Le poète (Captaine Lili)
Il est arrivé en retard, le cœur au vent, les yeux
ouverts sur tous les paysages… boissons, femmes et hommes compris. On ne donne
pas rendez-vous à un poète, on l’attend seulement. C’était dans une rue, au cœur d’une ville de rêve. Ce sera comme quand on a
déjà vécu : un instant à la fois très vague et très aigu… Ô ce soleil
parmi la brume qui se lève !
Nous étions
seul à seule et marchions en rêvant…
Il m’a dit : « et les soucis que vous pouvez avoir sont comme des hirondelles sur un
ciel d’après-midi, - Chère, - par un beau jour de septembre attiédi. »
Il disait aussi comme nous, les femmes, aimions sentir
battre nos cœurs sous nos mantes à des
pensers clandestins, en nous sachant les amantes futures des libertins, et comme Colombine rêve, surprise de sentir un cœur
dans la brise…
Il m’a dit « regardez ! Le ciel si pâle et les arbres si grêles semblent sourire à nos costumes
clairs qui vont flottant légers, avec des airs de nonchalance et des mouvements
d’ailes. »
Il s’est penché, à mon oreille a murmuré… « L’allée est sans fin sous le ciel, divin
d’être pâle ainsi ! Sais-tu qu’on serait bien sous le secret de ces
arbres-ci ? »
Il a déclamé : voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, et voici
mon cœur, qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains
blanches, et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux. Et
puis : écoutez la chanson bien douce
qui ne pleure que pour vous plaire. Elle est discrète, elle est légère :
un frisson d’eau sur de la mousse !
Il a échappé une confidence… Je ne sais pourquoi mon esprit amer d’une aile inquiète et folle vole
sur la mer. Tout ce qui m’est cher, d’une aile d’effroi mon amour le couve au
ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?
Parfois, sur une clef de sol impossible juchées, les
notes ont un rhume et les do sont des la…
Nous avons marché en silence puis il a repris « Va, sans nul autre souci que de conserver ta
joie ! Fripe les jupes de soie et goûte les vers aussi. Les vers,
c’est de la musique avant toute chose, et
pour cela préfère l’Impair plus vague et plus soluble dans l’air, sans rien en
lui qui pèse ou qui pose. C’est des beaux yeux derrière des voiles, c’est le
grand jour tremblant de midi, c’est par un ciel d’automne attiédi, le bleu
fouillis des claires étoiles. Oui, de
la musique encore et toujours, que ton vers soit la chose envolée qu’on sent
qui fuit d’une âme en allée vers d’autres cieux à d’autres amours. Que ton vers
soit la bonne aventure éparse au vent crispé du matin qui va fleurant la menthe
et le thym… »
Il y a lui, il y a moi et tout bruit s’apaise autour. A peine un vague son dit que la ville est
là qui chante sa chanson, qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;
et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes. Caché sous les mots, le
soir est venu.
La lune est
rouge au brumeux horizon et s’en va
la chanson amoureuse, la sérénade d’automne.
Dans le vieux
parc solitaire et glacé, deux formes ont tout à l’heure passé.
Un papier froissé est resté :
Mes yeux mouillés de vent amer dans cette nuit d’ombre
et d’alarmes sont deux étoiles sur la mer. Mes yeux joyeux dans le ciel clair
par cette nuit sans plus d’alarmes sont deux bons anges sur la mer.
J’ai la fureur d’aimer.
Prince et princesses, allez, élus, en triomphe par la
route où je trime d’ornières en talus, mais moi, je vois la vie en rouge.
* extraits de Paul Verlaine, Choix de poésies, éditions Grasset, coll. Les Cahiers Rouges.