Un weekend chez Grand-Père (Papistache)
Titre : Un weekend chez Grand-Père
Auteur : Papistache
Edition : Le défi du samedi
Collection : Yeux grands ouverts
4e de couverture : Papa et Maman s’offrent un voyage en amoureux à Amsterdam. Joris, sept ans, va devoir passer un weekend entier chez son papi.
Seulement, le papi du garçon s’est enfermé dans le silence depuis la mort de sa femme. Sans la parole, ce papi désespéré réussira-t-il à communiquer avec son petit-fils ? A moins que la présence de Joris dans la maison ne lui redonne le gout des mots ?
Joris est dans sa chambre. Il boude.
En fait, ce n’est pas vraiment sa chambre, c’est celle de sa maman quand elle était petite. En revanche, c’est vrai qu’il boude.
Il est deux heures de l’après-midi et Grand-Père — c’est comme ça qu’on appelle son papi dans la famille — n’est pas venu le chercher pour le déjeuner. Il l’a oublié. Il faut dire que c’est lui qui s’est enfermé dans la chambre de sa mère, à l‘étage.
Un weekend entier chez son papi. Joris a bien essayé de faire céder sa maman et son papa : “Ça sera pas la peine de venir me rechercher, je vais mourir là-bas.” Le papa de Joris a rigolé en disant que ce serait moche pour Cindy parce qu’elle devrait se chercher un autre amoureux.
Quand Joris était petit, il croyait que son papi était muet. C’est vrai, on n’entendait jamais le son de sa voix. Le petit garçon ne l’entend d’ailleurs toujours pas. Il se demande quand il va l’appeler pour passer à table. Il aurait préféré passer le weekend chez Cindy ; son frère, Allan, a un lit à deux places. Allan, c’est un grand de douze ans mais super sympa.
Les parents de Joris sont partis pour un voyage “romantique” à Amsterdam. Joris boude, dans une chambre de fille, chez un papi qui ne possède ni ordinateur, ni console de jeux, ni téléviseur. Quand il a dit ça à l’école, les autres ne l’ont pas cru. Même Cindy. Ici, la seule distraction, ce sont des livres. Son papi en a dans toutes les pièces, même dans les toilettes. Heureusement le garçon a emporté sa gameboy, mais son ventre gargouille.
“ Pourquoi Grand-Père ne dit jamais rien, Maman ? ” avait-il demandé dans la voiture ? Sa mère lui a répondu qu’autrefois il aimait raconter des histoires mais que depuis la mort de Grand-Mère — c’est la manière de dire Mamie dans cette famille — il s‘était comme enfermé dans le silence.
Avant de monter bouder dans sa chambre, Joris avait bien tenté de s’intéresser aux livres. Il lui avait semblé avoir aperçu une série de BD en haut d’un rayonnage. Quand toute la bibliothèque était tombée dans un nuage de poussière, Grand-Père n’avait rien dit. Il avait quitté son fauteuil, près de la fenêtre, et avait entrepris de ranger l’horrible pagaille.
Ce n’était pas la première boulette de Joris. Le matin même, au petit déjeuner, il avait lancé : " Grand-Père, c’est vrai qu’avant que Grand-Mère soit morte tu racontais des histoires ?" Le papi de Joris avait ouvert la bouche et laissé tomber sa tartine de pain grillé sur la table. Il s’était levé sans rien débarrasser et comme Joris ignorait où ranger la vaisselle sale, il l’avait imité et était allé s’assoir sur un banc, dehors, avec sa gameboy, mais il s’était mis à pleuvoir.
A deux heures et demie, n’y tenant plus, Joris sort de la chambre. Son papi n’a pas terminé de remonter la bibliothèque. Il s’est assis sur un tabouret bas et lit un livre à couverture rouge, au milieu de tous les autres, aux couvertures rouges ou pas, étalés sur le carrelage.
Joris se rend à la cuisine et ouvre le frigo. Il est vide. Enfin, vide de ce que Joris aime : pas de pizza, ni de cordon bleu, ni nuggets et pas la plus petite canette de coca. Déjà, au petit déjeuner, il avait dû se passer de Nutella. Il n’y avait que des confitures, de celles que sa maman ramène de temps en temps après ses visites à son papa : Grand-Père, donc ! Ces confitures que le papa de Joris donne pour la kermesse de l’école et dont personne ne veut et que la directrice finit par brader à cinquante centimes les trois pots.
Joris décide de s’approcher de son papi. Il se dit qu’il serait bien de donner un coup de main pour le rangement mais il a trop faim.
— "Grand-Père, j’ai faim !"
Le papi du garçon regarde sa montre et lève les yeux vers lui.
— "Il n’est pas encore quatre heures."
C’est au tour de Joris d’ouvrir la bouche, pas parce que son papi vient de parler. Il sait, depuis longtemps, qu’il n’est pas muet, mais la réponse lui coupe la parole. Son papi a carrément zappé le déjeuner ! ! !
Il ne pensait pas si bien dire dans la voiture, il va mourir... de faim. Il retourne à la cuisine et comme la table du petit déjeuner n’a toujours pas été débarrassée, Joris tartine une épaisse couche de confiture sur une large tranche de pain. C’est mangeable. Surtout quand on a faim. Le garçon remonte dans sa chambre et allume sa gameboy.
Vers dix-huit heures, sa maman appelle au téléphone. Grand-Père possède un téléphone, comme ceux qu’on voit dans les films de Louis de Funès. Joris a envie de crier : "Au secours, viens me chercher, je vais mourir de faim." Il ment :
— "Tout va bien... non, je ne m’ennuie pas... il fait beau... j’ai joué dehors..."
Au bout du fil, sa maman a l’air heureuse. Joris retient ses larmes et promet d’embrasser Grand-Père pour elle. Il ne le fait pas.
A dix-neuf heures, Joris sent une odeur de cuisine lui chatouiller les narines. Il quitte son jeu et se dirige vers le rez-de-chaussée. Son papi prépare une omelette avec de la salade. Joris déteste les œufs et la salade cuite. La salade, en fait, c’est du persil, mais Joris ne connait pas bien les herbes aromatiques. L’odeur des œufs lui soulève un peu le cœur mais il demande où sont les assiettes pour mettre le couvert. A la maison, cela lui arrive parfois. Sa maman apprécie. Son papi lui désigne une porte du buffet d’un mouvement du menton.
Le repas se déroule en silence. Grand-Père essuie son assiette avec le dernier morceau de pain, il faut dire que Joris ne s‘en est pas privé, à la fois avec la confiture et pour faire passer l‘omelette. Joris laisse la moitié de son omelette, mais il en a mangé une moitié quand même. Tout à l’heure, il a semblé à Joris que son papi avait voulu lui dire quelque chose. Sa poitrine s’était gonflée, il avait eu un mouvement vers l’avant puis il avait baissé les yeux et avait attrapé un morceau d‘omelette avec sa fourchette.
La pluie ne tombe plus. Joris sort. Dans la cour, le banc est mouillé. Les feuilles des arbres s’égouttent. Une odeur indéfinissable monte du sol. Le soleil peint le ciel en rouge et de longs nuages s’étirent à l’horizon. Joris remonte dans sa chambre, enfin celle de sa mère, quand elle était petite.
Sur son lit, le livre à la couverture rouge que Grand-Père lisait tout à l’heure est posé à côté de sa gameboy. Ce n’est pas un livre, c’est un gros cahier relié. Toutes les pages sont remplies d’une écriture fine. Sur la première, le garçon déchiffre lentement — il n‘a que sept ans, est en CE1 dans la même classe que Cindy— : Exemplaire destiné à Isabelle. Isabelle, c’est la maman de Joris.
La journée de dimanche semble durer une semaine. Joris ne sort guère de sa chambre. Il joue à Super Mario III. Les parents de Joris arrivent tard, vers vingt-deux heures, le dimanche soir. C’était prévu ainsi. Au pied de l’escalier, le garçon surprend une conversation entre sa maman et son papi :
— Alors, papa, comment ça s’est passé ?
— Je n’ai pas pu, ma grande, je crois qu...
Le reste de la phrase, Joris ne l’a pas bien comprise.
Le mari d’Isabelle conduit. Joris se blottit contre sa maman, autant que la ceinture de sécurité le lui permet. La maman du garçonnet est montée à l’arrière pour être près de son fils. Joris s’endort. Sous son bras, il serre un gros cahier entoilé. Isabelle sourit ; elle a reconnu la couverture rouge...