Voyages à éclipses (Zigmund)
De mon enfance méditerranéenne, je me souviens de mon intérêt précoce et étrange pour le pays du Milieu.
Exilé sans retour possible, peu après ma
première éclipse totale de soleil
inoubliable, j’ai longtemps cherché un pays à aimer...
Un grand morceau d’existence plus tard, je me lance dans l’apprentissage de la langue
et me voilà dans l’avion pour Pékin, avec cinq amis réunis entre autres par la pratique du tai-chi-chuan.
Première image désolante : le ciel est
gris : « j’aurais traversé le
quart de la planète, pour qu’il
pleuve ? » mais non, il ne
pleut pas, ce n’est que la pollution, ( !) et dès la sortie, la chaleur
humide étouffante m’étreint, « jamais je ne supporterai 3 semaines comme çà ! ».
Le choc est à la mesure de l’attente : la foule, partout, les façades grises de poussière, la foule encore, les vélos…
Choisi
par notre amie traductrice, notre hôtel est un petit bijou caché au fond d’une ruelle
ancienne (çà s’appelle un hutong). A partir de ce vieux quartier insalubre
mais hélas destiné aux bulldozers, nous
découvrons la ville, les petites échoppes où nous faisons sensation (les
longs-nez sont rares par ici), la librairie où je caresse chaque ouvrage sans en
comprendre la signification, les coiffeurs de rue, les petits restaurants et
les parcs.
Pas terrible l’idée de visiter la cité
interdite un dimanche d'été : toute la Chine est là avec la même intention
; il faut se faufiler entre les vendeurs de cartes postales, d’eau, éviter de
gâcher les "photos à la chinoise
" : tout le monde se groupe debout devant le monument, pose, sourit (ne me
demandez pas comment on dit "ouistiti" -"sex" en chinois)
et voila un beau souvenir dans la boîte.
Non loin de la place Tian an men, se trouve
le mur des minorités, c’est devant ce mur que je demande à être pris en photo
en tant que minorité chinoise à moi tout seul.
Au palais d’été, nous avons loué des pédalos
pour une ballade sur le lac Kumming et
attiré contre nos embarcations, des familles en mal de batailles navales
clamant sans doute : « à l’attaque ! Sus aux « lao
wai » ! (=étrangers)
Bravitude requise
pour escalader la grande Muraille au
soleil de midi et échapper aux marchands de souvenirs.
Peu connu, le Ritan parc situé dans le quartier russe. Là,
nous pouvons enfin nous fondre dans la foule sans être dévisagés ; là, nous
essayons de déchiffrer les enseignes en cyrillique, c'est un petit coin
d'"Europe" à Pékin. A l'entrée du parc, les hangars pleins des ballots
de vêtements et de tissus destinés à l'Europe de l'Est sont impressionnants.
Dans le parc, c'est
de nouveau la Chine, quelques
pratiquants de Taiji quan, une maison de thé où on prend plaisir à s'éterniser,
un bassin à poissons rouges où les enfants viennent pêcher leur futur
compagnon, un kiosque à musique où un isolé étudie le saxo, des gens qui
chantent, qui dansent ou qui jouent aux
échecs chinois. Il y a surtout une grande
aire centrale délimitée par un mur
circulaire percé de quatre portes : là, se rencontrent les "papis
cerfs-volants". Pour moi qui n'ai jamais réussi à faire voler les nombreux
"inutiles pas volants" qui encombrent ma voiture, c'est fascinant,
voire même un peu vexant. On pose le cerf volant contre le mur à un endroit
précis on s'éloigne tranquillement en déroulant la ficelle à environ 10 mètres,
on donne une micro secousse et la chose vole déjà loin par magie. Après, on
s'assoit sur un pliant et on discute avec les copains en surveillant son œuvre
haut dans le ciel.
L’achat des billets de train met à rude épreuve les nerfs de notre traductrice.
On se heurte à un mur administratif, teinté de racisme, pas
d’explication : « mei you » : y’en a pas…admettons… mais
alors pourquoi le train dans lequel nous prenons place après d’épuisantes
négociations n’est il pas plein ?
L’armée enterrée de Xi'an est une merveille, pour faire abstraction de la foule bruyante, je m’étais collé le Messie de Haendel sur les oreilles, et je me suis promené virtuellement très près (se munir de jumelles+++) de ces soldats de terre cuite loin du monde extérieur.
Quelques heures
d’avion et nous voilà plus à l’ouest vers Xiahe et ses monastères. C’est la
plus belle partie du voyage et malheureusement la plus courte, c’est aussi la
plus dangereuse, elle se fait en car sur des routes approximatives, boueuses,
où nous avons la sensation de risquer notre peau à chaque virage.
Pour nous donner du
courage pendant le trajet, nous chantions des chansons de Brassens (les
paillardes de préférence-finalement, c’est bien de parler une langue
« rare ») Autour des temples,
nous avons fait tourner les moulins à prières en prévision du voyage de retour.
Le retour à la
civilisation( ?) est trop rapide.
A Chengdu, les filles font du shopping, je me fais humilier dans une partie de go, je distribue des origamis, et je fais tourner mes toupies optiques dans les parcs, j’offre des graines de roses trémières (c’est peut être interdit, je l’ignorais).
Nous mangeons
toujours dans des petits restaurants sympas à l’hygiène approximative. D’un de
nos délicieux sandwichs à la viande se
sont échappées des dents de rongeur…
Comme partout, les
patrons de restaurant bombardent notre traductrice de questions indiscrètes, et
rigolent de son impeccable accent taïwanais. (Imaginez un chinois parlant
français avec un accent méridional). Et pendant qu’elle répond, sa soupe
refroidit et sa bière se réchauffe.
Je suis le seul (hors
la traductrice) à avoir voulu y
retourner, malgré de grosses déceptions, des petites galères mémorables,
et de temps en temps, un trop plein de chinois !
Trois ans après, j’ai refait ce voyage simplifié accompagné de mes fils, et là,
c’était moi le seul traducteur malgré
mon chinois squelettique.
Juste avant ce voyage
nous avions pu voir l’éclipse solaire totale
de 1999, une merveille, tout simplement.
Et si je vous parle
de cette éclipse c’est que la prochaine le 22 juillet 2009 a lieu en Chine
entre Chengdu et Shanghai, et que depuis dix ans je me suis promis de ne pas
rater ce rendez vous magique.