Monsieur Perec, je tiens à vous
remercier encore d’avoir accepté notre invitation. C’est une superbe
journée, vous rencontrer le temps d’un
repas en terrasse dans ce petit restaurant non loin du jardin du Luxembourg
est un véritable bonheur.
Nous sommes venus à deux, car je souhaitais vous faire rencontrer mon frère Berthold. Il y a 20 ans,
lorsque son premier roman a été publié, le compliment dont il a été le plus fier, a été qu’on le compare à vous.
C’est lui qui m’a fait découvrir votre existence, vous êtes son
« idole ».
Seul face à vous, je n’aurais jamais osé cette rencontre, alors j’ai eu l’idée, puisque les
défiants du samedi m’y autorisaient, de vous offrir en quelque sorte comme
cadeau à mon frère.
Et les voilà, fébriles et
enthousiastes, partis dans une grande
discussion sur l’Oulipo, prêts à inventer de nouvelles contraintes, et partis à
la recherche de textes à triturer pour
en faire des lipogrammes. J’explique ma tentative, lettre morte pour l’instant,
de lipogrammer sans e « mignonne
allons voir si la rose » de Ronsard. (sans o çà pourrait être rigolo aussi…)
Nous parlons aussi des jeux littéraires des « papous dans la tête » sur France Culture. Nul doute que
sur internet (explications rapides sur la chose) existent des blogs consacrés à
l’Oulipo, mais le temps manque à chacun…Parfois fusent quelques définitions de
mots croisés : « on est douillet quand elle est petite » (6
lettres)* ; « il est d’un autre siècle » (en dix lettres)**
Au
café, la discussion est toujours
animée, et c’est un vrai plaisir que de
les écouter, les voilà comme deux vieux potes.
Après
le café, Berthold (qui sait que j’en meurs d’envie) propose à Georges de
disputer avec moi, quelques parties de Go au soleil dans le jardin tout proche.
Au cours de ma vie de joueur de Go, j’ai usé jusqu’à la corde, une bonne partie
des calembours tirés du traité Le livre de Perec sur le Go*** …
Le
reste de l’après midi s’est continué en discussions littéraires (Berthold
versus Georges) et stratégiques (Georges versus moi) autour de ce goban
magique ; de l’issue des parties âprement disputées je ne vous dirai rien...Georges Perec a eu
le temps de progresser à ce jeu qu’il aimait mais maitrisait mal. Au paradis,
je crois qu’on joue au go entre deux lipogrammes, tout en écoutant du jazz ou
de la musique classique…un peu comme lors de cette journée magique hors du temps.
*-------(cherchez un peu…)
**----------(voir note précédente)
***Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du
go (Christian Bourgois, 1969) (avec Pierre Lusson et Jacques Roubaud
Pour éviter que nos (les vôtres) belles bannières ne se perdent, elles se sont regroupées ICI. Et, dans le futur, nous cliquerons sur la catégorie : *Bannières historiques
Profitez de la visite pour revoir les bannières que Joye n'avait pu résister à dévoiler sans attendre.
Il a l’impression que sa langue occupe toute sa bouche, et il peine à respirer. Elle est tellement grosse qu’il ne risque pas de l’avaler s’il tombe inconscient. Sauf s’il la mâche avant. De toutes façons, ils ne le laisseraient pas leur échapper en s’évanouissant. Ils seraient vite là à le ranimer. En lui donnant des coups de pieds dans les côtes. Ou un seau d’eau glacée… De l’eau… Oui, ce serait tout à fait leur genre, lui balancer de l’eau glacée à la figure pour le regarder laper avidement les quelques gouttes au sol, comme un chien. Non, on traiterait mieux un animal, même dans ce pays. Boire…
Ils lui ont pris ses vêtements et il git nu dans sa pisse et ses excréments. Il n’a même plus la force de tenir accroupi et la hauteur de la cellule ne lui permet pas de se mettre debout. Au moins il n’urine plus, il n’a rien bu depuis… Combien déjà ? Sans fenêtre, c’est vraiment difficile de se rendre compte du temps qui passe. Il a tellement soif.
Ses lèvres craquelées lui font mal mais sans salive, il ne peut plus les humidifier. A quoi bon d’ailleurs? Il a peur de ne plus réussir à rentrer sa langue s’il la sort. Il pleut dehors. Un orage tropical. Il entend les gouttes qui martèlent la tôle ondulée du toit de sa cellule. Il boirait même de l’eau croupie…
Tantale !
En sept lettres. Supplice du bras trop court. C’est le mot qu’il cherchait. Quand il faisait ses mots croisés à la terrasse du café, juste avant que ces hommes ne l’emmènent et ne l’enferment.
Si au moins il comprenait ce qu’ils veulent de lui.
Il était une fois quatre amis
qui vivaient en harmonie dans une maisonnette au cœur de la forêt des Cartes
Oubliées. Quiconque passait par là remarquait immédiatement l’impressionnant
toit qui était couvert de tuiles décorées aux quatre couleurs. La petite porte
d’entrée était surmontée d’une plaque en céramique qui indiquait à l’éventuel
visiteur les formalités à accomplir pour en franchir l’accès :
Maison des As, Règlement :
1. Enlever
son chapeau,
2. Ne
parler que quand on y est invité,
3. Déposer
armes et parapluies sous le paillasson,
4. Jokers,
s’abstenir.
Les quatre As
n’aimaient pas les visites imprévues et souhaitaient se prémunir à tout prix
des bouleversements dont ils n’étaient guère coutumiers.
Un beau jour,
en réalité, nous pouvons bien vous le dire, il faisait toujours beau dans la
forêt des Cartes Oubliées mais c’est une sorte de convention littéraire que
nous nous devons d’appliquer… Un beau jour, un étrange personnage apparut au
bout du sentier. Un drôle de bonhomme, qui avait l’air d’hésiter à chaque pas
et paraissait même parfois sur le point de rebrousser chemin. Bon gré, mal gré,
il arriva enfin sur le seuil du logis et lut la pancarte avec une
application touchante. Il enleva son
béret rouge et son épée puis les déposa comme convenu, sous le paillasson.
Débarrassé de ses attributs, il semblait encore plus intimidé…
Après quelques
minutes, il se décida enfin à frapper. La porte s’ouvrit et l’individu sus non
nommé pénétra dans un salon au milieu duquel une chaise avait été placée
probablement à l’intention du visiteur. Il marqua un temps d’arrêt et son
visage montra tous les signes d’un intense questionnement. Tandis qu’il se
perdait en tergiversations, une voix l’interpella soudain en l’enjoignant
de décliner identité et motif de la visite.
Il s’exécuta
fébrilement en expliquant qu’il avait pour nom Tudinaire et qu’il était le
valet de la Reine Denim (fort connue pour ses djinns mais là n’est pas la
question). Cette dernière priait les quatre As de bien vouloir déterminer
rapidement lequel d’entre eux était l’As des As car la forêt des Cartes
Oubliées souffrait de plus en plus d’un cruel manque d’organisation. Il lui
fallait un chef, d’urgence…
Dans la pièce
voisine, planqués derrière un miroir sans tain, les quatre As regardaient leurs
reflets en chiens de faïence… L’heure était grave… L’instant tant redouté
venait de se produire… Il leur fallait élire un chef…
Le plus petit
d’entre eux prit alors la parole :
- Tudinaire , voilà ce que tu diras à ta maîtresse. Il nous est impossible de choisir, nous avons
déjà retourné la question plusieurs fois depuis plus de mille ans, chacun
d’entre nous a l’étoffe d’un manageur de première main, c’est le peuple de la
forêt des Cartes Oubliées qui devra trancher par l’intermédiaire d’un vote. Il
aura lieu dans huit jours, sous le grand chêne, à midi pile…
La voix se tut
subitement. Le Valet Tudinaire attendit un moment. En vain. La porte s’ouvrit
et il crut comprendre que c’était là la réponse qu’il attendait. Il finit donc
par partir, non sans avoir hésité à de nombreuses reprises…
Huit jours
plus tard, les habitants de la forêt se réunirent au lieu convenu. Ce n’étaient
que bruissements inquiets et frôlements de papiers à mesure que la rumeur
enflait et que l’heure du vote arrivait... Placardée sur l’immense tronc, une
affiche indiquait aux électeurs les quatre programmes des quatre candidats.
Pour mettre
fin au suspense qui vous étreint indubitablement, nous vous livrons sans
attendre les slogans tels qu’ils étaient accrochés sur les quatre branches du
grand chêne.
- Votez pour l’As Ticot ! Vous serez dans le dico !
- Avec l’As Sassin, plus besoin de médecin !
- Avec l’As Pirine, vous aurez bonne mine !
- Votez pour l’As Oif ! Ouaf ! Ouaf ! Ouaf !
Les habitants
de la forêt des Cartes Oubliées n’étant pas cabots, ils votèrent en masse pour
Oif, son slogan ayant fait mouche.
C’est ainsi,
chers amis des défis, que l’As Oif devint l’As des As ce qui illustre
parfaitement le vieil aphorisme pékinois que d’aucuns attribuent à Confucius
lui-même :
Cet été-là, il faisait chaud. Dans la campagne, la terre criait sa souffrance sous le soleil plombé. La plaine d'ordinaire riche, nourricière, généreuse ne donnait qu'un maigre blé jauni et souffreteux. Les maïs parfois si hauts étaient restés au ras du sol comme nanifiés.
Dans les pâtures, les bêtes broutaient une herbe sèche et rare, on avait même abattu quelques pommiers pour qu'elles puissent trouver un peu de verdure dans le feuillage. Les arbres gisaient au milieu des prés, triste paysage.
La rivière dans son lit avait baissé, découvrant des berges d'abord boueuses puis craquelées en grosses mottes de terre compacte et dure. Les mares avaient disparu, laissant derrière elles un fond nauséabond où pourrissait avant de sécher un mélange végétal et animal aux relents méphitiques. Les chemins tourbillonnaient de poussière à la moindre brise...
Devant les maisons, le sol des cours se craquelait. Aucune fleur n'égayait les plates-bandes. Le village, tous volets fermés, semblait muré dans un silence vibrant, car personne n'affrontait la chape qui étreignait la vie. Chacun essayait de se préserver, les mouvements étaient ralentis et réduits à l'indispensable. Le moindre effort provoquait la transpiration et l'impression douloureuse d'être agonisant. Quand le soir venait, tard, quand le soleil enfin acceptait de mettre un terme à son œuvre de chauffe, l'obscurité ne changeait rien ; on continuait à souffler. Dans la nuit, les insectes entonnaient un chant qui agaçait. Les draps poissaient au contact des corps en sueur. Le sommeil fuyait jusqu'aux enfants qu'on entendait pleurer par les fenêtres ouvertes.
Emma n’avait que faire des voitures. Elle se moquait
ouvertement de ceux qui bichonnaient leurs engins de tôle. Pour elle, c’était
le comble de la beaufferie. Elle raillait également ces pauvres mecs qui se
sentaient forts et bien montés en volant de leur grosse et puissante voiture en
érection. Elle pensait volontiers que les grosses bagnoles bien tape à l’œil
étaient le pénis de substitution des impuissants et de tous les frustrés.
.
Emma avait bien sûr une voiture, mais une toute petite, qui
était simplement pratique. Pas jolie, pas rapide, pas équipée. Juste pratique.
Ça tombait bien, c’était la seule chose qu’elle demandait à une voiture. Sa
vieille Saxo avait le même statut que son robot de cuisine : une machine
qui facilitait son quotidien. Une machine stupide, mais nécessaire. Ni plus, ni moins.
.
Elle n’avait rien demandé, cet après midi là. Elle voulait
simplement rendre service… Une voiture pour transporter des objets sales, elle
en avait une : la sienne. Peu lui importait qu’on charge son coffre de
terre ou de ciment. Une bagnole, c’est comme un robot, ça se lave !
D’ailleurs, elle avait du mal à comprendre que ses amis se refusent à charger
des choses salissantes dans leur bagnole. Une voiture, ça sert à ça, après tout !
En échange, sans qu’elle ne demande rien, on lui avait remis
le sésame. Elle avait décliné, mais les amis avaient insisté pour qu’elle la
prenne, au cas ou elle en aurait besoin…
.
Elle vit sa vieille Saxo partir, et regarda de plus près le
robot dernier cri garé dans sa cour. Elle dut admettre que la
« chose » était tout de même très belle, pour une bagnole. Une petite
sportive allemande gris métallisé, aux lignes élégantes, mais un peu trop
clinquante. Ses amis aimaient s’entourer d’objets de luxe qui faisaient leur
petit effet. Elle faillit tourner le dos à l’engin avec dédain et rentrer chez elle lorsque soudain, elle fut prise
d’une violente soif : il fallait qu’elle s’assoie au volant. Et
vite !
.
Elle ouvrit la portière brusquement, s’installa à la place du
conducteur, et sa soif était toujours présente. L’envie était trop forte. Il
fallait qu’elle aille plus loin pour l’épancher. La clef lui brûlait les doigts
comme une bouteille déposée sur une table nargue l’assoiffé. Presque malgré
elle, elle l’enfonça et la tourna.
.
Quelques secondes plus tard, elle réalisa qu’elle était sur
la route au volant de la belle allemande , comme on est surpris parfois en
portant son verre à ses lèvres et en constatant qu’il est déjà vide. Il était
trop tard pour faire demi tour. Quitte à apaiser cette soif soudaine, autant
l’anéantir complètement.
.
Elle fit un tour en ville, et il fut plutôt décevant. Sa
gorge restait sèche, presque douloureuse. L’eau tiède des ronds-points et feux
rouges ne la désaltérait pas. Elle rêvait d’un verre d’eau glacée, rempli de
glaçons, de ces gorgées qui donnent d’agréables frissons, mais aussi cette
petite culpabilité de faire quelque chose de mauvais pour soi. Boire de l’eau
glacée n’est pas très bon pour l’organisme, c’est bien connu. Mais c’est si
tentant, quand on a soif…
.
Elle suivit les panneaux bleus et se retrouva sur
l’autoroute. Sa soif diminuait. Maintenant, elle buvait par gourmandise. Les
cent cinquante chevaux hennissaient sous le capot. Eux aussi, ils étaient
assoiffés. C’était un cri de complainte qu’ils poussaient à chaque
accélération. « Plus d’eau, donne-nous plus d’eau. Plus fraiche, encore
plus fraiche, l’eau ! ». Les pneumatiques aussi semblaient boire le
bitume. La voiture entière avalait la route d’une gorgée. Et Emma frôlait la
potomanie. Elle but beaucoup. Beaucoup trop. Beaucoup trop vite. Elle but comme
boit un adolescent qui découvre les boissons alcoolisées. Elle but de
l’adrénaline jusqu’à l’ivresse.
.
La crise dura une bonne heure, et puis elle n’eut plus soif.
Il fallait rentrer, à présent. La voiture avait beaucoup trop bu, et comme Emma
tenait à sa réputation, elle avait pris soin de passer à la station service
avant de rentrer. Elle rangea la belle sportive à l’endroit précis ou elle l’avait démarrée, eut la précaution
de remettre le compteur à zéro et ferma la portière avec ce sentiment étrange
qu’ont les fêtards les lendemains de cuite.
.
Quand ses amis revinrent, elle leur expliqua, l’air détaché,
qu’elle avait eu une course urgente à faire, et s’excusa d’avoir touché au
compteur… elle s’était trompée de bouton !
.
Le scénario, depuis ce jour, se répète régulièrement.
Addiction honteuse, inavouable.
. La Saxo d’Emma, bizarrement, tombe très souvent en panne.
Elle a de la chance, Emma, ces amis à la grosse sportive allemande lui prêtent
volontiers la leur quand la sienne est immobilisée.
.
Emma ne se désaltère plus du premier frisson, celui de l’eau
plate, même très glacée. Sa soif est devenue plus exigeante. Elle invente et
teste désormais mille cocktails différents pour l’apaiser. Son préféré reste le
subtil mélange de l’eau de pluie et de l’épingle à cheveux. Elle prise
également les chemins creux par temps clair, mais les preuves de son vice sont
plus longues à dissimuler après la crise.
.
Ses proches, ignorant son addiction honteuse, lui
conseillent de changer de voiture, la sienne n’étant plus très fiable . C’est
vrai quoi, une voiture qui tombe en panne tous les mois, c’est du jamais
vu ! C’est pas qu’ils en ont mare de lui prêter la leur, mais la situation
n’est pratique pour personne…
.
Emma leur répond
innocemment qu’elle changerait bien de voiture, mais elle n’y attache que si
peu d’importance…
Une bagnole neuve et clinquante, c’est le comble de la
suffisance ! Et encore plus si elle est puissante
.
Non, vraiment, Emma préfère garder sa petite voiture
pratique. Les bagnoles, c’est pas son truc. Elle, elle est si sobre comparée à
ces insensés inconscients qui se croient invincibles, une fois au volant de
leurs pénis en tôle…
Elle ne pense qu’à ça Ça ne la quitte pas Non, elle ne survivra pas Si le petit ruisseau ne coule pas Il faut qu’elle s’abreuve Mais il n’est plus là
Elle se regarde de haut en bas Et amère, fait le constat : Silhouette ratatinée, de ne plus être enlacée Mains recroquevillées, de ne plus être menottées Lèvres sèches, de ne plus être embrassées. Sourire fané, de plus être frôlé Peau racornie, de ne plus être caressée Poitrine retombée, de ne plus être titillée Mamelons rabougris, de ne plus être suçotés Cuisses flétries, de ne plus être écartées Lèvres sèches, de ne plus être arrosées Mont de vénus aplati, de ne plus être conquis Besoin organique de son eau de vit
Déchirant besoin de Lui Elle se meurt, sans Vit Cette sensation de vide Ces entrailles arides En manque, pas remplies Glissade d’un corps putride Saturé d’envies non assouvies Descente dans la non-vie Plus de vis-à-vis Sans vit
Ils étaient là,
face à face. Elle avait longtemps attendu ce moment espérant que ce serait
LE bon, enfin, oui. De discussions sans fin aux promesses coquines, elle
l’avait fait patienter deux mois sur le net. Mails, dial, MSN, puis l’image
qu’elle avait cédée via la webcam, à bout de patience : elle voulait le
voir aussi.
Passées ces
premières épreuves, elle avait accepté de le rencontrer. Sans se précipiter,
elle avait voulu le tester sur bien des plans, comme on choisit une nouvelle
voiture après un essai de conduite. C’était affreux, elle le savait et
l’assumait parfaitement.
L’homme devenait à
son tour un produit de consommation. Mais là, arrivée à trente-cinq ans, elle
voulait une valeur sûre. Regarder Friends
ou Ally Mc Beal devenait pathétique à
force de s’y reconnaître. Pourtant, le personnage d’Ally lui parlait
tellement ! Elle se souvenait encore de certains épisodes, comme celui
dans lequel l’un des personnages masculins n’avait qu’un seul défaut : il
mangeait et parlait en même temps. Des morceaux de salade restaient collés à
ses dents. Ou encore celui qui avait un rire de cochon, horrible. Et Ally qui
ne pouvait pas aller au-delà de ces
défauts, à la fois minimes et énormes.
Le test de la
promenade sur les quais de Paris avait été une réussite. Marche lente, furetage
dans les vieux livres, pause sur le Pont des Arts, crêpe dans les Halles…
Parfait : il n’avait rien contre la douceur ni contre une grande dose de
romantisme.
Sa voix, aussi.
C’était important, la voix, pour elle. Elle n’avait rien de renversant, mais
rien de repoussant non plus.
Elle avait donc
échafaudé toute une liste de paramètres et de critères à cocher, à remplir, à
nuancer. L’un des derniers tests était celui du restaurant. Et elle savait très
bien que le dernier, le plus fatal, le plus excitant et le plus angoissant
aussi, viendrait après : faire l’amour ensemble.
Ils étaient donc
là, face à face, dans ce restaurant. Elle aurait voulu le laisser choisir, mais
elle s’était dit qu’il valait mieux se régaler les papilles en cas de
déconvenue, plutôt que de prendre le risque de mal manger.
Les petites
assiettes tournaient devant eux, contenant des mets japonais délicieux. Le
rythme irréprochable des tapis donnait presque le tournis. Ou avait au moins un
caractère hypnotique.
La discussion
ronronnait. Rien d’extraordinaire, non plus, mais comparé à d’autres mâles
qu’elle avait voulu rencontrer, celui-ci avait un certain relief. Les assiettes
défilaient, s’empilaient doucement entre eux. L’atmosphère était lourde au
dehors comme au-dedans : le temps était à l’orage, il faisait chaud et
moite. Elle, sensible à ce genre changement, commençait à étouffer. Lui ne semblait pas en souffrir. Il parlait. Et il
tentait de lui frôler la main, doucement.
La bouteille d’eau
et celle de vin blanc trônaient entre leurs verres. Leurs verres quasi vides.
Et par principe, elle refusait de se servir. Oui, l’égalité des sexes, blabla,
ne pas attendre que l’homme fût galant si l’on voulait être traitées en égales
de ces messieurs, gnagnagna. Toutes ses copines tenaient ce discours. Mais elle
résistait. Somme toute, cela faisait aussi partie du jeu de séduction.
Au-dessus des algues
et des sashimis, il lui faisait des yeux de merlan frit : il avait été
fort patient jusque-là, mais on sentait bien que son désir était prêt à rompre
les digues. Emoustillé par l’idée que c’était enfin LE soir où ils feraient
l’amour, il se lâchait dans ses propos. La mangeant des yeux, il jouait sur le
double sens de ses phrases et parlait de son envie de goûter ses sushis en
prenant tout son temps ou, au contraire, de dévorer ses makis…
Elle souriait à
peine, faisant semblant de ne pas comprendre l’ambigüité de ses propos. Elle ne
pensait qu’à une chose : savoir s’il allait enfin la servir en eau. Elle
n’en pouvait plus de ressentir la soif, mais elle s’obstinait à attendre.
Fichue sauce soja salée ! Et cette température qui ne cessait d’augmenter…
De petites gouttes de condensation perlaient le long de la bouteille en verre.
Les assiettes
continuaient à s’empiler. Ils n’avaient évidemment plus faim depuis longtemps.
Etrangement, elle qui était non fumeuse, avait envie d’allumer une cigarette à ce moment-là. Enfin, elle se
voyait fumer une cigarette, imaginant que cela la calmerait. Sans savoir si
cette drogue douce avait tant de vertus. L’eau s’était réchauffée mais peu lui
importait : elle rongeait son frein en attendant. Lui, croyant qu’elle ne
voulait plus rester en ce lieu, mais bien avoir chaud pour d’autres raisons,
s’empressa de demander l’addition, émoustillé.
Et là, il se saisit
de la bouteille d’eau, enfin. Elle vit parfaitement le mouvement de son bras,
de sa main, lentement se décomposer. Au même rythme, un sourire commençait à
percer sur son visage de femme douce mais opiniâtre.
Il se versa un
verre, en finissant la bouteille et en s’étonnant qu’elle n’eût pas soif.
Elle, la bouche
presque pâteuse, avec cette désagréable impression d’avoir la langue gonflée,
ne put sortir un seul mot. Elle pensa très fort à Ally Mc Beal à ce moment-là.
Elle se leva sans un mot, croisa la serveuse qui revenait avec l’addition,
sortit rapidement du restaurant pour qu’il ne puisse pas la rattraper, et
s’échappa par quelques petites rues presque en courant, malgré la chaleur.
Non, l’homme avec
qui elle voudrait passer le reste de sa vie ne pouvait pas la laisser mourir de soif. Et elle ne pouvait pas faire avec.
Elle reprit son
rythme de marche assez lent et régulier. Le ciel était sombre. Il se mit à
pleuvoir très doucement. Elle leva les yeux vers le ciel, et sourit. Lorsque la
pluie s’intensifia, elle s’arrêta de marcher, pencha la tête en arrière,
ramenant ses cheveux pour dégager son front et sourit complètement.
Inconsciemment,
elle se mit à entrouvrir la bouche pour avaler l’eau. Elle était belle et
étrangement offerte. Comme si elle faisait l’amour avec la pluie.
Sur le trottoir
d’en face, un homme sans parapluie la regardait. Il la trouva magnifique.
Je nage, l’eau m’emprisonne dans sa
brûlante béatitude Les lumières de la piscine éclaboussent
mes angoisses Et j’ai soif d’aller plus loin, mieux et
beaucoup plus vite Vers la fin du bassin qui me regarde, me
nargue et s’efface M’incitant à recommencer une longueur
encore et encore Jusqu’à l’épuisement total de mes espoirs
et de mes rêves. Je nage jusqu’au bout de ma soif de et de mes forces. Pour un instant aquatique enflammant mes
lèvres et ma gorge. Une sensation de malt blond à l’heure
intelligente Qui réconforte dans l’abandon et le partage. Des bulles magiques qui s'évaporent dans le sommeil qui se mérite.
Anisette : A la Sainte-Anisette, le
méridional fait risette. A la sainte Anicroche, il remet ses mains dans ses
poches et part en sifflotant vers le bar le plus proche.
Apéro : à l’ère du rap et de la re-pop,
certains préfèrent encore l’âpre apéro à l’opéra. Tant pis pour eux, si, Parsifal
achevé, il ne leur reste plus que des coques de pistaches et des apéwalkyricubs
ratatinés.
Bière : Breuvage bien souvent belge. Bien
des buveurs commencent par elle et
finissent en elle.
Bistouille : Bienvenue chez les Ch’tis où
l’on vous sert le café arrosé d’un verre d’eau de vie de genièvre, le tout
étant nommé ainsi : bistouille. L’abus de bistouille vous amène à dire des
carabistouilles.
Boit-sans-soif : Injure émise par un marin
alcoolique à petite contenance ou par un dromadaire amoureux d’une
Schtroumpfette (voir plus bas à « chameau).
Carafon : Les carabins qui boivent le
fond des carafons s’en prennent des carabinées et s’en vont, caramels,
caracoler du caraco dans le fond du jardin, près de la caravane, là où sont les
cab.. commodités.
Chameau : Pour se prémunir de la soif, le
chameau et le dromadaire emmènent avec eux une grosse réserve d’eau. Ils posent
par-dessus un targui tout de bleu vêtu. Le targui est un peu l’animal de
compagnie des dromadaires et des chameaux. Celui des touaregs qui porte un
bonnet rouge s’appelle le grand Schtroumpf. Celle qui vient d’Europe et
ressemble à Rimbaud s’appelle Isabelle Eberhardt. Au printemps, les porteurs de
bosses organisent entre eux des concours de contenance. Celui qui a la plus
grosse gagne. Arguant de leurs victoires passées à ce genre de concours, les
vieux chameaux font croire aux jeunes femelles chamelles qu’ils ont de la
bouteille. Ils glosent dans le creux de leur oreille et promettent de leur
faire profiter de leur longue expérience. Méfiez-vous, les
Schtroumpfettes ! La longue expérience du grand Schtroumpf n’est peut-être
qu’un serpentin traînant de papier
recyclé qui fait tout ce qu’on veut sauf des étincelles.
Champagne : Champagne pour tout le monde,
caviar pour les autres, y compris pour ceux qui sont tombés du ciel à travers
les nuages !
Danaïdes : Parce qu’elles ont zigouillé
leurs horribles boit-sans-soif de cousins, les sœurs Danaïdes ont été
condamnées à avoir le foie dévoré perpétuellement par un vautour de Vichy. On
se mélange peut-être un peu les pédales avec les Grecs et les Latins mais c’est
une histoire du même tonneau si je ne m’abuse, docteur.
Désert : « Que de sable ! Que
de sable ! » aurait dit le maréchal MacMahon. Il aurait dit
aussi : « C’est vous le bédouin ? Continuez !». Le
désert est le lieu par excellence où se produisent les mirages, parfois même en
rafale. C’est pour cette raison que le mot « désert » commence par un
D comme Dassaut.
Evian : Passe moi l’éponge !
Evian ! Fais moi gouzy !
Fontaine : Il ne faut jamais dire
« Fontaine je ne boirai pas deux tonneaux ».
Gazeuse (eau) : Il vaut mieux qu’il y ait
du gaz dans l’eau que de l’eau dans le gaz.
Kronenbourg : Petite cité d’Alsace où les
troupes du duc d’Aumale prirent le parti, en 1664, de ne se livrer à aucune
bataille contre qui que ce fût (de bière). Au contraire, les troupes
avant-gardistes se mirent à la cueillette des olives afin d’agrémenter la
cérémonie de l’apéro (voir ce mot). En souvenir de ce 1er bataillon
de militaires pacifico-écologistes, il fut permis, par dérogation, de ne plus
mettre un « m » devant le bourg de Kronenbourg (alors que, faut-il le
rappeler, « embrouillamini » s’écrit ainsi).
Mac Mahon : Le maréchal aurait aussi
déclaré : « Le délirium tremens est une maladie
terrible. Ou on en meurt, ou on en reste idiot. Et je sais de quoi je parle, je
l'ai eu ».
Mousse : Si tu ne veux pas t’en faire,
bois en une, petit matelot !
Pépie : Les moineaux qui ont la pépie se
fabriquent un jour de liesse d’une flaque de Pepsi.
Pschitt : Boisson présidentielle
(1995-2007) permettant d’éliminer bien des soucis.
Vichy : Il y a ceux qui sont pour la
prise de la pastille et ceux qui, n’en ayant cure, préfèrent suivre un régime soutenu. Après
tout, si ça les botte ! Il y a des gens comme ça qui aiment bien être
occupés. Qu’on n’ait pas évacué tous les miasmes reste quand même préoccupant.
Vodka : Vodka, nié Voda !
Walrus : Successeur élu et non encore
détrôné, pour notre plus grand bonheur, de sa Majesté le roi Gambrinus.
Whisky : Va le porter au juge blond qui
fume : personnellement je n’en bois pas . C’est une boisson à gogos.
Zubrowka : Il faut remercier la Pologne
pour au moins trois merveilles qui se sont bien exportées : Janeczka, la
musique de Frédéric Chopin et la vodka Zubrowka (prononcer joubrouvka) avec son
herbe de bison qui trempe au milieu de la bouteille. Encore un doigt pour Joe
Krapov ! Non, pas l’auriculaire, le majeur !
Zébu : Le cri de cet animal qui ressemble
quelque peu au dromadaire est le zépussoiffement. Le zébu zépussoiffe.