plus chez moi ici,
parmi tous ces fracassés que sur ma Terra de naissance. Là-bas, tout est si
propre est verdoyant, chacun transite sur une trajectoire de perfection, l’âme
et le corps retouchés depuis l’enfance. Je suis un lépreux parmi les miens,
nostalgique de planètes mortes et de villes bétonnées et
métallisées.
Terra,
calibrée et miraculeuse, recouverte de prés et lacs translucides. Pas un bruit
trop haut, pas un geste démesuré. Je suffoque, ma Terra, dans ton oxygène
purifié et mon cerveau suinte l’ennui.
Je
regarde une dernière fois mon visage sur lesquels se sont incrustées les
émotions charriée pandant mes voyages avant de contempler la ville blanche, son
fog épais et l’étendue liquide qui la ceint. Déjà le ballet désordonné du trafic
s’épaissit en un nuage de moustiques d’acier. Vrombissant.
Sautillant.
Juste
avant d’amorcer la descente, j’hume l’air saturé et épais comme un cadeau de
bienvenue.
Je suis arrivée à La Roche sur Yon par le train. J’ai retrouvé Elodie à la gare. Nous avons pris l’autocar qui nous emmène maintenant à Ouistreham. C’est drôle d’avoir dû descendre en Vendée pour remonter en Normandie en bus.
J 2
Il paraît que dans le ferry de nuit on peut dormir. Trop excitées, nous avons oublié de dormir. Ce matin, nous n’étions pas fatiguées, nous avons pu nous promener dans Londres, mais maintenant, le coup de barre est là. C’est sympa, Londres. Je ferais bien une petite sieste dans le train, mais j’ai peur de rater mon arrêt. Avec Elodie nous nous sommes séparées après le déjeuner, dans la gare de Londres. Depuis je suis toute seule. Je suis un peu pressée d’arriver. J’ai envie d’une douche.
J 3
Je suis arrivée hier en gare de York en début d’après midi. Jo m’y attendait comme prévu. C’est une femme gentille, elle a la cinquantaine. Son mari n’est pas là, il est parti pour quelques jours, je ne le rencontrerai que plus tard. Jo m’a déjà montré le trajet en bus pour me rendre au travail, ainsi que des choses importantes comme le distributeur de billets, ou encore le bureau de tabac ou l’office de tourisme.
J 5
Je suis épuisée. J’ai fait ma première journée de travail ce matin. Comme c’est beau ! Les gens sont sympa et accueillants, la maison est superbe, mon travail est intéressant. C’est super, ce job, mais aussi super fatiguant. Je mange et j’vais au lit !
J 7
Le soir, je regarde des conneries à la télé. C’est marrant, la télé anglaise, mais abrutissant. La matin, j’écoute les infos à la radio pendant le petit déjeuner, mais je n’y comprends pas grand chose. Ils parlent trop vite. A la fnac, j’ai trouvé des bouquin de Christian Jacq en français, ça ne va pas me faire de mal, de lire un peu. Sinon, je n’ai jamais autant bu que depuis que je vis chez Jo et Jim. Ils boivent une bière en rentrant du travail, un verre de vin en préparant le repas, des verres de vodka et de tequila après le dîner, ça n’arrête pas. Je devrais peut-être parfois apprendre à dire « no ! ».
J 10
Je rentre de Leeds. J’y ai passé le week-end avec Elodie. Elle n’a pas de chance, Elodie, elle s’ennuie ferme à l’université. Moi, j’ai du bol, j’ai un bon stage. En revanche, elle est logée dans une auberge de jeunesse. Il y a plein de jeunes de plusieurs nationalités. Le soir, elle sort, elle visite, elle s’amuse. Chez Jo et Jim, il n’y a qu’une seule chambre à louer, c’est pas pareil, je m’ennuie parfois un peu, surtout qu’ils bossent beaucoup. Pas grave, le soir, je joue à la ba-balle avec Angus, le chien du couple.
J 15
Chaque semaine, ma Mamie me téléphone pour prendre de mes nouvelles. Je vais très bien. Les journées de travail passent très vite, je suis très occupée. Je rencontre plein de gens intéressants. Mon maître de stage m’a filé des entrées gratuites pour tous les musées de la ville (et dieu sait qu’il y en a !), et quand il n’y a pas foule au musée, il m’envoie en visiter d’autres. Il fait beau, c’est le printemps, le soir je flâne un peu avant de rentrer. Je visite les parcs, les jardins, les abords de la cathédrale, je marche sous les remparts. J’aime cette ville.
J 20
Je sens que j’ai fait des progrès énormes en anglais. J’en ai tellement fait que mon maître de stage me fait faire les visites, la réception et de la traduction en français, maintenant. Il doit se dire que j’ai assez progressé comme ça dans sa langue, et que maintenant ma langue maternelle leur sera plus utile que mes progrès. Les claviers querty, c’est chiant. J’aime beaucoup mes collègues de travail. Je ne déjeune plus seule le midi. Ils m’ont invitée à me joindre à leur pique-nique quotidien dans le parc en face. Ils me bombardent de questions sur la France.
J 30
Elodie vient passer quelques jours à York avec moi. Elle est en congé, pas moi. Le musée est ouvert pour bank holiday. Pas grave, j’ai demandé l’autorisation, elle va pouvoir venir au travail avec moi. Ce soir, nous irons ensemble à la fête foraine. J’ai demandé à mes collègues une liste de choses sympas et de sites à voir, et demain je nous partirons en excursion pour la journée.
J 40
Je me plais beaucoup ici. Jo et Jim m’ont emmenée au restaurant la semaine dernière. C’est drôle, on a dîné à 18h… c’est super tôt ! Jim était fatigué, il est rentré. Jo m’a emmenée dans des pubs. C’était sympa, il faisait chaud. Nous sommes rentrées très très tard, elle et moi. Elle est fun, mais je trouve qu’elle boit pas mal. Plus que cinq jours, et je n’ai pas encore eu le temps de tout voir. J’aimerais rester encore quelques semaines…
J 45
Après une soirée bien arrosée dans les pubs de Leeds, j’ai dit au revoir à Elodie. Son stage est terminé, elle rentre en France. Nous ne nous reverrons qu’à la rentrée. Le mien aussi est terminé, mais je reste. Jo et Jim m’offrent la location gratuite de la chambre jusqu’à la fin de l’été. Je me plais bien, ici…je n’avais rien prévu pour les grandes vacances.
Voilà
déjà un moment que je suis coincée dans ce monde bizarre avec Paquet le
colis parlant, et pour parler, il parle, je vous jure une vraie
pipelette.
Le
temps passant étrangement dans ce pays et ayant retrouvé au fond de ma
poche le carnet dans lequel je note mes courses et un crayon, je vais
essayer de tenir un journal de bord de ce périple. Je reprends donc nos
aventures du début.
1er
jour - Nous avons attendu Paquet et moi au bord de la route que le
Grand Facteur passe. Après une journée d’attente, ne voyant rien venir
nous avons décidé d’avancer à pied, enfin à pied pour moi, Paquet lui
roulait carré, logique puisqu’il est carré, je n’ai pas proposé de le
prendre dans mes bras, après tout c’est en partie sa faute si nous
sommes ici.
2ème
jour – C’est curieux ici je n’ai jamais faim, c’est plutôt pas mal
parce qu’autour de nous c’est un vrai désert, rien que des cailloux,
heureusement il ne fait pas chaud.
8ème jour – Enfin je crois que c’est le 8ème.
Ce désert n’a pas de fin mais nous avançons toujours vers ce qui
d’après Paquet est le Dus et qui devrait nous amener dans sa ville.
9ème
jour – Surprise, nous nous sommes assoupis au pied d’un gros rocher et
ce matin au réveil j’ai hurlé lorsque je me suis retrouvée nez à nez
avec ce que Paquet appelle un Paqéphant, c’est en fait une grosse bête
carrée, comme beaucoup de choses dans ce sacré pays, et tout à fait
inoffensive. Tant mieux.
11ème
jour – Je commence à avoir le mal de mer le Pagéphant nous a gentiment
pris sur son dos pour nous éviter de marcher, mais sa démarche me donne
mal au cœur.
15ème
jour – Il n’a pas de fin ce sacré désert, je suis sûre que Paquet s’est
trompé de direction même si dans un flot de paroles, il m’affirme que
non. Bon sang que j’ai envie de le dépiauter ce fichu sagouin.
16ème
jour – Ca y est plus de désert et sans aucune transition nous nous
retrouvons dans une belle plaine verte. Le Pagéphant repart dans son
désert, je l’ai remercié d’une grosse caresse derrière le bolduc, il a
adoré ça.
17ème
jour – Mais ce n’est pas possible tout est gigantesque dans ce fichu
pays on ne voit pas le bout de cette plaine et elle est survolée par de
minuscules paquets qui n’arrêtent pas de bourdonner, c’est d’un
fatigant. Remarquez l’intérêt c’est que je n’entends plus le flot
ininterrompu de paroles de Paquet, jamais il ne se fatigue celui-là,
d’autant plus surprenant qu’il n’a pas de bouche.
18ème jour – Toujours pas faim, ni soif, ni fatigue, ni rien d’autre d’ailleurs. Vraiment déroutant !
19ème
jour – Ca y est nous arrivons en vue d’une ville, enfin il me semble
que c’est une ville, pour tout dire je ne vois qu’un empilement de
colis immenses mais Paquet est fou de joie, bien sûr il me rebat les
oreilles du fait qu’il ne s’est pas égaré et gnia et gnia, il m’énerve,
mais il m’énerve. Je me détends en le regardant rouler carré c’est un
spectacle à mourir de rire, je ne m’en lasse pas.
20ème
jour – Et voilà nous entrons dans la ville, elle est en effet
constituée d’une multitude d’énormes colis percés de portes et de
fenêtres par lesquelles roulent ou sautillent des paquets de toutes
formes et de toutes couleurs, c’est plutôt gai comme spectacle. Paquet
me traîne ébahie à travers la ville, les gens enfin les paquets me
regardent avec curiosité mais je ne ressens aucune hostilité de leur
part, c’est déjà ça. Paquet m’emmène à son Université pour me présenter
son maître de thèse, il espère ainsi obtenir une bonne note. Je t’en
fiche tiens, arriviste va !
21ème
jour – Le maître de thèse de Paquet est un homme, enfin un colis, tout
à fait sympathique il n’a pas l’air de me trouver effrayante, tant
mieux. Il comprend bien que nous sommes devant un problème gravissime
pour moi, comment me renvoyer à la maison. Il va contacter le Grand
Facteur.
22ème
jour – Le Grand Facteur me prend en charge, il m’enfourne dans sa
besace après que j’ai fait des adieux émus à ce sacré Paquet qui m’a
pourri la vie, mais je l’aime bien en fait. Toutefois, je lui fais
promettre de ne pas remettre les pieds dans mon monde, ce qu’il accepte
d’autant plus volontiers qu’il a réussi sa thèse haut la main grâce à
moi. Le Grand Facteur arrive au Centre de tri principal de ce drôle de
pays, il me glisse dans une boite aux lettres et là je me sens
tournoyer, j’ai maallll au coooeeeurrrr.
C’est
le matin, Madame Suzanne fait un saut de carpe dans son lit. Elle tient
à la main un petit carnet qu’elle n’ose pas encore ouvrir, pour le
moment elle préfère penser qu’elle a fait un rêve. Elle se prépare pour
cette nouvelle journée. Elle ouvre la porte pour sortir et là, sur son
paillasson, se trouve un colis qu’elle n’a pas commandé. Prudente, elle
l’enjambe, il peut bien rester là autant qu’il veut, hors de question
qu’elle y touche, un fois ça va bien !
Quand pierre dit à alice. « on part demain pour la mer », c’était certainement fort tôt dans la matinée. Pourquoi, me direz-vous ? et bien parc’qu’il avait du y réfléchir depuis pas mal de temps. Et que la nuit porte conseil !
à
partir de ce lundi, la France ne sera plus jamais tout à fait la même.
… nous ne sommes pas encore aux 35 heures et leurs RTT, mais commence
l’époque du temps soustrait aux chronométreurs.
On est le 3 aout 1936, et mes parents partaient ensemble découvrir le monde dans la 403 de la petite entreprise familiale… (vous savez celle qui ne connaît pas la crise !)
-« oups pardon ! j’m’égare » !
voilà que défilent sur nos routes, les premiers camping car…poursuivis au loin par quantité de vélos, ou simples randonneurs.
De
cette époque, je n’ai qu’une photo et les souvenirs de Jean Pierre.
Heureux neveu qui avait accompagné le couple incapable de concevoir
l'idée de partir en vacances sans les rires joyeux de l’enfant qui se
faisait attendre. Alors à tour de rôle, en respectant le droit
d’ainesse et les priorités des filleul(es) au détriment de l’envi… mes
parents ont visité la France entière avec mes nombreux cousins et
cousines. Jusqu’au jour, où la santé de Pierre s’étant aggravée...(
Charpentier de métier, il n’avait su préserver la sienne)...il lui fut proposé d’aller….. en cure en Algérie, là où le climat est sec et chaud. (Là où il avait un pied à terre d’amis de la famille).
-« Ne me demandez pas plus d’explications, je n’en ai pas. Mais j’ai en souvenir, quelques lettres envoyées à la famille restait au pays »... qui me font comprendre, que j’ai bien failli ne jamais accoster Hoguet ! mais à Alger… oups pardon ! j’mégare »
Alice se complait parmi les épices et couleurs chaudes de l’afrique du nord.
Pierre va mieux… Mais la révolution gronde, soudain les barricades…
En
catastrophe, il faut rentrer au pays… reprendre le cours de la vie, et
retrouver sa place dans le monde du travail qui n’a de cesse d’en
demander encore et encore, plus et toujours plus. Alors pierre et alice
partent moins.
beaucoup moins loin et j’exagère à peine.
Puisqu’avec eux je n’ai jamais dépassé....la pointe sud du 61.
Bien
sur j’ai été dans le nord… du 61. Et meme que des fois, nous allions
rendre visite à un oncle perdu dans le grand ouest…. Du 61.
imaginez ma joie quand une année, papa (plein d’humour ou d’humeur joyeuse) m’annonça que nous allions en vacances aux iles ! Et moi de perdre le sourire, quand à 25 km de la maison, nous franchissions la pancarte du tout petit village normand appelé Bardel, traversé par un minuscule ruisseau parsemé d’imposants rochers appelés les « iles bardel » !!!
-« m’Ouarfffff, j’en ris maintenant, mais à l’époque pas tant » !
bien sur, ceci n’était
qu’une étape avant de franchir tant bien que mal, l’unique chemin
(arpenté matin et soir par les vaches des paysans voisins), nous menant
à ce qui sera pendant plus d’une 15zaine d’années, notre destination de
villégiature estivale. J’ai nommée sylvia des ch^nes, l’humble baraque
en bois perdue dans les sapins de papa…. avec sa Cabanne au fond du jardin !!!
-« oups pardon, j’m’agare car c’est une autre histoire,
VOuiiii.... une très longue, 0tre histoire !
Depuis,
beaucoup d’eau est passée sous le pond de mes souvenirs. Dans des
cartons j’ai découvert (délicatement rangés) précieux carnets de
voyages, et
négatifs, faits par mes parents lors de leurs différents voyages . Le
temps d’une lecture, j’ai partagé leur enthousiasme ou tristesse. Le
temps d’un regard sur une photo, j’étais avec eux, parmi eux.
Dans
ma quête de souvenir, est devenue comme une évidence, l'importance de
laisser une trace, si petite, rouge noire ou bleue soit-elle,
manuscrite ou photogénique, encre ou aquarelle soit-elle.
C’est pourquoi l’an dernier, lors de mon périple à travers la méditerranée , moi qui écrit aussi mal de la main droite que de la gauche, j’ai esquissé quelques traces que l’eau est venue délicatement animer sur le papier. Peut-être qu’un jour, à travers ces couleurs, des yeux rieurs et curieux voudront à leur tour faire visite ?
Je suis de
tous les voyages, quand je le désire. Je vogue dans l’espace et dans le
temps.
Ce matin, j’ai commencé par l’Espagne avec un jus d’orange, puis
saut de puce vers les Caraïbes, avec un yaourt citron vert coco. Et l’Italie,
comme tous les jours, avec mes deux espresso.
Puis direction la ville lumière en scooter.
Quand j’enfourche mon fidèle destrier à moteur, je me sens comme
une jeune femme outrancière du XIXème siècle qui osait monter à cheval à la
cavalière. Une fois mon casque mis, je deviens pilote d’une 500cc, ou encore
spationaute, peu importe.
Ma galaxie est vaste.
Place Péreire, Villiers, Malsherbes, Saint Sulpice, Madeleine,
Opéra, le Louvre : quartiers chics, mais leurs pavés tape-cul qui
fanfaronnent tout du long, me projettent en Inde ou en Afrique.
Le long des quais, j’ai droit à ma petite madeleine proustienne,
qui me ramène des années en arrière, quand je me baladais là, à pied…. Mais
quand était-ce ? Un été parmi tant d’autres, sans doute.
Le bazar de l’hôtel de ville, empli de bourgeois bohème, de
vieilles dames qui cherchent un tapis d’évier, mais surtout de touristes, me
rappelle où je suis. Des housses de coussins splendides m’emmènent encore en
Inde, et le thé Kusmi en Russie…
L’hôtel de ville en lui-même, d’où je ressors armée de paquets,
sous ce ciel divinement parfait, me fait penser à la piazza Navona, à Rome...
Je prends le temps de tout admirer avant de repartir. La tour Saint
Jacques, sur le trottoir gauche de la rue de Rivoli (encore l’Italie), et c’est
Breton avec sa clique. Desnos. Soupault.
Auber, Place de Clichy, boulevard du même nom : me voilà au
Moyen-Orient, avec le roi du poulet hallal, les odeurs de merguez, Tati qui
m’appelle. Ben J, le roi de la frite, fait ses livraisons.
Tout est parfait… Jusqu’au moment où une berline blanche se
réinsère sans prévenir. Paris. Les voitures qui déboîtent, les deux roues qui
défilent, qui défient la ville, qui finissent en boîte…
Tati m’offre une huile de lotus qui m’envoie en Egypte, des
maillots de bain bariolés dignes de Miami, des marshmallows américains, des
t-shirts faussement punks qui me ramènent à Londres, alors que je suis au milieu
du quartier musulman…
Je repars, toujours chargée, avec un sac posé tant bien que mal sur
le siège arrière et tenu par un tendeur : je suis sherpa à moteur.
Le temps est parfait. Ni trop chaud, ni trop frais. A peine une
brise pour de temps en temps me caresser le visage. Je pourrais être à Madrid,
Rome ou ailleurs. J'aurais presque envie de pleurer devant tant de
beauté.
Je finis mon voyage sous le soleil de mon balcon, devant une
assiette italienne. Mon petit New-York me fait face, sans un nuage pour lui
donner de l’ombre. Je termine sur deux ou trois gâteaux que ma mère a rapportés
d’Algérie : cornes de gazelle, pâte d’amande, fleur d’oranger… Et sur un
verre de menthe et de citron, qui pourrait être un mojito… sans
alcool.
Je suis en France. Je suis partout. Je suis bien : je ne
vivrais nulle part ailleurs.
De mon enfance méditerranéenne, je me souviens de mon intérêt précoce
et étrange pour le pays du Milieu.
Exilé sans retour possible, peu après ma
première éclipse totale de soleil
inoubliable, j’ai longtemps cherché un pays à aimer...
Un grand morceau d’existence plus tard, je me lance dans l’apprentissage de la langue
et me voilà dans l’avion pour Pékin, avec cinq amis réunis entre autres par la pratique du tai-chi-chuan.
Première image désolante : le ciel est
gris : « j’aurais traversé le
quart de la planète, pour qu’il
pleuve ? » mais non, il ne
pleut pas, ce n’est que la pollution, ( !) et dès la sortie, la chaleur
humide étouffante m’étreint, « jamais je ne supporterai 3 semaines comme çà ! ».
Le choc est à la mesure de l’attente :
la foule, partout, les façades grises de
poussière, la foule encore, les vélos…
Choisi
par notre amie traductrice, notre hôtel est un petit bijou caché au fond d’une ruelle
ancienne (çà s’appelle un hutong). A partir de ce vieux quartier insalubre
mais hélas destiné aux bulldozers, nous
découvrons la ville, les petites échoppes où nous faisons sensation (les
longs-nez sont rares par ici), la librairie où je caresse chaque ouvrage sans en
comprendre la signification, les coiffeurs de rue, les petits restaurants et
les parcs.
Pas terrible l’idée de visiter la cité
interdite un dimanche d'été : toute la Chine est là avec la même intention
; il faut se faufiler entre les vendeurs de cartes postales, d’eau, éviter de
gâcher les "photos à la chinoise
" : tout le monde se groupe debout devant le monument, pose, sourit (ne me
demandez pas comment on dit "ouistiti" -"sex" en chinois)
et voila un beau souvenir dans la boîte.
Non loin de la place Tian an men, se trouve
le mur des minorités, c’est devant ce mur que je demande à être pris en photo
en tant que minorité chinoise à moi tout seul.
Au palais d’été, nous avons loué des pédalos
pour une ballade sur le lac Kumming et
attiré contre nos embarcations, des familles en mal de batailles navales
clamant sans doute : « à l’attaque ! Sus aux « lao
wai » ! (=étrangers)
Bravitude requise
pour escalader la grande Muraille au
soleil de midi et échapper aux marchands de souvenirs.
Peu connu, le Ritan parc situé dans le quartier russe. Là,
nous pouvons enfin nous fondre dans la foule sans être dévisagés ; là, nous
essayons de déchiffrer les enseignes en cyrillique, c'est un petit coin
d'"Europe" à Pékin. A l'entrée du parc, les hangars pleins des ballots
de vêtements et de tissus destinés à l'Europe de l'Est sont impressionnants.
Dans le parc, c'est
de nouveau la Chine, quelques
pratiquants de Taiji quan, une maison de thé où on prend plaisir à s'éterniser,
un bassin à poissons rouges où les enfants viennent pêcher leur futur
compagnon, un kiosque à musique où un isolé étudie le saxo, des gens qui
chantent, qui dansent ou qui jouent aux
échecs chinois. Il y a surtout une grande
aire centrale délimitée par un mur
circulaire percé de quatre portes : là, se rencontrent les "papis
cerfs-volants". Pour moi qui n'ai jamais réussi à faire voler les nombreux
"inutiles pas volants" qui encombrent ma voiture, c'est fascinant,
voire même un peu vexant. On pose le cerf volant contre le mur à un endroit
précis on s'éloigne tranquillement en déroulant la ficelle à environ 10 mètres,
on donne une micro secousse et la chose vole déjà loin par magie. Après, on
s'assoit sur un pliant et on discute avec les copains en surveillant son œuvre
haut dans le ciel.
L’achat des billets de train met à rude épreuve les nerfs de notre traductrice.
On se heurte à un mur administratif, teinté de racisme, pas
d’explication : « mei you » : y’en a pas…admettons… mais
alors pourquoi le train dans lequel nous prenons place après d’épuisantes
négociations n’est il pas plein ?
L’armée enterrée de
Xi'an est une merveille, pour faire abstraction de la foule bruyante, je m’étais collé le Messie
de Haendel sur les oreilles, et je me
suis promené virtuellement très près (se munir de jumelles+++) de ces soldats
de terre cuite loin du monde extérieur.
Quelques heures
d’avion et nous voilà plus à l’ouest vers Xiahe et ses monastères. C’est la
plus belle partie du voyage et malheureusement la plus courte, c’est aussi la
plus dangereuse, elle se fait en car sur des routes approximatives, boueuses,
où nous avons la sensation de risquer notre peau à chaque virage.
Pour nous donner du
courage pendant le trajet, nous chantions des chansons de Brassens (les
paillardes de préférence-finalement, c’est bien de parler une langue
« rare ») Autour des temples,
nous avons fait tourner les moulins à prières en prévision du voyage de retour.
Le retour à la
civilisation( ?) est trop rapide.
A Chengdu, les filles font du shopping, je me
fais humilier dans une partie de go, je distribue des origamis, et je fais
tourner mes toupies optiques dans les parcs, j’offre des graines de roses trémières (c’est peut être interdit, je l’ignorais).
Nous mangeons
toujours dans des petits restaurants sympas à l’hygiène approximative. D’un de
nos délicieux sandwichs à la viande se
sont échappées des dents de rongeur…
Comme partout, les
patrons de restaurant bombardent notre traductrice de questions indiscrètes, et
rigolent de son impeccable accent taïwanais. (Imaginez un chinois parlant
français avec un accent méridional). Et pendant qu’elle répond, sa soupe
refroidit et sa bière se réchauffe.
Je suis le seul (hors
la traductrice) à avoir voulu y
retourner, malgré de grosses déceptions, des petites galères mémorables,
et de temps en temps, un trop plein de chinois !
Trois ans après, j’ai refait ce voyage simplifié accompagné de mes fils, et là,
c’était moi le seul traducteur malgré
mon chinois squelettique.
Juste avant ce voyage
nous avions pu voir l’éclipse solaire totale
de 1999, une merveille, tout simplement.
Et si je vous parle
de cette éclipse c’est que la prochaine le 22 juillet 2009 a lieu en Chine
entre Chengdu et Shanghai, et que depuis dix ans je me suis promis de ne pas
rater ce rendez vous magique.
Ce matin, c’est
décidé j’y vais … C’est une première ! Je vais prendre un bain de mer.
J’avoue que je ne suis pas très rassuré ! Mais j’en ai assez que l’on se
moque de moi !
- « Quoi tu ne
sais pas nager !!! »
- « Oh le
froussard !!! »
- « Tu ne
devrais pourtant pas avoir peur de l’eau !!! »
-
« Hi,hi,hi !!! Toi qui adores patauger dans les
flaques !!! »
Comme dans la croisière s’amuse … … On s’est retrouvé vingt aujourd’hui sur le pont pour le réveil musculaire comme dit Martin. Il en a de bonnes le moniteur : « Allez, levez les jambes, plus haut, rentrez le ventre, inspirez, expirer ». Une véritable torture matinale ! Il faisait déjà très chaud et Martin était en sueur… quant à moi fraiche comme une rose !!!
Côté restauration … Le premier jour, on a voulu tout goûter, tout essayer… de l’onctueuse tarama aux douces amères feuilles de vigne sans oublier les lentilles à l’huile d’olive, le tzatziki, les feuilletés au fromage, les poivrons et les aubergines grillées… puis les brochettes de mouton, les boulettes de viande, la moussaka … les médaillons de langouste, les crevettes, les crabes… C’était la folie devant le buffet… A croire que les gens ont jeûné pendant des mois : de véritables ogres ! En rentrant chez eux, ils diront « on a bien mangé » au lieu de dire « c’était beau » …
… Dans une heure, commence dans le grand salon la « Nuit des déesses ».. tout un programme ! Martin s’est déguisé en Dionysos, dieu du vin. Il porte au front une large couronne de feuilles de vigne, sa robe aux multiples plis tombe, bien heureusement, jusqu’à ses pieds et ne s’arrête pas comme certaines au-dessus des genoux, offrant le spectacle de grosses jambes velues ou trop maigres mollets… d’autres ont même gardé leurs chaussettes… Martin s’est carrément prosterné à mes pieds quand il m’a découvert en nymphe, « tu es la plus belle ! » .
Terre !! … Pendant une heure, le bateau s’est vidé. Au bout du quai, les autocars nous attendaient. Visite guidée de l’île. Comme d’habitude, une poignée d’irréductibles sont restés à bord, ceux là ne sont venus que pour le bateau, la mer, le jeu … Pour échapper au troupeau des touristes, on a décidé d’emprunter d’autres chemins… envie de découvrir l’île sous un autre angle. Le paysage était magnifique, paradisiaque même .. des oliviers à perte de vue, des vignes omniprésentes et surtout cette odeur dans l’air chargée d’agrumes : citrons, oranges.. On s’est arrêté dans un petit village puis ballade dans les petites rues pavées. Bien sûr à la première échoppe je n’ai pas résisté à m’offrir un joli napperon. Une petite dame, au visage buriné par le soleil et le temps, vêtue de noir, m’a regardé avec un grand sourire. J’ai craqué !
J'ai voulu voir Vierzon et on a vu Menton, tout comm' dans la chanson mais ça rime en citron, le musée Jean Cocteau et le limoncello ça te mont' à la tête, pourtant ça rime en eau.
T'as pas aimé Cocteau, pas plus les pédalos, j'aurais bien voulu jouer, t'aimes pas les casinos. Au clos du Peyronnet j'aurais pu te noyer si tu ne vivais pas toujours avec ta bouée!
J'ai voulu voir Lisieux et on a vu Honfleur, qu'est c'que t'as dans les yeux, t'es bien comm' ta soeur... qui est bien comm' ta mère. Honfleur, ça te plait bien? ça m'étonne à moitié c'est là qu'est né Boudin.
Dans le bassin à flot j'aurais pu te noyer si tu ne
sortais pas toujours avec ta bouée... alors on a quitté Honfleur et ses musées, ses vieux greniers à sel où t'aurais pu rester.
T'as voulu voir Paris mais c'était en travaux je te l'avais bien dit, en mai c'est Waterloo; tous ces tas de pavés et ces flics en armure jaillis de la fumée, ça t'avait une allure!!
C'est bien pour les photos mais c'est pas très pratique, mes tongs avaient pris l'eau, et toi une sciatique. On a été déçus, le Mont ne valait rien, Pigalle était désert... la grêve du tapin?
Alors quand tu m'as dit "Je n'irai pas plus loin" et puis tous tes Bla Bla et tes "Je te préviens" je t'ai plantée ici, c'était rue des Martyrs, ta bouée en plastique te seyait à ravir.
A toi l'accordéon, les flons flons, le musette, Madeleine et sa bouée, tu dois faire un tabac, tandis que libéré, bientôt sur la Croisette je vais enfin m'offrir des vacances
de roi.
Une cave
parisienne comme il en existait vraisemblablement des dizaines au siècle
dernier, construite sur le roc. J'en franchis le seuil et me fonds dans une
pénombre feutrée. Une guitare fait corps avec un piano droit, calé dans l'angle
du mur. Un homme seul ordonne ses feuillets, à la recherche d'une cohérence.
Perplexe, je me demande si j'ai noté correctement l'heure du rendez-vous. On
m'apporte la carte et je laisse mon regard errer sur les noms des vins au
verre. Je me décide enfin pour un rosé au nom prédestiné: Château de la prose. Je sens sa fraîcheur se couler doucement dans
ma gorge, comme l'inspiration me surprend parfois certaines nuits d'insomnie.
Je détaille l'ensemble des lieux. La salle est sombre mais chaleureuse. Les
murs lambrissés de vieux bois portent à la fois au repli vers soi et à
l'accueil des autres. Les plafonds sont tapissés d'affiches aux couleurs
passées. Le nom de Prévert accroche un instant mon regard. Quelques fragments
épars de poésie se juxtaposent aux lieux qui les ont inspirés, arpentés il y a
quelques jours à peine. En fond sonore, une vieille rengaine américaine des
années 1940. De nouveaux arrivants pénètrent dans l'antre. Dans quelques
minutes, une fois les baisers échangés, Boris Vian prendra possession des
lieux: juxtaposition naturelle entre cette atmosphère de trame sonore de vieux
film en noir et blanc et les mots de celui qui puisait son inspiration dans les
sonorités alors extravagantes du jazz.
L'univers déjanté de l'auteur s'épanouira progressivement sous nos oreilles
attentives, esquissant d'attrayantes volutes dans l'espace avant de se couler
par strates dans le coeur de ceux présents. Les mots dansent, ludiques,
pudiques, prégnants d'esprit, de musicalité. Des extraits de L'écume des
jours, de L'arrache-cœur, de L'herbe rouge, de nouvelles,
s'emmêlent en un contrepoint aussi improbable que les images conjurées,
caressant une seconde les touches du pianocktail, se glissant dans l'herbe
moelleuse qui abrite une conversation tendre, dense, dansante entre deux
amoureux, devient un instant bébé taupe, dragon fatigué, René ou Claude, portés
par la voix de lecteurs soucieux d'en extraire l'essence.
Je rejoins le soleil chaud d'une fin d'après-midi, laissant une part de moi
derrière.
Jeudi 21 mai 2009. Départ
ce matin à 10 h 30 en direction de Saint-Malo. Après avoir tournicoté près de
l’embarcadère des ferries, on va garer la voiture à l’endroit habituel, dans
l’avenue face à la gare. L’embarquement à bord est prévu à 16 h 30 pour un
départ à 17 h 30. Si j’avais voulu jouer au con j’aurais emporté avec moi le
« Guide du routard Catalogne » que Mme Chèvrefeuille m’a prêté. Nous
avions prévu en effet de nous rendre à Barcelone avec la Maison de quartier
mais ce voyage a été annulé. C’est Jersey qui s’y colle pour remplacer !
J’ai été aussi interdit de sac à dos rouge. Cela fait
vingt-cinq ans qu’il voyage sur mon dos, le vieux coco, mais il a été délaissé
au profit d’une valise à roulettes et longues poignées que l’on tire derrière
soi comme les mamies font avec leur caddie sur le marché des Lices. Marina m’a
acheté ça ! Elle me modernise à tour de bras ! Au secours ! Je
vais recevoir un téléphone portable à Noël !
On laisse les valises dans le coffre et on va faire un tour
à Saint-Malo intra muros. Je refais pour la énième fois des photos d’enseignes
au fil de notre avancée dans des rues ensoleillées. Au moment de pique-niquer,
Marina s’aperçoit qu’elle a laissé ses sandwiches dans le coffre de la voiture.
Du coup on va déjeuner à la crêperie Gallo où nous avons nos habitudes.
L’après-midi, après un tour sur les remparts, nous rendons visite à la tombe de
Chateaubriand sur le grand Bé. C’est la première fois que je m’approche d’aussi
près de cet empêcheur de respirer en rond.
Autrement dit, « Ferme ta gueule, passant, le poète
romantique écoute ses ongles pousser » !
Nous redescendons jusqu’au sillon et nous nous adonnons sur
la plage à une sieste de décompression. A trois heures et quart nous repartons
tranquillement vers la voiture, débarquons les valoches et les traînons jusqu’à
l’embarcadère. C’est quand même bien, Internet ! Madame Bourgeoizovna a
commandé et payé ainsi notre voyage et du coup, en échange de sa feuille de
papier, elle reçoit au guichet de Condor Ferries d’un genre d’hôtesse de la mer
deux billets qui nous donnent le droit de monter dans un gros bateau et de
partir aux îles !
Evidemment, pour moi qui ne voyage qu’en train, voiture et
vaporetto d’habitude, tout cela est nouveau et je m’inquiète un peu du sort de
ma belle valise qu’on m’a confisquée alors que je n’étais pas encore habitué au
bruit d’enfer que font ses roulettes. On l’a jetée sur un tapis roulant. « Houla !
Aïe ! Ouille ! » crie-t-elle.
On attend une petite heure dans la salle d’attente puis on
fait la queue à la porte 2. Il faut montrer son faciès (je l’ai) et sa carte
d’identité (je l’ai aussi) au douanier qui n’est pas un imbécile puisqu’il
connaît les sketches de Fernand Raynaud. Puis on passe dans une autre salle
d’attente. Enfin on monte dans un bus qui nous libère à l’arrière du
Ferry : on dirait un grand parking souterrain dans lequel s’engouffrent
des tonnes de bagnoles (ça va flotter, ça ?) et une file indienne de
piétons aussi peu ravis que moi qu’on leur ait pris leur valise ! Dans le
garage, nous montons un escalier puis on s’installe dans une espèce de grand
restaurant genre Flunch autour de tables de six personnes devant des télés
allumées. Sur l’écran une fille montre comment déficeler le gilet de sauvetage
qui est sous les sièges et faire joujou avec le toboggan d’évacuation en cas de
collision avec le Titanic mais tout le monde a l’air de s’en foutre. Peut-être
que le Titanic a déjà coulé ? On ne me dit jamais rien à moi !
En fait moi j’ai surtout peur de vomir après tout ce que
j’ai mangé à la crêperie et tout ce que m’a raconté ma collègue Nelly qui vomit
régulièrement sur ce trajet mais bon, je ne devrais pas l’écouter, c’est une
fille qui a le mal de mer dès qu’elle monte dans une barque aux étangs d’Apigné.
De fait, la traversée est hyper-tranquille, même si le commandant a dit que la
mer était agitée, et on est moins balloté ici que dans un TGV. En plus on
n’essaie pas de nous vendre des sandwiches SNCF ! Le seul désagrément
c’est cette odeur de haricot de mouton à 6 heures de l’après-midi et le
spectacle désolant des consommateurs indécrottables qui se ruent sur le magasin
Duty-Free ! Les gens ne sont pas encore arrivés à Jersey qu’ils achètent
déjà des souvenirs !
Au débarquement, douane à nouveau, contrôle de la carte
d’identité et du faciès qui n’a pas changé et puis récupération des bagages sur
un tapis roulant comme dans les aéroports. Trop drôle ! Mort de
rire ! Sauf que tout le monde à la même Samsonite sans sonnette
passe-partout et finalement c’est Marina qui reconnaît la mienne parmi la
foule. L’achat d’un autocollant « My heart belongs to Daddy but this case
belongs to Joe Krapov » va vite s’avérer indispensable !
Mon plan de Saint-Hélier, tiré sur l’imprimante à la
dernière minute, s’avère plus pratique pour trouver l’hôtel que la carte à 11
euros que j’ai achetée à la librairie Ariane à Rennes. Le Norfolk Lodge Hotel
se trouve sur le Rouge Bouillon, drôle de blaze pour une rue mais ici, ce sont
les îles anglo-normandes : les noms de lieux sont en français mais on ne
parle que l’anglais. Il est 19 h 15 en France mais du fait du décalage horaire,
il est 18 h 15 ici. Le voyage n’a duré qu’un quart d’heure, un peu long,
certes, mais un quart d’heure quand même !
Il y a une belle lumière de couchant. Je repère déjà
quelques façades colorées et nous sommes réjouis du fait que les voitures, ici,
roulent à gauche. C’est la première fois que je vois ça en vrai ! C’est
dangereux aussi quand on veut traverser mais au bout des quatre jours on aura
fini par s’y faire. Maintenant qu’on a le réflexe, c’est pour traverser en
France que ça devient dangereux !
A l’hôtel, la petite réceptionniste qui porte un prénom
italien ou roumain nous donne la clé n° 54 ! On comprend tout ce qu’elle
nous dit mais comme la porte de l’escalier pour le premier étage est sans
poignée, je demande à une autre personne de nous aider et… elle comprend ce que
je lui demande ! Waooh ! Ca sert finalement pour quelqu’un qui a
juste fait allemand-latin-russe au collège d’écouter les Beatles et de lire les
licences des cochonneries électroniques que mon patron achète pour Madame
Versité !
La chambre 54 est impeccable avec un lit qu’on dirait à
trois places, les douches sont bienvenues. Après un petit peu de rangement,
nous ressortons en repérage et surtout, en guise de repas de ce premier soir,
nous pique-niquons devant la mer et le « Frégate café » sur un banc
de l’Esplanade au bout de Kensington place. On avait faim ! Un vent frais
se lève. On va faire un tour vers le centre, avec une jolie lumière sur Seaton
place, Sand Street, King street et puis on tourne à gauche dans Halkett place
et on revient par Burrard Street, Union Street, Parade street et Saville
street. Déjà plein de photos de maisons colorées et d’autres repérées :
une maison violette, une porte arc-en-ciel devant laquelle, au moment ou
j’allais déclencher, une bagnole s’est garée !
Je crois que Jersey va nous plaire !
P.S. Pour celles et ceux
que cette destination intéresse, j’ai volé à Marina quatre pages de son carnet
de voyage : c’est son récit de la journée du lendemain. Le style est plus
sobre mais l’iconographie est plus classe !