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Le défi du samedi
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2 juin 2009

Le goéland (PHIL)

On ne s’est pas rendu compte tout de suite que le disque était rayé. C’est parce qu’on était occupé à tirer sur le joint et à faire mine de planer. Et puis aussi, c’est parce que Jeanjean écrivait et que moi j’étais occupé à lire les élucubrations incompréhensibles de William Burroughs. Cette littérature-ci était à la mode, mais ça ne me plaisait pas trop. Je préférais m’en tenir à Kerouac. Ça me plaisait bien d’être sur la route, je m’y sentais bien.

Pour en revenir à la galette de vinyle rayée, c’était un disque de Ravi Shankar, une musique assez lancinante pour donner le change quand la tête de lecture de l’électrophone se prend les pieds dans le tapis. Jeanjean a quand même fini par se rendre compte que son disque était bousillé alors il a relevé le bras du tourne disque assez brutalement, ce qui fait qu’on a entendu une espèce de raclement fatal, et ceci explique cela, n’est-ce pas. Quand on n’est pas soigneux, voilà ce qui arrive. Personnellement, je n’étais pas trop désolé pour Ravi Shankar, mais Jeanjean était dans une période baba, envisageant vaguement d’aller faire un tour du côté du Népal, et moi je lui souhaitais bon vent, si on peut dire, n’ayant que peu de goût pour l’exotisme bariolé. Je luis avais quand même fait remarquer que Shankar n’était pas népalais.

Après avoir remisé le roi du sitar dans sa pochette, il a ajouté quelques mots à sa prose avant de me dire, écoute ça, et il s’est mis à me lire sa production, qui n’était pas mal ficelée, même si ça n’était qu’un début et qu’on restait sur sa faim. Il y avait là l’histoire assez banale et naturelle d’un garçon qui s’immisce dans une fille, et Jeanjean y avait ajouté une trouvaille assez saugrenue quant au vacarme produit par les poils des protagonistes qui s’entrechoquent. J’étais bizarrement émerveillé par ce trait d’esprit, quoi qu’un peu jaloux aussi, parce que c’était moi l’écrivain, là-dedans, bon sang de bonsoir.

Jeanjean a fait mine de vouloir mettre un autre disque, c’était Bob Marley, alors je me suis écrié qu’on n’allait pas faire le tour du monde, merde, même si comme dit le poète, « qu’est-ce qu’on peut voyager, dans une petite carrée », tsoin, tsoin, tsoin.***

J’ai dit, et si on faisait un voyage, plutôt ?

Jeanjean m’a pris au mot, il a entassé des trucs dans une sacoche de l’armée, on est passé chez moi pour prendre la tente et les duvets, et mes trucs à moi dans une autre sacoche de l’armée (décorée d’une croix languedocienne au feutre indélébile, j’étais dans ma période occitane). On a dit au revoir à nos mères respectives. J’ai pris place au volant de ma vieille 4L à trois vitesses, et nous avons mis le cap sur l’ouest. Tu parles d’un voyage, disait Jeanjean, la mer est à même pas deux cent bornes, et après, y a rien (il faisait abstraction de l’Amérique et même de l’Angleterre).

 

On a planté la guitoune à côté d’une chapelle, face à la mer. Et puis on est allé faire un tour sur la falaise. J’ai toujours été fasciné par les falaises d’Etretat, elles sont vachement impressionnantes. Evidemment, pour être fasciné, il faut les avoir vues de ses yeux vu au moins une fois.

Jeanjean a fouillé dans sa sacoche et en a sorti une boîte d’allumettes, et dans la boîte je voyais des petits grains noirâtres qui ressemblaient à des cachous. C’est de l’acide, a dit Jeanjean. Et sans se poser trop de questions, on a gobé les cachous.

Du haut des falaises, nous nous abîmions dans un paysage irréel, je voyais jaillir des rayons d'un vert cru à l'horizon, les rayons du soleil à travers de gros nuages annonciateurs de pluie, mais qui s'en souciait, lentement du rouge puis du pourpre ensanglantaient l'espace, on se serait cru dans un tableau expressionniste, sauf qu'à ce moment là, je n’avais encore jamais entendu parler d'expressionnisme ni même d'impressionnisme, j’étais encore en friche de ce côté, je voyais le paysage vibrer comme s’il avait été peint sur de la tôle, kitsch en diable, et il y avait plein de goélands qui planaient autour de nous et qui venaient nous narguer tout près.

Alors Jeanjean s’approchait du bord, il me flanquait les flubes, mon ami, il disait regarde, je suis une mouette je suis un goéland je vais voler planer sur l'eau rejoindre l'horizon

cet horizon que je voyais métallique clinquant pas vrai merdique

kitsch

fais pas le con mon ami, t'es pas un GOELAND

reste avec nous

me laisse pas tout seul

(me débarrasser de ces miasmes acides ces rideaux artificiels et multicolores dans lesquels je m’étais empêtré, je sentais bien confusément que ce voyage était un bad trip)

longtemps après, ou pas longtemps après, je ne savais plus, difficile à savoir, je m’étais absenté, j’avais un trou noir en moi, après toutes ces couleurs, tous ces flashes,

j’entendais un cri bizarre, un long hurlement ou ululement, un cri qui me terrifiait en tous cas

j’étais planté là au bord de cette falaise, Jeanjean n’était plus là, j’étais seul sur la falaise, assis dans l’herbe rase, et un goéland était tout près, qui me regardait de son petit œil cruel,

j’étais seul,

j’étais seul,

j’étais seul,

j’étais terrifié,

et putain, j’ai toujours détesté les goélands.

 

 

*** celui qui rappellera le chanteur de ces mots là aura droit à ma gratitude. Toute recherche sur gougueule ou autre est évidemment proscrite.

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Commentaires
J
Ouch! what a trip!
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R
"je voyais jaillir des rayons d'un vert cru à l'horizon,"... ne serait- ce pas aussi, ce qu'on appelle le Soleil VERT ?<br /> lol<br /> <br /> les falaises d'étreta... moi elles me font peur, de tomber d'en haut !<br /> oups, j'sais pas voler !
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S
ah ça c'est du carnet de voyage! on dit "bad trip", c'est ça, hm ?
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P
Dix neuf cent septante trois : l'année où j'ai passé le bac. Ca nous rajeunit pas !<br /> :-)
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Z
(special poupoune<br /> j'espère que le lien fonctionne<br /> merci pour les renseignements sur citation béranger)<br /> http://www.dailymotion.com/video/xma9v_francois-beranger-les-mots-terrible_music
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L
le vert, c'est pas cette couleur proche du marron ?
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T
Poupoune, je suis née la même année que toi et je connais Béranger... Suis-je une vieille jeune? ;-)<br /> Sans rire, si tu connais pas, ben il faut combler cette lacune et de toute urgence !
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P
née en dix-neuf-cent-septante-trois... s'il faisait dans la jeunesse tendance petite enfance, j'aurais dû connaître, sinon je confirme: trop jeune !!! (ouèèèèèèèèèè!!! ;o)
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P
François Béranger était le phare de la jeunesse des années septante, Poupoune. Confirmes-tu que tu es trop jeune pour l'avoir connu ?<br /> ;-D<br /> Tiphaine : toute coïncidence peut être en effet fortuite. Merci pour le titre de la chanson.<br /> Walrus : je pense réellemnt comme toi que les oiseaux ont un regard inquiétant. Hitchcockien, n'est il pas ?<br /> Michel F :-D : effectivement ils devraient mettre en garde contre un tas de trucs, même de ne pas voter vert.<br /> Zigmund : oui, ce ne sont pas les meilleurs souvenirs, mais bon.<br /> MAP, c'est normal !!!
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T
Réponse à ta question : la citation vient de "difficile à dire", dans le disque Participe présent de 1978. Voilou !
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P
excellente idée ce bad trip! ça fait pas trop rêver mais c'est un très bon moment de lecture!!<br /> <br /> (François Béranger ???? Jaaaaaaaamais entendu parler!! je dois être trop jeune, non ? ;o)
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L
" cooooooours, faux-reste !! "<br /> tu crains déguen : le gô est lent.
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W
Jonathan Livingston, I presume ?<br /> C'est vrai que ces oiseaux ont un regard inquiétant. Moi, celui des fous de Bassan me glace le sang !
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M
aussi, sur ces falaises, ils mettent jamais de mise en garde contre la dangereuse alchimie des psychotropes et des embruns.<br /> aussi.<br /> <br /> 'vais peut-être voter 'vert', moi, tiens.
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T
J'aime et le texte, ET François Béranger, je n'y vois pas de coïncidences pour ma part. :-)
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Z
longtemps j'ai rêvé des falaises d'Etretat entrevues sur mon livre de géographie.un jour j'ai pu les voir et j'ai pas été déçu.<br /> pour béranger j'aurais trouvé parce que suis fan .<br /> <br /> [(je cherche le titre de la chanson où il dit "alors faites comme vous voudrez dormez ou restez éveillée agrandissez vos oreilles enclenchez l'imagination" je crois que c'est manifeste 1 mais suis pas sûr-fin de la parenthèse pour ceux que beranger laisse de glace] <br /> j'ai des souvenirs analogues que ce texte raconte parfaitement
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M
C'est planant !!!
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P
ça doit tenir de l'imagerie d'Epinal, je présume.
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P
Je ne sais pas quoi dire après ce témoignage. J'aurais l'air bête de vouloir prendre la défense de l'oiseau à l'œil cruel (c'est cruel un oiseau ?)alors je ne dis rien. Je relis, juste.
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P
ah oui ? y en a d'autres qu'ont essayé de voler ?
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V
Ah! J'aime bien.<br /> C'est très bien écrit. On le vit, le bad trip. Et ça peut même rappeler des choses à certains...<br /> Merci!
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J
Si c'est le tango d'ennui, je ne danse pas !<br /> <br /> La vie est tout sauf ennuyeuse !<br /> <br /> Mais je veux bien garder les sacs des copines.<br /> <br /> ;-)
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P
Merci à vous.<br /> C'était si facile que ça de trouver Béranger ? Merde alors.<br /> ps la chanson s'appelle "tango de l'ennui".un thème de défi en soi, non ?<br /> :-)
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J
Après Végas-sur-Sarthe qui nous a fait Radio Lucien la semaine dernière, voici que Phil prête sa voix au cousin Bernard !<br /> C'est toujours agréable de retrouver les potes à Margerin, et pour un peu, c'est encore mieux sans les images !<br /> Amitiés à l'Arsène (le papillon à chapeau qui volète parmi les lupins) et remerciements pour le trip !
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V
Waouh, quel voyage, Phil ! Toujours aussi bien écrit. :-)
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J
Et j'ai triché aussi, je viens de voir que tu avais proscrit mon ami Googlio... (ouin !)
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J
Youps ! J'ai menti, les paroles sont de François Béranger...(?)<br /> <br /> http://listen.grooveshark.com/#/song/Le_Tango_De_L_ennui/6390414
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J
P.-S. : Ton texte, dude ! Quel trip !
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J
Monsieur est servi, les paroles sont de Sanseverino :<br /> <br /> Je mesure aujourd'hui combien favoris<br /> J'tais quand je travaillais chez P'tit Louis<br /> A Billancourt-sur-Seine dans l'entreprise modle<br /> Je participais l'expansion.<br /> A 5 heures du matin, lev comme l'aveugle<br /> Se lever avaler son caf<br /> S'enfoncer dans le noir, prendre le bus d'assaut<br /> Pitiner dans le mtro c'tait le pied.<br /> <br /> Anastasie l'ennui m'anesthsie<br /> <br /> S'engouffrer au vestiaire, cavaler pour pointer,<br /> Enlever sa casquette devant le chef.<br /> Faire tourner la machine, baigner toute la journe<br /> Dans l'huile pollue, quelle sant!<br /> Surtout ne pas parler et ne pas trop rver,<br /> C'est comme a que les accidents arrivent<br /> Et puis le soir venu, repartir dans l'autre sens,<br /> Vers le mme enthousiasmant voyage.<br /> <br /> Anastasie l'ennui m'anesthsie<br /> <br /> Heureusement, un jour, sur Pont-de-Svres-Montreuil,<br /> Dans le bain de vapeur quotidien,<br /> Dans la demi-conscience, au hasard d'un chaos,<br /> J'ai senti dans mon dos tes deux seins.<br /> Je me suis retourn, je t'ai bien regarde,<br /> Et j'ai mis mes deux mains sur tes seins.<br /> Tu m'a bien regard et tu n'as pas bronch,<br /> Bien mieux tu m'as souri et j'ai dit:<br /> <br /> Anastasie l'ennui m'anesthsie<br /> <br /> Tu t'appelais Ernestine ou peut-tre Honorine<br /> Mains moi je prfre Anastasie.<br /> On a t chez toi, a a dur des mois,<br /> J'ai oubli d'aller chez P'tit Louis.<br /> Qu'est ce qu'on peut voyager dans une petite carre<br /> On a t partout o c'est bon.<br /> ... Suite<br /> Et puis un soir comme a, pour viter l'ennui<br /> On dcid de se sparer.<br /> <br /> Anastasie l'ennui m'anesthsie<br /> <br /> La morale de ce tango, tout fait utopique,<br /> C'est que c'est pas interdit de rver<br /> C'est que si tous les prolos, au lieu d'aller pointer,<br /> Dcidaient un jour de s'arrter,<br /> Et d'aller prendre leur pied o c'que a leur plairait<br /> Ce serait bien moins polluant que l'ennui,<br /> Y aurait plus de gars comme moi, comme j'tais autrefois<br /> Qui se rptaient tout le temps pour tuer le temps:<br /> <br /> Anastasie l'ennui m'anesthsie.
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