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5 juin 2009

Voyage sur la frande / Carnet 57- dGH (Caro_Carito)

 15 VI 2742

Les minuscules points blancs qui semblent s’écraser sur la vitre avant me font penser à de la neige. Le ciel a la densité d’une encre de chine. Enfin, c’est ce qu’avançait au début du millénaire Tokhen Shi. Je n’ai jamais rien vu d’approchant et les rares vestiges des œuvres au pinceau du Maître sont enfermés dans un bunker à plusieurs mètres sous la croûte terrestre. Bientôt, le vaisseau retrouvera une vitesse moins inhumaine. J’échapperai pour deux rotations à la surveillance ténue des awacs de l’espace et je m’envolerai au-delà de la Frange. Tout est programmé.

 

16 VI 2742

Je remplis le dernier questionnaire pour signaler ma position. Le consortium stellaire aime savoir où chacun de ses membres se trouve. Pour notre bien. Je regarde en utilisant un plus fort grossissement les planètes de l’archipel des Cyclopes. Elles ont gardé cette douce variété de bleu qui se nuance de reflets camaïeu. L’eau. Empoisonnée mais omniprésente sur sa surface. Dans deux minutes, mon petit robot Souznic sera éjecté et enverra à intervalles réguliers les rapports nécessaires pour ma quiétude et mon éloignement temporaire. J’ai un petit pincement au cœur. Rester là. Là où mon odyssée personnelle a démarré et où Xilos Népomucène, humble citizien du consortium céleste a cédé la place à Xilos le baroudeur stellaire.

Je viens de dire au revoir à Souz nik. Je sais c’est puéril, il n’est qu’un assemblage de circuits et de matières dérivés mais c’est le plus avancé de mes droïdes. Je l’envierai presque ; plusieurs semaines à contempler les éruptions gazeuses qui maculent la planète d’éclats mordorés. Et pénétrer le regard plus avant sous l’épaisse d’écorce de quartz et de granit avec les yeux de sa sonde. Ca me rappelle la première fois où j’ai débarqué ici ; j’ai conservé mes croquis de l’époque. Je travaillais au fusain sur de gros blocs notes que j’avais troqué contre une bouteille d’aguardiente à l’avant poste de Guarzar, à quelques mille-lumières d’ici.

 

17 VI 2742

Le vaisseau a passé le point de non retour. Ici règne l’ombre absolu. Je ne crois pas qu’une peinture puisse retranscrire cette noirceur inhumaine. Pas un souffle de vie. Un règne minéral. Il est temps de faire un petite somme d’une heure ou deux. La Frange n’est pas loin.

Je me suis réveillé en sueur. Pourtant la clim n’a pas bougé d’un iota. C’est toujours comme ça, chaque fois que je travers la frontière intangible de la civilisation, le souvenir de ma première errance revient en force. J’étais jeune. Excité comme un jeune chiot et inconscient. J’avais pris ce poste risqué d’ingénieur dans les limites du monde ordonné. Et puis, trop loin de Guarzar, j’avais eu une panne. J’avais sondé les mondes environnants et il était clair qu’il me fallait trouver secours au-delà de la Frange. J’avais de quoi faire un aller retour en étant sûr d’atteindre une ville, enfin une ville… Quelque chose où s’agglutinaient mercenaires et rejetons d’indésirables, chassés quelques décennies auparavant du consortium céleste. La peur m’avait collé aux basques jusqu’à ce je revienne sain et sauf, les pièces défaillantes remplacés par des neuves.

Mais j’avais pris le goût du voyage et de l’inconnu. J’y étais retourné dès que possible sans plus chercher de prétexte.

 

18 VI 2742

 

Voilà. J’ai laissé derrière moi les météorites de la Frange. Une forte luminosité m’aveugle presque. Dans quelques heures, je retrouverai la première planète sauvage habitée. Je regarderai les deux soleils s’écraser sur la ville haute et le fleuve avant de m’égarer dans un bouge souterrain pour y nocer avec méthode.

C’est drôle avec ma gueule abimée par l’âge et les voyages, je suis plus chez moi ici, parmi tous ces fracassés que sur ma Terra de naissance. Là-bas, tout est si propre est verdoyant, chacun transite sur une trajectoire de perfection, l’âme et le corps retouchés depuis l’enfance. Je suis un lépreux parmi les miens, nostalgique de planètes mortes et de villes bétonnées et métallisées.

Terra, calibrée et miraculeuse, recouverte de prés et lacs translucides. Pas un bruit trop haut, pas un geste démesuré. Je suffoque, ma Terra, dans ton oxygène purifié et mon cerveau suinte l’ennui.

Je regarde une dernière fois mon visage sur lesquels se sont incrustées les émotions charriée pandant mes voyages avant de contempler la ville blanche, son fog épais et l’étendue liquide qui la ceint. Déjà le ballet désordonné du trafic s’épaissit en un nuage de moustiques d’acier. Vrombissant. Sautillant.

Juste avant d’amorcer la descente, j’hume l’air saturé et épais comme un cadeau de bienvenue.

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Commentaires
R
"C’est drôle avec ma gueule abimée par l’âge et les voyages, je suis plus chez moi ici, parmi tous ces fracassés que sur ma Terra de naissance"<br /> j'aime cette phrase qui veut dire tant de choses !
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J
C'est vraiment tres bien ecrit. Moi non plus, je ne suis pas fan de SF, mais je me suis laissee happee.
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T
j'adore la manière dont tu as traité la consigne! Bravo pour ce voyage si dépaysant! et merci!
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T
Cette athmosphère est étrange... Je ne m'y sentirais pas à l'aise, tu décris super bien ce monde irréel!
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M
Eh bien Caro tu nous a entraînés de façon époustouflante dans le monde de Xilos le baroudeur stellaire ... <br /> Impressionnant ! Un grand bravo !
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C
Si stellaire c'est ok. <br /> Nan pas de satrunales, c'est un vieux héros fatigué.<br /> <br /> Arthur Rimbaud. Version masterisé alors.<br /> <br /> Le 19 VI, J'y pense j'y pense.
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P
C'est Arthur Rimbaud qui rentre de voyage.
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J
19 VI 2742<br /> Ah, caro nous fait un trek stellaire ! Bravo ! (ah zut, je cherche "stellaire" dans le dico, mais en français, c'est pas comme "stellar" qui est synonyme de "brillant", alors, je retire ce que j'ai dit et je recommence.<br /> <br /> 19 VI 2742,3<br /> <br /> Ah, caro nous fait un trek de star ! Bravo !
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V
Et tu fais quoi le 19 VI 2742 ?
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B
Un voyage Extraordinaire !!
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J
Et elles ont comment les petites Frangeaises ?<br /> Et elles ont où les saturnales avec les Saturniennes ?<br /> Ce récit de vieux baroudeur nous emmène trop loin de Vénus à mon gré. Mais il est bien agréable quand même. Peut-être les agapes et les folies de l'étoile bergère n'arrivent-elles que le 28-06 ?<br /> Happy birthday, miss Bradbury ! ;-))
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W
Fais gaffe aux trous noirs, Caro !
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V
Caro, tes univers sont toujours très accueillants. Moi aussi je suis entrée avec plaisir...
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P
wow. Quel voyage ! Moi qui n'aime pas la SF je me suis laissé prendre avec délices.
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V
Piouh, quel voyage, Caro ! Besoin d'air ?
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