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Le défi du samedi
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18 avril 2009

Le poète (Captaine Lili)

Il est arrivé en retard, le cœur au vent, les yeux ouverts sur tous les paysages… boissons, femmes et hommes compris. On ne donne pas rendez-vous à un poète, on l’attend seulement. C’était dans une rue, au cœur d’une ville de rêve. Ce sera comme quand on a déjà vécu : un instant à la fois très vague et très aigu… Ô ce soleil parmi la brume qui se lève !

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant

Il m’a dit : « et les soucis que vous pouvez avoir sont comme des hirondelles sur un ciel d’après-midi, - Chère, - par un beau jour de septembre attiédi. »

Il disait aussi comme nous, les femmes, aimions sentir battre nos cœurs sous nos mantes à des pensers clandestins, en nous sachant les amantes futures des libertins, et comme Colombine rêve, surprise de sentir un cœur dans la brise

Il m’a dit « regardez ! Le ciel si pâle et les arbres si grêles semblent sourire à nos costumes clairs qui vont flottant légers, avec des airs de nonchalance et des mouvements d’ailes. »

Il s’est penché, à mon oreille a murmuré… « L’allée est sans fin sous le ciel, divin d’être pâle ainsi ! Sais-tu qu’on serait bien sous le secret de ces arbres-ci ? »

Il a déclamé : voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, et voici mon cœur, qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches, et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux. Et puis : écoutez la chanson bien douce qui ne pleure que pour vous plaire. Elle est discrète, elle est légère : un frisson d’eau sur de la mousse !

Il a échappé une confidence… Je ne sais pourquoi mon esprit amer d’une aile inquiète et folle vole sur la mer. Tout ce qui m’est cher, d’une aile d’effroi mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

Parfois, sur une clef de sol impossible juchées, les notes ont un rhume et les do sont des la

Nous avons marché en silence puis il a repris « Va, sans nul autre souci que de conserver ta joie ! Fripe les jupes de soie et goûte les vers aussi. Les vers, c’est de la musique avant toute chose, et pour cela préfère l’Impair plus vague et plus soluble dans l’air, sans rien en lui qui pèse ou qui pose. C’est des beaux yeux derrière des voiles, c’est le grand jour tremblant de midi, c’est par un ciel d’automne attiédi, le bleu fouillis des claires étoiles. Oui, de la musique encore et toujours, que ton vers soit la chose envolée qu’on sent qui fuit d’une âme en allée vers d’autres cieux à d’autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure éparse au vent crispé du matin qui va fleurant la menthe et le thym… »

Il y a lui, il y a moi et tout bruit s’apaise autour. A peine un vague son dit que la ville est là qui chante sa chanson, qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ; et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes. Caché sous les mots, le soir est venu.

La lune est rouge au brumeux horizon et s’en va la chanson amoureuse, la sérénade d’automne.

Dans le vieux parc solitaire et glacé, deux formes ont tout à l’heure passé.

Un papier froissé est resté :

Mes yeux mouillés de vent amer dans cette nuit d’ombre et d’alarmes sont deux étoiles sur la mer. Mes yeux joyeux dans le ciel clair par cette nuit sans plus d’alarmes sont deux bons anges sur la mer.

J’ai la fureur d’aimer.

Prince et princesses, allez, élus, en triomphe par la route où je trime d’ornières en talus, mais moi, je vois la vie en rouge.

* extraits de Paul Verlaine, Choix de poésies, éditions Grasset, coll. Les Cahiers Rouges.

 

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Commentaires
C
Virgibri : eh oui, moi c'est le Paul d'Arthur :-)<br /> Ravie que mon tissage te plaise.<br /> <br /> Joe Krapov : oh Verlaine n'avait pas vraiment de préférence entre les hommes et les femmes :-)(d'ailleurs, je ne sais pas s'il y a eu quelqu'un d'autre que Rimbaud côté hommes...)... et les enfants aussi l'attiraient si j'en crois "Ô Verlaine" de Jean Teulé... Franchement, malgré ma tendresse pour lui, même sans pistolet, je crois que c'est le genre d'homme dont il vaut mieux ne fréquenter que sa poésie !<br /> <br /> Janeczka : sacré Verlaine, oui ! Il y avait des passages inévitables :-)
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J
Sacre Verlaine... je me disais aussi que je reconnaissais certains passages. ;)
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J
Comment ça l'homme est infréquentable ? Il suffisait de lui enlever son pistolet, et voilà tout.<br /> Mais au delà de ce beau texte d'anthologie, je comprends la frustration : les poètes qui savent le mieux parler aux femmes préfèrent coucher avec des hommes !<br /> ;-)))
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V
Oups : "les poètes du XIXème nous enchantent..."<br /> Evidemment !
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V
Décidément, les poètes nous XIXème nous enchantent ! <br /> Joli tissage, captaine Lili.
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C
A tous, merci !<br /> Et plus spécifiquement...<br /> <br /> Val : c'était un plaisir de partager. :-)<br /> <br /> Vegas sur sarthe, Poupoune : je me rends compte que mon texte ayant failli arriver demain, mon début est très révélateur...<br /> <br /> Joye : tisser les mots de Verlaine est un bonheur.<br /> "seul à seule", le "dico" de word n'en voulait pas, quel dommage n'est-ce pas ?<br /> <br /> Tiniak : et j'ai rêvé, et j'ai écrit, et j'ai rêvé, et j'ai écrit... :-)<br /> <br /> Papistache : l'homme est infréquentable... mais le poète, j'en suis amoureuse depuis le 1er jour de collège où j'ai rencontré ses mots, que je n'ai pas encore fini de découvrir (ce défi me l'a montré). Quant à votre question... peut-être seulement moi-même ?<br /> <br /> MAP : hélas, je ne peux rencontrer Verlaine que par le rêve :-)<br /> <br /> Tiphaine : en toute modestie, je crois que je vais la ressortir la prochaine fois que je suis en retard (ce qui ne saurait tarder) :-))))<br /> <br /> Tilleul : ah ça, Verlaine est un excellent murmureur !
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T
J'aime beaucoup! La chance d'avoir rencontré un poète qui te murmure à l'oreille "on serait bien sous ces arbres-ci!" Hem! C'est gentil de partager...
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T
Tu as raison, on ne donne pas rendez-vous à un poète. L'attente est belle aussi.
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M
Beau comme un doux rêve !!!
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P
ah ben oui, ça valait le coup d'attendre un peu!
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P
Votre patience fut récompensée, vous avez bien fait d'attendre, vos routes se sont croisées, enfin votre route et celle du poète puisque l'homme ne vous intéressait pas, seul le poète. <br /> Qui donc êtes-vous partie guetter maintenant ?
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T
alors,<br /> ayant bien bu et bien mangé<br /> Captaine Lili s'est assoupie<br /> le nez sur son nez, Paul.
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J
Un texte expertement et très joliment tissé, Captaine Lili !<br /> <br /> La tournure qui me saute aux yeux, qui me ravit, c'est "Nous étions seul à seule..."<br /> <br /> Bravo !<br /> <br /> Et merci pour les découvertes !
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V
"Il est arrivé en retard" mais on lui pardonne volontiers.
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V
C'est généreux de partager :D .<br /> Il me vient une constatation en lisant ton texte: les jeunes femmes défiantes aiment les poètes. Mais je n'en suis pas étonnée.
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