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Le défi du samedi
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18 mai 2009

Variante (Citronnelle)

Madame,

De quel droit vous allez-vous fouiller dans les affaires d’une défunte et vous mêler de ce qui ne vous regarde pas ?
Je suis un honnête homme, moi ! Je ne veux pas savoir ce que faisait mon nom dans le répertoire de cette mauvaise chanteuse de cabaret  mais ma femme, elle, m’assomme de questions et ne cesse de me houspiller depuis que cette lettre est arrivée chez nous. Elle a 88 ans et n’en est pas  moins jalouse ! Depuis le temps, il y a pourtant prescription !
Mes pauvres yeux ne me laissent pas le loisir de vous en écrire davantage... mais un conseil : jetez ce carnet aux ordures !
Je ne vous dis pas merci !

Jean De Lamacrelle




Madame,

C’est mon aide-soignante, Ghislaine, qui me prête sa main pour rédiger cette lettre. Je suis vieux moi aussi, mes yeux sont fatigués, ma main tremble mais j’ai toujours ma tête et mes souvenirs. Je m’interroge depuis plusieurs jours au sujet de votre lettre et de votre louable requête. Ce sont les petits jeunes qui ont acheté notre maison qui ont fait suivre votre courrier. Cela fait 4 ans que ma femme n’est plus de ce monde et que j’ai quitté l’adresse où votre lettre est arrivée. Mes enfants ont préféré me placer dans cette maison. J’y serais mieux, disaient-ils...Ce n’est pas faux, Ghislaine et ses collègues s’occupent bien de moi...


Mireille Icks (ne s’est-elle donc jamais mariée ?) je l’ai connue il y a bien longtemps mais je n’ai jamais oublié son nom, bien qu’elle soit restée pour moi, « La belle Lou ».

J’étais alors instituteur dans une petite ville du Nord. Elle était chanteuse dans un   cabaret minable, terne et sale mais qui était très fréquenté...Les hommes venaient de loin pour la voir. Lou, la belle. Un ange en dentelle noire. Un ange au purgatoire... Sa voix enchanteresse, je l’entends encore.
J’étais timide, je n’osais trop lui parler. Elle était entourée d’hommes, de ces bons bourgeois pleins aux as. Attention, ne vous méprenez pas ! C’était une femme respectable ! Elégante, ensorcelante, souvent.  Joyeuse et... colorée,  parfois mais jamais vulgaire ! Son parfum de violette la suivait entre les tables du cabaret... Je choisissais toujours une place dans un coin pour être discret. (Un instituteur doit prendre garde à sa réputation, mais n’en est pas moins un homme.) Nos regards se sont croisés plusieurs fois, nous avions même échangé quelques paroles. Une fois, je me souviens, après son spectacle, elle s’était racontée... Mireille, bien moins scintillante que Lou, mais tout aussi touchante... 
Je l’aimais secrètement... J’étais bête, timoré, je n’avais pas l’audace que donne un portefeuille bien rempli  pour le lui dire vraiment.
Un soir, j’avais même acheté un bouquet de roses jaune pâle. Après les avoir cachées toute la soirée sous la table,  je les ai finalement jetées. J’en ai gardé une, entre les pages d’un recueil d’Apollinaire.

C’est ridicule, ne trouvez-vous pas ? Je vois bien le regard amusé de Ghislaine qui couche mes paroles sur le papier. Elle s’en défend poliment, elle a du tact,  mais tout de même, je le sais...

Puis la guerre est arrivée. Je suis parti, il a bien fallu. Quand je suis revenu, elle avait disparu. Ensuite, j’ai rencontré mon épouse, une honnête femme, travailleuse et aimante. Nous avons eu trois enfants, nous avons emménagé dans ce petit village où nous avons fait notre vie et où j’ai effectué toute ma carrière d’instituteur. J’ai été heureux mais j’ai souvent relu ce poème d’Apollinaire en pensant à elle : « Je t’écris ô mon Lou... » Le connaissez-vous ?

Comment a-t-elle retrouvé mon  adresse ? Et pourquoi ? Ces questions ne cessent de me troubler depuis que votre lettre m’est parvenue. Je ne puis m’empêcher de penser que peut-être...

Je ne sais ...et puis, je suis bien vieux pour me tourmenter ainsi.

Je vais demander à Ghislaine de  joindre à cette feuille la rose séchée que les poèmes d’Apollinaire ont  conservé si longtemps. Vous la lui offrirez pour moi...

Merci,
Sincèrement vôtre.

Jean Lamoureux

PS : Monsieur Jean nous a quitté la nuit qui a suivi l’écriture de cette lettre.  C’était un gentil monsieur.

Cordialement, Ghislaine.

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Commentaires
M
Je crois que je vais quand même préférer la deuxième version tellement pleine de douceur et de regrets
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S
j'ai préféré la première, j'ai toujours aimé les vieux grincheux.<br /> et si la seconde peut sembler assez "convenue" dans son histoire d'histoire platonique, elle en est tout de même très poignante et la fin sonne très bien.<br /> <br /> Merci pour ces deux belles lectures.
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C
Jolies variantes : un vieux con et un vieil amoureux romantique... Belle idée l'aide-soignante qui prête sa main.
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Z
très bien ces deux lettres, j'aime bien la première très directe<br /> mais il est vrai que la seconde est touchante et que ceux qui n'ont pas marqué un livre avec une fleur séchée pour se souvenir de qq chose d'important sont amputés d'un morceau d'âme
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M
Bonjour Citronnelle !<br /> Très bonne idée que ces deux lettres aux contenus si différents !<br /> Un coup de coeur pour le deuxième texte où l'on découvre Jean l'amoureux timide ... qui a conservé les pétales de roses ... C'est touchant !
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J
Oui continue, c'est un tres bon debut que nous avons la. J'ai beaucoup aime.
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C
MERCI à tous pour votre accueil...Je vous lis depuis quelque temps et je me lance pour la première fois. Je prends donc vos gentils messages comme des encouragements à continuer...<br /> A bientôt !
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J
J'aime beaucoup la deuxième lettre, elle est poignante, et pour une raison quelconque, le narrateur me rappelle le Petit Chose (Daudet) un livre que j'ai adoré.<br /> <br /> Bravo aussi d'avoir pensé à faire plus d'une lettre ! C'est un beau contraste entre les deux personnages qui écrivent.
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B
Elles sont sympas ces deux lettres !
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P
J'aime beaucoup.
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V
C'est drôle comme nos textes se répondent, d'une certaine façon, Citronnelle. J'aime bien les deux lettres. Je ne saurais laquelle choisir, en fait.
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T
Pauvre vieux! Il était vraiment amoureux ce Monsieur Lamoureux... J'adore sa lettre! Mais j'aime bien la première aussi... J'ai l'impression qu'il se fait mener par le bout du nez ce Mr lamacrelle!
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W
Voilà-t-y pas la (petite ?) nouvelle qui me file le bourdon ! Toutes ces existences que j'aurais pu vivre, je les avais presque oubliées et maintenant, elles reviennent me donner des regrets. Parce que j'en ai de ces fleurs séchées, oubliées dans tant de livres !
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B
Comme Poupoune, j'aime bien la première( mon côté peste); la seconde lettre est jolie.
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P
... ah moi j'adore le premier!!! (mon penchant pour la fange, diraient certains... ;o) <br /> mais c'est sûr que le second est plus touchant...
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V
Je préfère aussi Jean Lamoureux à Jean De Lamacrelle; l'amour secret pour la belle Lou, dévoilé à son aide-soignante... souvenirs desséchés comme cette rose.
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P
Bienvenue Citronnelle (sans le savoir vous figurez en bonne place dans mon jardinet, si ce n'est vous, du moins vos sœurs médicinales).<br /> <br /> Il est gentil ce vieux monsieur, (les hospices en seraient-ils remplis ?) ses souvenirs intacts lui reviennent...<br /> J'ai bien aimé que vous retourniez la situation : l'aide soignante prête sa main au vieux monsieur.<br /> <br /> La lettre de la jalouse,vous ne l'avez retrouvée, elle aurait pu figurer ici...<br /> <br /> A bientôt, Citronnelle.
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V
C'est amusant, cette idée de "variante".<br /> Je préfère de loin la seconde lettre. <br /> Elle est touchante...<br /> Et ce vieux homme qui serait mort après avoir appris la mort de sa première amoureuse, c'est très touchant.
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