Ceci n'est pas un texte (Virgibri)
Ceci n'est
pas un texte. J’avais
quinze ans environ. J’avais choisi une colonie de vacances de trois semaines
avec des activités artistiques : photographie, calligraphie, danse. Danse… Rien
qu’à l’idée, j’avais peur. Mal dans mon corps, timide à l’excès, pas encore
assez vieille pour comprendre ce que j’aimais dans le corps de l’Autre,
complexée. Une adolescente, quoi. Et puis je détestais danser. Pourtant
l’approche de la prof fut aussi déroutante pour moi que géniale. Il s’agissait
de danse contemporaine, un peu dans le style de Carolyn Carlson, que je ne
connaissais évidemment pas. La première année de cette colo, je me suis tout
pris en pleine tête. Tous mes sens étaient en alerte, bouleversés de tant
d’émotions. Je le vivais même mal, cet excès. J’ai décidé
l’été suivant de réitérer. J’avais seize ans. J’étais prête, enfin. J’ai pu
utiliser mon corps à des fins artistiques, sans être morte de honte. J’ai même
fait alors mes premiers autoportraits, genre photographique que je n’ai jamais
lâché depuis… Et puis il y avait la danse. J’acceptais enfin les conseils, les
directions que mes pas allaient suivre : je recevais, et donc je
donnais. Je
comprenais que mon corps pouvait être beau, en lui-même. Qu’il avait son propre
langage, et que je pouvais créer sa grammaire, ma grammaire. Depuis, j’ai beaucoup
occulté tout cela… Pour les
cours de danse, C. avait un gros poste à cassettes (oui, c’est d’un autre âge,
je sais) qu’elle transportait partout. J’y ai entendu mille choses. Mais cet
été-là, j’ai pris deux baffes musicales : La Callas, et René Aubry. C., pour le
spectacle de fin de séjour, faisait un solo sur « Casta diva »,
évidemment interprété par Maria Callas. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi
beau. J’en ai pleuré, lors de la première répétition. Je m’y revois encore… Et puis il
y a eu René Aubry. Musique instrumentale qui m’a accompagné les années
suivantes, dans mon quotidien. On avait du mal à trouver ses albums dans le
commerce, et ceux-ci valaient chers, à l’époque. Je les ai toujours. L’écoute
unique des morceaux de la consigne m’a ramenée à lui et à ces souvenirs
d’adolescence. Mais si je suis honnête avec moi-même, je n’ai pas pu les
réécouter parce qu’à la fin du film que j’ai déroulé de mon passé, j’ai accroché
un wagon supplémentaire : vers la fin du deuxième séjour, j’ai poussé ma
mère à me dire au téléphone ce qui n’allait pas. Je sentais à sa voix, à chaque
fois que nous parlions, elle à la maison, moi dans une cabine, qu’une faille se
faufilait. Et je n’avais pas mon père en ligne, lui, le silencieux gourmand de
téléphone. On lui
avait découvert des ganglions et il devait se faire opérer. On mettrait en
culture pour voir s’il n’y avait rien de malin ; mais lui, le sportif, non
fumeur, buveur d’eau, ne craignait rien, n’est-ce pas ? Nous étions
en août 1992. Il est mort
en octobre 1993.
René Aubry. Après La Pluie 2
envoyé par RENEAUBRY. - Clip, interview et concert.