Mireille en mauve (Zigmund )

Chère madame,

Ce sont mes parents qui m’ont présenté Mireille, qui militait à leurs côtés dans divers mouvements laïcs, roses ou rouges.

C’était ce qu’à l’époque on appelait une vieille fille, (effectivement déjà âgée,) je dirais une femme libre. Son grand regret était de n’avoir pas pu devenir institutrice à cause d’une tuberculose ; c’est cette maladie qui l’avait fait renoncer à l’amour de sa vie, un soldat américain rencontré à la libération. (À cette époque, on décourageait les malades d’avoir des enfants). En peu de temps elle était devenue ma copine, et je n’avais qu’à traverser  la rue entre la fac où j’étais étudiant et sa mansarde pour me faire offrir un café ou un alcool (« dis pas à ton père que je te saoule ! ».

Capable de distribuer des tracts ou de vendre l’huma en manteau de fourrure, ou alors entièrement habillée de violet, sa couleur préférée, elle faisait figure d’excentrique, même parmi ses amis «anarchistes ». Nous allions ensemble à l’opéra et je me souviens qu’au sortir de la belle Hélène,  nous chantions à tue tête « avouez que ces déesses ont de drôles de façons…pour enjôler les garçons ».

Quand elle a eu un peu de sous, elle s’est construit une jolie maison, qu’elle a nommée « guette l’ami », avec une salle de bains entièrement violette. (Nous avions mission de lui procurer le papier hygiénique mauve ce qui était rare à l’époque). 

Plus tard mes activités m’ont éloigné d’elle mais je ne l’ai pas oubliée.

Je sais que c’est elle qui a pris la décision d’entrer en maison de retraite quand elle s’est sentie trop faible. Je n’ai pas pu lui rendre visite, le peu qui lui restait de famille était plus intéressé qu’intéressant. Ces ignorants se sont probablement hâtés de brader ses livres chéris. Quant à ses amis, ils étaient  très âgés, et n’ont pu se rendre disponibles pour aller la voir.

Je constate avec fierté qu’elle est allée jusqu’au bout de ses convictions : je suppose que si vous étiez seule à suivre son cercueil c’est aussi parce qu’elle avait tenu bon et exigé un enterrement civil dans un environnement extrêmement calotin. Je vous joins un chèque afin que vous déposiez de temps en temps une rose rouge sur sa tombe. Merci de l’avoir accompagnée à la fin de son chemin.

Comments

[zigmund]

la rose rouge c'est parce qu'elle était amoureuse de "tonton"

[captaine lili]

Un personnage très cinématographique ! (mais j'aurais pensé au lilas, plutôt qu'à la rose rouge...)

[caro_carito]

Et là nous la retrouvons, façon Louise Michel!

[tilleul]

La gentillesse est la seule ressemblance entre nos deux Mireille... parce que la mienne était plutôt du style à distribuer, non pas l'Huma, mais bien le journal "La Croix"... :-))

[phil]

Elle est belle, cette Mireille là.
Et je me souviens des copains qui vendaient l'huma dimanche à la sortie de la messe, cette rigolade.

[Janeczka]

Elle me plait, cette mamie qui fait de la resistance! une vraie personalite comme on en rencontre peu.

[Berthoise]

Celle-ci est particulièrement sympathique.

[valérie]

C'est beau de tenir à ses convictions même à sa dernière heure...

[joye]

Un portrait très vraisemblable. Et la personne (je ne dis pas "narrateur" parce que c'est une lettre) qui l'a écrit me paraît bien aimable aussi ! Alors, bravo à l'auteur !

[brigou]

Quelle personnalité cette Mireille !!

[stipe]

Mireille en communiste, manquait plus que ça! ;-)
joli portrait d'une femme étonannte..

[Papistache]

Une rose mauve, zigmund ! ! ! Un hommage à la charte graphique des défis du samedi, c'est Janeczka qui va être contente.

[Virgibri]

Quelles existences elle a eues, Mireille !
J'aime beaucoup le titre de cette vie-là, aussi.

[MAP]

Ici nous découvrons une Mireille en "femme libre" qui va "jusqu'au bout de ses convictions" ...
Avec Mireille l'excentrique toute une époque est ainsi retracée !
Bravo Zigmund !